Dans l’éducation nationale, un accès inégal aux plates-formes numériques

“Les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités seront fermés jusqu’à nouvel ordre.” L’annonce est tombée le jeudi 12 mars au soir, lors de la première allocution présidentielle depuis la crise du Covid-19 en France. Soit quelques jours avant le jour J de la fermeture, le lundi 16. Pas facile pour les professeurs de s’organiser en conséquence pour se préparer à enseigner à distance et à assurer la fameuse “continuité pédagogique” à compter du 16 mars. Pas facile surtout pour les espaces numériques de travail (ENT), de tenir la charge.

C’est pourtant à travers ces espaces en ligne qu’élèves et enseignants peuvent maintenir leur relation et accéder à de nombreuses ressources éducatives. Les ENT sont en pratique des ensembles intégrés de services numériques pour les acteurs de la communauté éducative d’une ou plusieurs écoles ou d’un ou plusieurs établissements scolaires. Autant de points d’entrée unifiés permettant aux utilisateurs d’accéder, selon leur profil et leur niveau d’habilitation, aux services et aux contenus numériques.

Dès le lundi 16 mars, ce fut la panne tant redoutée : les ENT ne répondent plus. Les messages de professeurs comme d’élèves en déroute inondent alors les réseaux sociaux, captures d’écran à l’appui. Chacun s’organise comme il le peut et un véritable système D se met en marche. De nombreux enseignants recourent, par exemple, aux services en ligne collaboratifs (visioconférence, prise de note, stockage de documents…) de l’association Framasoft.

À tel point que ses propres infrastructures cèdent rapidement à leur tour sous la charge, environ jusqu’au 26 mars. L’association en vient à afficher dès la page d’accueil de ses différents services un message sans équivoque à l’attention de l’éducation nationale : “Nous demandons aux personnes relevant du ministère de l’Éducation nationale (professeurs, élèves, personnel administratif) de ne pas utiliser nos services durant le confinement et de demander conseil à leurs référents”. Et de renvoyer le ministère à ses responsabilités : “Notre association ne peut compenser le manque de préparation et de volonté du ministère.” D’autres se reportent sur la plate-forme Discord, principalement utilisée par les joueurs de jeux vidéo. Ce qui pousse le ministère et les académies à réagir, déconseillant aux enseignants d’utiliser cette solution, non respectueuse du RGPD. 

Impacts différents sur le territoire

Selon le directeur du numérique pour l’éducation, Jean-Marc Merriaux, certains ENT ont connu une hausse d’utilisation de l’ordre de 400 %. Et ce qui devait donc arriver arriva. “Aujourd’hui, aucune plate-forme ne peut en une journée réussir à absorber une telle augmentation”, indiquait-il à Acteurs publics, le 26 mars. 

Pour autant, tous les espaces numériques n’ont pas été touchés de la même manière sur le territoire et selon les niveaux. Certains élèves n’ont en effet pas rencontré le moindre mal à se connecter, y compris les premiers jours. Ces disparités sont liées à l’organisation du ministère, qui accorde aux différents types de collectivités le soin de déployer les ENT pour les degrés dont elles ont la charge.

“Nous faisons face à une multitude d’offres diverses et variées, proposées sur le territoire par les collectivités, avec au bout du compte, des situations extrêmement différentes”, reconnaît Jean-Marc Merriaux. Certains ENT sont ainsi hébergés en académie, d’autres sont accessibles directement en ligne, en mode “à la demande” (SaaS)… Résultat : une offre de services très hétérogène, avec une capacité de montée en charge très inégale selon les collectivités, et surtout selon les éditeurs qu’elles ont choisis pour concevoir et maintenir la solution. Quand elles en ont choisi un. 
 
Stabilisation 

Dans un rapport sur le service public du numérique pour l’éducation publié en juillet dernier, la Cour des comptes pointait déjà ces écueils. Ainsi, en mars 2018, seules 13 % des écoles publiques du primaire (gérées par les communes) possédaient un ENT, contre 88 % pour les collèges (départements) et la quasi totalité pour les lycées (régions), après quinze années de déploiement. Par ailleurs, les financements consentis pour ce déploiement divergent d’une région à l’autre, entre 4 millions et 7,2 millions d’euros par an. Et même de 2,4 millions à 19,4 millions pour les départements. 

Pour remettre de l’ordre, la direction du numérique a travaillé, pendant toute la première semaine, à stabiliser les infrastructures. Mais en attendant des jours meilleurs, le ministère a été contraint de mettre en place, à partir de la deuxième semaine, des créneaux horaires au niveau académique. Et ce afin de privilégier la connexion aux ENT de tel ou tel degré ou de telle ou telle catégorie de la communauté éducative à un moment donné de la journée.

Un sursis qui a permis aux éditeurs et collectivités en lien avec les délégués académiques au numérique d’augmenter les capacités de leurs infrastructures. “Au bout de dix jours de confinement, nous observons à présent une stabilisation des usages”, fait valoir le directeur du numérique auprès d’Acteurs publics, avec quelque 7 millions de visiteurs environ par jour sur les ENT (enseignants et élèves compris).

Pas de remise en question du modèle

À la lumière de cet épisode inédit, pas question pour autant de remettre à plat la gestion des ENT, avec par exemple un seul opérateur pour les gouverner tous. Avec le recul, le directeur du numérique pour l’éducation se dit même que cette panne est plutôt un indicateur du succès des ENT : “Cela montre que tout le monde connaissait son ENT et que tout le monde a eu le réflexe de s’y connecter”, positive-t-il.

Cela n’empêche pas quelques introspections à venir, en particulier s’agissant du premier degré, encore très largement dépourvu d’ENT et d’outils numériques adaptés à des enfants en bas âge. Le ministère a d’ores et déjà chargé des informaticiens, dans les académies, de proposer rapidement des solutions, comme une plate-forme de création de blog la plus simple et efficace possible ou bien encore un espace numérique de stockage de vidéos. 

Emile Marzolf

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