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Opérateurs de l'Etat : la critique et la raison

La place des opérateurs, tout comme leur gouvernance et leur contrôle ont ressurgi dans le débat. L’État est appelé à clarifier sa stratégie ainsi que le pilotage de ces entités au poids croissant.

C’est un débat déjà ancien et que l’on ne sait pas trop par quel bout prendre. Un débat sans doute un peu trop technique pour être porté dans le cadre de la prochaine campagne présidentielle mais qui revient au cœur des préoccupations, aussi lentement que sûrement. Le mouvement d’agenciarisation de l’État initié depuis les années 1960 – pour des motifs très variés, qu’ils soient opérationnels, liés à l’expertise, au financement ou encore à la mutualisation de moyens – traverse une zone de turbulences.

Ce phénomène ancien – il trouve, en France, sa source, dans les « offices » créés au début du XXe siècle – a pris une dimension nouvelle sous l’inspiration des Anglo-saxons et des Suédois à la fin du siècle dernier. Avec plusieurs objectifs : aller au plus près des besoins du terrain, développer une expertise que l’État central ne peut pas toujours détenir, pallier une faible culture française de la décentralisation… Cette dernière décennie, le Conseil d’État (2012) comme l’inspection générale des Finances (2012) et la Cour des comptes (2021) sont venus rappeler les limites de ce modèle qui recouvre plusieurs définitions selon le périmètre que l’on prend en considération. Sans toutefois remettre en cause le principe d’agenciarisation.  

La crise sanitaire et, consécutivement, la mise au banc des accusés des opérateurs de la santé ont semé le doute. Faut-il pour autant généraliser la critique à partir de certains dysfonctionnements observés dans un secteur ? Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain alors que la variété des opérateurs (statut, missions, moyens autonomie, etc.) n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui ?  

405 000 équivalents temps plein

La droite n’a pas attendu longtemps avant de dégainer ce thème pour 2022. La direction des Républicains a proposé, lors d’une convention, en mars 2021, de supprimer la "majorité des agences et des opérateurs", les jugeant "plus opaques et moins pilotables que les administrations centrales". Avec, en filigrane, l’idée que le politique aurait perdu la main à force de vouloir se défausser de certaines responsabilités. Comme souvent à l’approche d’une échéance électorale, l’analyse était tranchée, clivante et par nature réductrice.  

Pour autant, la question posée ne perd rien de son acuité. C’est que les opérateurs ont pris une telle importance qu’ils représentent 405 000 équivalents temps plein (soit 20 % de la masse salariale de l’État) et plus de 63 milliards d’euros (soit 15 % de la dépense publique). Au centre de l’attention, les relations qu’entretient l’État, via ses administrations centrales, avec ses opérateurs. Sur le papier, le concept originel paraît limpide : aux administrations centrales la stratégie et le pilotage des politiques publiques, aux agences l’exécution. Dans les faits, les rapports se révèlent beaucoup plus complexes.

Le manque de clarté des mandats donnés aux opérateurs, l’instabilité ministérielle, la désynchronisation des temps du politique et des opérateurs, la rationalisation des administrations centrales, le phénomène des cotutelles (entre plusieurs administrations, voire plus ministères sur un même opérateur), le difficile exercice de leur tutelle, sont venus singulièrement compliquer la donne. Un aiguillon comme le conseil d’administration reste quant à lui souvent un organe trop en retrait, dans l’enceinte duquel les discussions revêtent un caractère très formel.

Mouvement de rationalisation

"Il faut remettre en cause ce mythe de l’État-stratège consistant à dire qu’il y aurait quelque part une intelligence détenue par un nombre limité de personnes – évidemment des hauts fonctionnaires. Personnes qui, depuis leurs bureaux, seraient capables de piloter une réalité extérieure à elles-mêmes, via des contrats d’objectifs et de performance ou des contrats d’objectifs et de moyens, juge le directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), Sébastien Soriano. Ce modèle est obsolète et doit être fondamentalement repensé. Il faut se poser la question de savoir si certaines administrations organisées en agences ne devraient pas être réinternalisées dans les administrations centrales et déconcentrées."

Le mouvement (continu) de rationalisation des administrations centrales –particulièrement aigu durant la Révision générale des politiques publiques initiée sous la Présidence Sarkozy – a donné le sentiment aux observateurs que l’on était sans doute tombé de l’autre côté du cheval, en tout cas pour certaines politiques publiques. Difficile de demander à une administration centrale de définir une stratégie si toute l’expertise a filé dans l’opérateur en question… Parmi les critiques les plus persistantes, celle qui concerne l’exercice de la tutelle des opérateurs reste sans doute la plus vigoureuse. 

Un rapport de la Cour des comptes de 2021 commandé par l’Assemblée nationale relève que seulement 22 % des opérateurs disposent d’un contrat d’objectifs et de performance en vigueur en 2020, ce taux étant ramené à 42 % hors établissements d’enseignement. Et les députés Lise Magnier (Agir) et Jean-Paul Matteï (MoDem), auteurs d’un rapport sur l’évaluation des relations entre l’État et ses opérateurs publié cet été, d’appeler dans une tribune à lire dans ce dossier, à "développer la responsabilisation des opérateurs et la relation de confiance, plutôt que la relation d’une tutelle rigide". Chantier sensible qui heurte de plein fouet des pratiques administratives solidement ancrées.
Les députés ajoutent : "Au titre du mouvement de responsabilisation des gestionnaires engagé au début de la présente législature dans le cadre du processus de réforme de l’État, le développement de la pluriannualité permettrait de mieux piloter la transformation et de générer des économies à terminaison, le but n’étant pas de respecter la programmation à l’euro près, mais bien de fixer une trajectoire claire à l’opérateur."

Nécessité de clarification

Dans une époque où la responsabilité prend de plus en plus d’importance, la clarification du pilotage des opérateurs et du partage des compétences s’avère donc incontournable. La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène, comme rarement dans notre histoire, la question de la responsabilité dans l’exercice du service public. Depuis le début de ce quinquennat, des réformes ont été entreprises en la matière et n’ont pas encore porté tous leurs fruits.  

Mais parler des opérateurs sans évoquer le rôle des autorités administratives indépendantes (AAI) reste difficile car ils participent pour partie d’une même logique. Si elles n’ont pas la même vocation que les opérateurs, les AAI partagent un élément de leur ADN : l’autonomie. Elles incarnent des tiers-lieux de confiance, à distance, et assument des missions que l’État ne peut plus assumer lui-même, soit sous la pression de l’opinion, soit sous le joug du droit européen. Dans un système institutionnel comme la Ve République, où les contre-pouvoirs restent faibles, les AAI peuvent constituer des éléments de bon fonctionnement du système global.  

Mais les autorités sont elles aussi confrontées à de nouveaux défis : comme les opérateurs, elles font face, à intervalles réguliers, à des critiques tenant à leur autonomie, à leur mode de désignation ou au peu de contrôle dont elles font l’objet. Les attentes à leur égard restent fortes : s’imposer comme régulateurs de la société et de l’économie dans un monde marqué par l’émergence d’acteurs toujours plus puissants, notamment chez les entreprises. Du point de vue de l’État, ces autorités constituent une manière de diversifier le personnel pour élargir le regard et l’émanciper des canons de la haute fonction publique. Cet objectif n’est que très partiellement atteint alors qu’il constitue pourtant une condition de l’acceptabilité démocratique.  
 

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