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Sondage exclusif : les priorités des Français sur l’administration proactive

Selon les personnes interrogées, la démarche d’“aller-vers” les usagers doit surtout se développer pour prévenir les situations sociales et sanitaires à risque. Les Français semblent moins convaincus quand il s’agit de retrouver les allocataires qui ne réclament pas leurs droits. Une enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop.

Alors que les administrations publiques développent depuis quelques années une approche d’“aller-vers” les usagers, notamment dans le domaine social, dans le cas de non-recours aux droits, l’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop révèle que les Français commencent à avoir une idée assez précise des avantages et inconvénients d’une telle démarche [lire la tribune de Jessica Chamba et Hervé de La Chapelle, associés EY Consulting].

Concernant le type de services à prioriser pour développer la démarche d’“aller-vers”, le repérage des “situations de danger ou de risque potentiel au plus tôt et faciliter l’intervention précoce des services sociaux” est cité en premier par les personnes interrogées (30 %), suivi des actions de prévention des services de santé (23 %), de l’accompagnement des personnes les plus fragiles en période de crise sanitaire ou de canicule (19 %), complétant ce trio de tête. L’“aller-vers” pour des prestations sociales, par exemple la proposition d’accès à des aides sociales en fonction des revenus ou d’un changement de situation familiale, est cité en dernier, à 14 %, alors que le projet d’allocation à la source figure bien dans les projets prioritaires des organismes sociaux comme la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

Consentement à l’utilisation des données

En outre, un Français sur 4 considère que l’objectif prioritaire de cette approche d’aller-vers est de “rendre les services publics plus accessibles et adaptés à chaque besoin et situation”, loin devant “l’identification des situations à risque et intervenir en amont, avant que les difficultés n’apparaissent” (15 %). Notons que “le repérage des personnes ne réclamant pas les aides auxquelles elles peuvent prétendre pour les informer et les contraindre” arrive nettement en retrait, puisqu’il est cité par seulement 8 % des Français.

Dans nos sociétés ultranumérisées, la question de la protection des données personnelles est de plus en plus discutée. Sur ce point, une majorité de Français (53 %) accepteraient une utilisation plus importante de leurs données – avec leur consentement – pour offrir ce nouveau service de l’aller-vers. Dans le détail, des écarts en fonction du sexe émergent : les hommes (61 %) adhèrent en effet davantage à une utilisation plus importante de leurs données personnelles que les femmes (47 %).

Paradoxalement, bien qu’une majorité de Français accepteraient une utilisation plus importante de leurs données personnelles, seulement 38 % d’entre eux seraient favorables à un assouplissement du RGPD (la réglementation européenne sur la protection des données) pour favoriser le partage de leurs données personnelles. Et sur ce point, là encore, l’étude met en exergue des différences au regard du sexe : 44 % des hommes se déclarent en effet favorables à cet assouplissement contre 33 % des femmes.

Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop

L’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop a été menée par questionnaire auto-administré en ligne du 3 au 4 octobre 2023 auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) après stratification par régions et catégories d’agglomération.

ANALYSE

“Aller-vers” les usagers : une évolution forte des pratiques
et de la relation entre citoyens et services publics

Par Jessica Chamba, associée EY Consulting, secteur social et médico-social,
et Hervé de La Chapelle, associé EY Consulting, responsable “secteur public France”

Les administrations publiques (collectivités, État, caisses de protection sociale…) s’inscrivent de plus en plus dans une dynamique d’“aller-vers” les usagers. Le principe est de proposer une aide ou un accompagnement aux personnes en fonction de leur situation, sans nécessairement attendre que celles-ci aient formellement exprimé une demande d’intervention.

Cette démarche s’est fortement accélérée ces dernières années, répondant notamment à de nombreux engagements pris par les organismes publics dans le cadre de leurs conventions d’objectifs et de gestion (COG). Ainsi, toutes les caisses de protection sociale ont été amenées à développer de nouveaux services, plus proactifs, d’accès aux droits et aux prestations.

• Les caisses d’allocations familiales (CAF) déploient de nombreuses actions de repérage des situations de fragilité pour agir en amont. Elles proposent par exemple des offres d’accompagnement renforcées en cas de décès d’un enfant ou d’un membre de la cellule familiale, une intermédiation financière pour le versement de la pension alimentaire qui se met en place automatiquement sauf refus, etc.

• Depuis plusieurs années, la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) développe des actions de prévention santé en proposant de nombreux dépistages systématiques et gratuits en fonction de l’âge ou du genre des assurés, comme les dépistages bucco-dentaires des enfants, les dépistages des cancers les plus fréquents (cancer du sein, cancer de la prostate…), des actions de prévention du diabète, du tabagisme ou de prévention cardiaque.

• La Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) envoie des courriers d’information pour préparer sa retraite et propose des rendez-vous conseil très tôt.

Nous observons ainsi une adoption de plus en plus systématique et large de l’“aller-vers” dans cette évolution des politiques sociales. Le dernier exemple emblématique en date est sans doute celui de la solidarité à la source : verser automatiquement des aides sociales (RSA et prime d’activité pour les personnes éligibles connues de l’administration) représente un changement de culture majeur tant pour les usagers que les agents !

Dès lors, si certains peuvent encore s’interroger sur les coûts de ces dispositifs – la politique d’aller-vers coûtant nécessairement plus cher dans un premier temps, puisqu’elle vise à donner accès à des droits ou à proposer des services à des personnes qui ne les ­demandaient pas jusqu’alors –, il s’agit là d’une vision de court terme et qui n’intègre pas les coûts globaux pour la société. Plusieurs études existent pour démontrer qu’une politique de prévention santé coûte moins cher à l’ensemble du système que l’intervention en urgence, sur des situations sociales ou de santé très dégradées… sans parler de l’intérêt pour l’amélioration de la qualité de vie, qui est évident.

Il est donc naturel que cette dynamique d’“aller-vers” s’inscrive de plus en plus au cœur de la relation de services entre les organismes de protection sociale et leurs usagers. La Cnam s’engage par exemple à multiplier par 4 les moyens consacrés à sa politique d’“aller-vers” pour la prévention et l’éducation en santé entre 2023 et 2027.

Dès lors, comment faire pour renforcer encore plus cette tendance ? La politique d’aller-vers nécessite de développer une approche globale combinant :
- la technologie, et en particulier les techniques d’analyse des données pour mieux cibler et repérer les personnes et leur proposer des services sur mesure ;
- l’approche terrain, afin de comprendre les spécificités, d’identifier l’écosystème d’acteurs mobilisables et d’apporter les réponses appropriées. En effet, certaines modalités d’intervention peuvent s’avérer inadaptées en fonction des territoires et des contextes géographiques, sociaux ou des conditions d’habitat, notamment pour les territoires ultramarins ;
- la mobilisation de l’écosystème des acteurs locaux, afin de s’appuyer sur leur connaissance des situations pour compléter le repérage des plus éloignés, inconnus du système et ne figurant pas dans les bases de données : quels sont leurs profils ? Pourquoi leur non-recours ? Quels sont les intermédiaires de confiance permettant de créer le lien, notamment les associations agissant au plus près de ces populations (maraudes, accueils anonymes, numéros verts…) ?

Elle suppose également une véritable transformation des pratiques professionnelles et des modes de relation à l’usager. L’“aller-vers” représente en effet un réel changement du rapport à l’usager, consistant à passer d’un service public de “demande” (j’entreprends une démarche afin d’accéder au service) à un service public “d’offre” (je suis contacté pour me présenter ce à quoi j’ai droit). Cette démarche rompt avec l’idée que l’intervention sociale ferait systématiquement suite à une demande exprimée. Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non-demande de certains publics (pas seulement des personnes vulnérables) et engage les acteurs à se situer dans une pratique proactive, pour entrer en relation avec ces publics.

Nouvelles pratiques professionnelles

Ce changement d’approche implique un accompagnement managérial, car il faut expliquer le sens de ces évolutions et rassurer sur le fait qu’il ne s’agit pas d’ajouter du travail à une charge déjà lourde pour les agents, mais de changer de pratique, de méthode de travail.

Cela nécessite également d’outiller les professionnels pour faciliter ce changement d’approche (méthodes, outils, formation, accompagnement, etc.), afin d’abord de développer de nouvelles pratiques professionnelles se basant sur une plus forte intégration avec les partenaires du territoire, mais aussi d’accepter le fait que, in fine, l’usager reste libre de se saisir ou non de ces nouvelles propositions d’accompagnement.

Enfin, ces nouvelles approches doivent nécessairement pouvoir s’appuyer sur les outils numériques pour être les plus efficaces possibles. Ainsi, EY a accompagné des expérimentations permettant de repérer des situations d’enfants en danger plus tôt afin d’intervenir de façon plus précoce ou encore de prévenir les expulsions locatives en repérant et en accompagnant plus tôt les familles à risque. Les outils numériques ont constitué une brique indispensable du passage à l’échelle et de l’efficacité de ces projets.

L’enjeu d’arriver à rassurer les Français sur l’utilisation de leurs données par les pouvoirs publics constitue un défi majeur si l’on souhaite que les administrations puissent réellement se saisir de ces données et offrir des services plus personnalisés aux citoyens-usagers. Il semble d’ailleurs que les administrations en soient conscientes, comme en témoigne, par exemple, la campagne de communication de la direction générale des finances publiques : “Dites-le nous aussi” ! Gageons que les citoyens seront rassurés avec une montée en puissance rapide de l’“aller-vers”, proposant de nouveaux services adaptés à leur situation.

Pour une démarche volontariste d’utilisation de la donnée
L’“aller-vers” est aujourd’hui l’un des axes les plus opérationnels pour venir en appui des collectivités désireuses de s’engager dans une démarche d’innovation numérique visible. Cette démarche est reconnue pour renforcer le lien de confiance avec les administrés, améliorer et adapter les offres de services en matière d’accessibilité (à toute heure et sur tout le territoire), de simplification des procédures, de temps de réponse et de transparence.
Ce n’est pas pour autant une mise en œuvre “facile” pour les collectivités, confrontées parfois à une posture réfractaire des élus exprimant à la fois une crainte et une conviction : l’usage accru de la donnée pourrait nuire plus qu’il n’apporte. Les arguments reposent souvent sur les risques d’atteinte à la vie privée, de perte de souveraineté, les craintes liées à la technologie… L’enjeu restera toutefois de choisir plutôt que subir en instaurant une gouvernance et une démarche volontariste d’utilisation de la donnée et de modernisation des services.
Au-delà de rendre accessibles leurs services administratifs, plusieurs collectivités ont également saisi l’opportunité de l’“aller-vers” en déployant des solutions numériques (injection de jeux de données dans des modélisations et visualisation 3D) permettant d’organiser la concertation et d’aider à la décision publique dans la conception de leurs projets urbains.
Une mise en œuvre réussie de l’“aller-vers” nécessite un accompagnement dans les différentes étapes de la gestion de la relation usager (GRU) : de la compréhension et du cadrage des enjeux de la collectivité à l’analyse des parcours et données usagers – y compris par l’animation d’ateliers de définition des besoins et de gestion des canaux de diffusion –, puis à la définition des cibles GRU et enfin l’accompagnement vers le choix de la solution la plus pertinente au regard de la capacité à faire pour la collectivité.
Emmanuel Tremouille, associé EY Consulting “secteur public”

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Club des acteurs publics

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