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Décarboner le système de santé, “un cap collectif”

La décarbonation du système de santé est indéniablement en marche. Pourtant, selon le dernier rapport du Shift Project sur le sujet, à ce jour, le secteur manque “cruellement de connaissances sur ses émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre”.

Mi-avril, The Shift Project a publié la mise à jour de son rapport sur la décarbonation du système de santé. Une publication qui montre autant l’importance que l’urgence de placer cette problématique au centre des politiques publiques.

Si certaines subtilités sont venues se glisser ici et là dans cette nouvelle analyse, les grands principes demeurent. Le dérèglement climatique va sans nul doute profondément perturber notre système de santé et en conséquence, l’offre et l’activité de soins promettent d’en être bouleversées. Par ailleurs, il reste nécessaire pour ce secteur, comme pour tous les autres d’ailleurs, de poursuivre le travail entamé sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de chercher des substituts aux énergies fossiles.

Si le constat d’urgence est largement partagé, la littérature sur l’impact réel du système de santé sur l’environnement manque cruellement.

Une nécessité que l’ensemble des établissements hospitaliers ont largement à l’esprit, à l’image de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont le directeur de projet “développement durable”, Matthias Didier, nous a accordé une interview dans le cadre de ce dossier. Et il faut dire qu’en matière de décarbonation, l’établissement public n’est pas en reste et assure mobiliser l’ensemble des leviers qui sont à sa portée. Il oriente notamment ses actions sur l’amélioration de l’efficacité énergétique de ses bâtiments et infrastructures, sur la diminution du volume de déchets en favorisant les processus de réutilisation, souhaite progresser vers une alimentation de qualité et moins carbonée et travaille sur une politique globale d’achat écoresponsable.

Plan d’action et indicateurs de performance

D’ici juin 2023, chaque centre hospitalier de l’AP-HP aura pour objectif de remonter un plan d’action visant à décliner les objectifs qui relèvent de son périmètre. L’établissement public promet d’ailleurs qu’un ensemble d’indicateurs de pilotage et de tableaux de bord sera mis en place et permettra d’alimenter un rapport de performance écologique et une communication annuelle autour de l’atteinte, ou non, des objectifs. Autant d’actions qui ne prouveront leur efficacité que si elles sont menées au plus près du terrain. "En matière de développement durable, il est essentiel d’être dans une approche opérationnelle”, nous a assuré Matthias Didier.

La décarbonation du système de santé ne fonctionnera pas sans un travail en profondeur de l’ensemble des établissements de santé autour de la gestion et du tri de leurs déchets. Un aspect sur lequel ils semblent d’ores et déjà nombreux à se mobiliser, mais peinent parfois à trouver des solutions réellement efficaces et pérennes, comme pour le traitement des déchets à usage unique ou encore la délicate question du recyclage des déchets d’activité de soins à risque infectieux, les fameux Dasri.

Les managers hospitaliers auront pour mission de participer à la sensibilisation des équipes et à la communication.

The Shift Project nous interpelle sur un autre aspect, la nécessité pour le secteur de la santé de gérer les conséquences de la dégradation des écosystèmes et des crises climatiques sur la santé des populations et des infrastructures de soin. Tout cela ajouté à la propagation de maladies, à l’augmentation des températures ou encore à l’aggravation des inondations et épisodes de sécheresse.

Un aspect qui n’a d’ailleurs pas échappé à certains de nos interlocuteurs, qui ont directement vécu ces situations sur le terrain. “Les multiples feux de forêt en Gironde à l’été 2022 ont beaucoup contribué à un changement de culture et pas uniquement chez les jeunes, illustre ainsi Matthieu Girier, directeur du pôle RH du CHU de Bordeaux et président de l’Adrhess, l’association des acteurs RH des hôpitaux publics. Car tout le monde s’est senti concerné. De même pour les effets de la canicule, les soignants ont été en première ligne pour constater ces impacts.”

Mobilisation partenariale… et étatique

De la même manière, Thomas Deroche, directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de Normandie, estime que l’été 2022 nous a montré à quel point il est nécessaire de "renforcer collectivement notre action pour préserver les ressources et notamment la ressource en eau en termes de quantité mais également de qualité, expose-t-il. Cette action est partagée par l’ensemble des services de l’État, les acteurs de l’eau et du territoire.” Si, selon lui, beaucoup a déjà été fait en matière de santé environnementale, les chantiers sont encore nombreux. Il semble d’ailleurs que leur mise en œuvre demandera de poursuivre la mobilisation partenariale de l’ensemble des acteurs initiée depuis plusieurs années, “afin d’assurer concrètement la traduction de la transition écologique au cœur des territoires”.

Dans de telles conditions, comment assurer un fonctionnement des services de santé durable et résilient ? interroge plus avant The Shift Project. “Les données publiées par l’association montrent bien à quel point les efforts déployés pour faire de la France une nation écologique ne pourront porter leurs fruits tant que son système de santé ne sera pas durable", analyse de son côté, dans une tribune, Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France. Et d’ajouter que si la volonté est bien là, sur le terrain, l’ampleur des défis plaide pour un accompagnement dense des pouvoirs publics qui doivent, selon lui, aider les établissements de santé à accélérer leur transformation. Sans quoi, prévient-il, “devant un sujet complexe impliquant des changements de comportements structurants et, dans les faits, rarement financé à la hauteur des besoins, les établissements n’auront pas les armes nécessaires pour évoluer au rythme qu’il faudrait”.

Limiter les vulnérabilités

Si le constat d’urgence est largement partagé, la littérature sur l’impact réel du système de santé sur l’environnement manque cruellement. Cet effet est pourtant significatif puisque ses émissions de gaz à effet de serre représentent autour de 49 millions de tonnes de CO2, soit plus de 8 % de l’empreinte carbone en France. “Il est donc inévitable que ce secteur, à l’image de tous les autres, fasse sa part dans la nécessaire baisse des émissions de 5 % par an jusqu’en 2050 qui permet de rester sous les + 2 °C, souligne le rapport. Cela permet également de limiter sa dépendance aux énergies fossiles et les vulnérabilités qui en découlent alors que l’approvisionnement pétrolier de l’Europe est sous tension.” Dans ce contexte, plusieurs principes d’action doivent guider le secteur de la santé. Décarboner passera notamment par une meilleure évaluation des flux physiques sur lesquels repose le secteur afin de prioriser ses actions. Les établissements de santé auront également tout intérêt à faire reposer les mesures de décarbonation sur la preuve et pour cela, financer la recherche evidence-based sur ces sujets. L’urgence sera aussi d’accélérer en matière de formation des professionnels de la santé à l’urgence climatique, à la transition écologique et à l’écoconception des soins tout en montrant, "de front", un engagement sans faille pour un système de santé plus sobre.

L’association enjoint également aux professionnels du secteur de raisonner sur le long terme et de ne pas hésiter à communiquer sur les avancées. Parmi les autres leviers à actionner figure aussi la nécessité de mettre en avant, dans les politiques transversales santé-environnement, les cobénéfices en termes de santé, de climat et de réduction des inégalités, de même que la promotion des enjeux "énergie-climat-santé" auprès des usagers du système de soins.

Rôle central des managers

Par ailleurs, la décarbonation exigera un certain nombre de mesures transverses qui ne s’attaquent pas directement aux flux physiques, mais plutôt au manque de connaissances du secteur sur ses émissions et au manque de formation des professionnels de santé aux enjeux "énergie-climat". Un élément qui n’échappe pas aux responsables de formation des futurs cadres de santé interrogés dans le cadre de ce dossier, à l’image d’Isabelle Richard, directrice de l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Selon elle, les élèves directeurs d’hôpital devront indéniablement impulser la transition écologique. Pour cela, l’école travaille autour de 3 blocs de compétences, à savoir une connaissance générale sur les enjeux scientifiques posés par le réchauffement climatique, les impacts du changement climatique sur les questions de santé et enfin le rôle du manager du secteur de la santé sur ces questions. Un dernier item tout à fait central qui nous donne l’occasion de revenir sur le rôle déterminant que ces derniers auront à jouer dans la décarbonation du système de santé.

Au-delà de la nécessité d’embarquer les équipes sur les questions de transition écologique, les managers hospitaliers auront également pour mission de participer à la sensibilisation de ces équipes et à la communication, tout en se montrant exemplaires sur ces questions et en travaillant de manière collégiale auprès du terrain. Autant d’éléments indispensables pour faire en sorte que l’ensemble des collaborateurs se mobilisent et se sentent investis d’une mission.

Une mission pour laquelle la collaboration est indispensable, tant les inconnues restent nombreuses. “Nous ne pouvons plus opposer les soins et la transformation écologique, résume ainsi Yann Bubien, directeur général du CHU de Bordeaux. Les deux doivent être au cœur de notre projet de santé publique et des missions de service public. Face aux crises que doit affronter notre système de santé, cette transformation nous donne un cap collectif.” Un aspect qui conditionnera la réussite des projets de transformation de l’ensemble du secteur.  

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Club des acteurs publics

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