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“Une vision d’avenir du service public apportera gains de productivité et conviction”

Lancé pour nourrir la réflexion dans le cadre de la présidentielle, le think tank Sens du service public entend réfléchir aux services publics de demain “sans laisser personne au bord de la route”. Hauts fonctionnaires des 3 versants de la fonction publique, Laure de La Bretèche, ancienne secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique, Matthieu Girier, président de l’Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux, et Johan Theuret, directeur adjoint de Rennes Métropole, en détaillent pour Acteurs publics les objectifs. Une plate-forme de propositions à destination des candidats est en cours d’élaboration.

De gauche à droite : Laure de La Bretèche, Matthieu Girier et Johan Theuret.

Les principes et les valeurs plutôt que les impératifs de gestion et de management : pourquoi privilégiez-vous cette approche pour appréhender les services publics de ces prochaines années et du prochain quinquennat dans le think tank que vous lancez ?
Johan Theuret :
Issus des 3 versants de la fonction publique, nous sommes convaincus, au travers de notre représentativité, que depuis plus d’une décennie, toutes les réformes qui ont voulu insuffler une modernisation de nos services publics et de nos administrations sont fondées sur des considérations budgétaires sans interroger les finalités du service public et sans se soucier de la place des usagers. C’est pourquoi nous voulons porter une autre vision de la modernisation des services publics. Ils peuvent et doivent évoluer mais en tenant compte des impératifs de notre société, en s’appuyant sur la richesse de leur maillage territorial et sur leurs principes fondateurs, à commencer par le principe d’égalité d’accès pour tous.

La Lolf, une magnifique idée qui a mal résisté aux nécessités de bouclage de fin d’année.

À vous écouter, les projets de modernisation de l’action publique de ces quinze dernières années auraient donc porté atteinte aux principes fondateurs de nos services publics en privilégiant l’approche par les coûts… Faut-il en changer dans la prochaine mandature ?
Matthieu Girier :
La succession, depuis le début des années 2000, des impacts gestionnaires de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), de la Révision générale des politiques publiques, les conséquences de la mise en œuvre de la territorialisation de la stratégie de santé ou encore, entre autres, l’impact des lois sur l’intercommunalité, ont privilégié une approche structurelle de la réforme des services publics, avec une préférence affichée pour la frugalité. Force est de constater que l’aiguillon budgétaire, utilisé pour conduire le changement, s’est heurté à une myriade de situations particulières défendues de bonne foi par les agents publics et les usagers de terrain, parfois partiellement traitées, souvent contournées ou minimisées.

Laure de La Bretèche : Au début des années 2000, on s’est donné les moyens d’une programmation budgétaire de moyen terme et d’une stratégie pluriannuelle ; c’était la Lolf, magnifique idée qui a mal résisté aux nécessités de bouclage de fin d’année. Cette défaite a pesé, et les ambitions de réforme de long terme, mais aussi la capacité d’engagement en payent le prix. Pourtant, on a su faire de belles réformes, alliant économies budgétaires et amélioration du service à l’usager. Chaque fois que l’on sait investir avec une vision d’avenir du service public, on sait réaliser des gains de productivité et créer la conviction. Mais à force de gel budgétaire a posteriori et de bataille continue des services en mode survie, une fatigue morale, un doute sur la possibilité de faire vivre les valeurs du service public gagnent trop souvent les rangs des fonctions publiques. Tout le monde en sort perdant, à commencer par ceux qui ont pour mission de piloter la dépense et sont contraints de trancher dans le vif, privés de vraie vision des impacts sur le terrain. La crise récente des vocations dans les établissements publics de santé en est une démonstration parmi d’autres.

En lançant votre think tank, vous appelez à une administration qui doit être demain “plus humble”, qui prend le temps “de se mettre à l’écoute des usagers et des citoyens”. L’usager n’a-t-il pas été davantage mis au centre des processus ces dernières années ?
Matthieu Girier :
Les poncifs d’inefficacité, d’éloignement du terrain et de réflexion portée en dépit des réalités quotidiennes des Français, poncifs qui collent à l’administration, tous versants confondus, sont encore très présents dans l’esprit des citoyens. Même si la notion d’usager se renforce, que la digitalisation des démarches se généralise, l’administration garde un train de retard par rapport aux attentes des citoyens, des patients et des agents en interne. La personnalisation de la démarche d’accompagnement et la reconnaissance de l’usager reste un défi fondamental à relever, d’autant plus que les nouveaux services créent de nouvelles fractures, territoriales et générationnelles. La personnalisation, la facilité d’accès et la proximité sont les maîtres mots de la démarche que doivent mettre en œuvre les services publics.
 
Johan Theuret : Il y a beaucoup de disparités entre les services publics quant à la place et à l’écoute des usagers. L’usager doit être la préoccupation première de nos fonctionnements, non pas pour satisfaire toutes ses demandes, mais a minima pour prendre en compte ses attentes et ses besoins. Cela signifie que nos fonctionnements doivent concevoir des espaces de concertation et d’association avec les usagers. Tenir compte des usagers et les solliciter, ce serait souvent éviter des situations administratives ubuesques qui finissent toujours par dérouter les citoyens, les agacer, voire, pis, engendrer des non-recours à leurs droits. C’est pourquoi il faut élargir le recours au design de service, mettre en place des commissions des usagers pour concevoir un service centré usagé, plus facilement utilisable. Dans la phase d’élaboration des politiques publiques, la place du citoyen doit être repensée, notamment au travers des jurys citoyens, des conférences de consensus à la danoise, des budgets participatifs.

La première chose à faire, sans confondre arrogance et fierté, c’est de rendre nos agents fiers et heureux du service public qu’ils rendent.

Comment poser les bases du secteur public “fort, efficace, proche de citoyens” que vous promouvez en lançant votre think tank ? 
Laure de La Bretèche :
La première chose à faire, sans confondre arrogance et fierté, c’est de rendre nos agents fiers et heureux du service public qu’ils rendent, faire connaître ce qui marche bien et moins bien, rendre publics les points faisant blocage… ou dilemme. Le baromètre Delouvrier, depuis dix-sept ans, suit la perception qu’en ont les Français, et elle reste largement positive ; donc il faut leur faire confiance, même et surtout quand ils nous critiquent. “Fort, efficace et proche des citoyens”, c’est un cercle vertueux qui s’appuie sur des retours usagers facilités et l’amélioration continue de nos réponses, une responsabilisation réelle des agents de terrain dans les 3 fonctions publiques et une identité de service public commune entre nous tous, là où le système nous a trop séparés.

Comment associer les agents publics et leurs managers aux objectifs d’égalité d’accès, d’exemplarité sociale et d’écoute démocratique que vous décrivez comme essentiels ?
Matthieu Girier :
Dans nos vies professionnelles, nous constatons chaque jour que les agents publics ne sont pas là par hasard. Ils sont lucides sur les contraintes de coûts, mais leur moteur pour agir chaque jour n’est pas celui-là. En son temps, le programme de “modernisation de l’action publique” (MAP) avait tenté ce dépassement, mais c’était sans doute trop tôt. Aujourd’hui, il faut accélérer sur ce qui rendra fiers les Français et les agents publics. Au fond, travailler à l’égalité d’accès – c’est-à-dire la compensation pour les plus fragiles –, organiser l’exemplarité sociale – c’est-à-dire faire ce qu’on dit de faire –, et promouvoir l’écoute démocratique – c’est-à-dire considérer l’usager ou le patient comme un citoyen de droits –, c’est naturel aux agents publics, et c’est pour cela que nous pensons urgent de quitter la défiance comptable et d’en faire un vrai cadre d’action : donner de la place stratégique, du temps dédié et des concrétisations vérifiables à ces 3 objectifs simples. Il s’agit là des conditions fondamentales de la bonne qualité de vie au travail des agents publics de toutes les administrations.

Quid de la digitalisation et de la dématérialisation, accélérées par la crise sanitaire ? 
Johan Theuret :
 L’administration se digitalise à marche forcée. La volonté présidentielle de digitaliser les 250 démarches du quotidien en témoigne. Pourtant, c’est oublier que selon l’Insee, 53 % des personnes de plus de 75 ans n’ont pas accès à Internet à domicile et 17 % de la population ne sauraient pas utiliser Internet. Digitaliser, oui, mais avec des accompagnements et en gardant de la présence humaine. Toutes les situations administratives ne peuvent pas être traitées au travers de la dématérialisation, c’est un leurre et c’est source d’une marginalisation de personnes privées de droits, exaspérées parce qu’elles ne rentrent pas dans des cases. Or le principe d’égalité d’accès nécessite que l’on se soucie de tous.

Quel regard portez-vous sur les enjeux de diversité, alors que certaines dispositions en la matière ont été prises récemment ?
Laure de La Bretèche :
L’exemplarité sociale exige tout simplement que le service public ressemble à ceux qui viennent à lui. Il n’y a pas de service public sans confiance des citoyens, mais cette confiance se reconstruit chaque jour par la preuve : ce que nous sommes/serons ? Hommes et femmes à parité, dans toutes les fonctions, dans la diversité des origines et des cultures, jeunes et seniors, handicapés et valides : c’est le seul chemin d’avenir pour répondre en pratique aux principes fondamentaux de mutabilité, de neutralité et de continuité du service public. Tout ce qui y contribue est bienvenu. C’est pourquoi nous portons une fonction publique représentative de la diversité de la société française, ce qui implique, pour garantir sa fonction méritocratique, de réviser l’organisation des modes d’accès tout en préservant le statut.

Quelles seront les actions et interventions de votre think tank ?
Johan Theuret :
Nous nous donnons comme objectif d’élaborer, pour le début de l’année 2022, une plate-forme de propositions à destination des candidats à l’Élysée. D’ici là, nous allons associer les personnes intéressées et motivées, consulter des universitaires et chercheurs qui nous ont témoigné une envie de contribuer, répondre aux demandes des parlementaires et des ministres intéressés. Nous serons aussi au rendez-vous pour réagir et commenter lorsque les candidates et les candidats à la présidentielle émettront des idées sur les services publics. Car nous croyons en la vitalité des services publics, en l’idéal républicain qu’ils représentent. Donc en tant qu’agents publics, nous sommes légitimes pour porter une expression allant dans le sens de l’intérêt général.

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Club des acteurs publics

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