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Nomination à la section du contentieux : jeux et enjeu de pouvoir au Conseil d’État

La présidence de la section chargée de la fonction juridictionnelle a été confiée à Christophe Chantepy, très marqué politiquement. Une nomination qui ne passe pas inaperçue à un an de la succession de Bruno Lasserre à la vice-présidence du Palais-Royal.

Christophe Chantepy, président de la section du contentieux du Conseil d’État à compter du 27 janvier.

C’est une nomination sensible qui a surpris, à divers titres. Christophe Chantepy, ancien directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault à Matignon (2012-2014) et ancien directeur de cabinet de l’équipe de la campagne de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007, actuel président de la 3e chambre de la section du contentieux, a été nommé, le 13 janvier, à la présidence de cette section. Il remplace Jean-Denis Combrexelle, nommé en mai 2018 après avoir été, notamment, l’indéboulonnable directeur général du travail, rue de Grenelle, durant treize ans.

La présidence du contentieux est aussi méconnue que stratégique, cette section étant à elle seule ni plus ni moins que le pendant de la Cour de cassation dans l’ordre administratif. Tout à la fois conseiller du gouvernement et juge suprême, le Conseil d’État a en effet concentré ses attributions juridictionnelles dans cette section dont il a obtenu, en 2016, que les 10 sous-sections soient rebaptisées en chambres, afin de la rendre plus compréhensible aux yeux des justiciables, mais aussi d’établir un parallélisme sémantique avec sa rivale du Quai de l’horloge…

Le Conseil d’État restant le Conseil d’État, il n’adopte pas pour autant tous les codes de l’ordre judiciaire, comme en témoigne la nomination de Christophe Chantepy. Difficile, en effet, d’imaginer un profil aussi marqué politiquement nommé à la présidence de la Cour de cassation… Au Palais-Royal, une maison à mi-chemin entre justice et État, les choses vont autrement et d’autres considérations RH priment, quitte à donner l’image d’une institution un peu dans sa bulle, en retrait d’une société française défiante et suspicieuse.

Le Palais-Royal à la manœuvre

Car que l’on ne s’y trompe pas, en dépit du formalisme du décret de nomination signé par le Président Macron, pris en Conseil des ministres du 13 janvier sur proposition du garde des Sceaux, c’est bien le Conseil d’État qui est à la manœuvre de cette nomination, de bout en bout. L’usage, très ancien pour le président de la section du contentieux, remonte à la IIIe République et il n’y a jamais été dérogé. Le bureau du Conseil d’État (c’est-à-dire le vice-président, les 7 présidents de section et le secrétaire général) propose un seul nom au pouvoir exécutif et ce nom est toujours retenu. Il en propose 3 pour les autres sections consultatives.

La force de proposition du Conseil d’État est telle que même en 1964, le général de Gaulle consentit à nommer Pierre Laroque président de la section sociale, alors que celui-ci avait été, moins de deux ans auparavant, et de manière notoire, l’un des rédacteurs de l’arrêt Canal. Ce célèbre arrêt avait annulé, à la fureur du Général, la création d’une juridiction spéciale, la Cour militaire de justice, chargée de juger, suivant une procédure spéciale et sans recours possible, les auteurs et complices de certaines infractions en relation avec la guerre d’Algérie.

En 2008, Nicolas Sarkozy avait bien tenté de formuler des contre-propositions de nomination pour la présidence de la section de l’administration, qui venait alors d’être créée, ce qui ne lui permit pas d’imposer son candidat mais, à défaut, d’obtenir que le Conseil d’État revoie son choix initial. L’institution d’un examen par la Commission supérieure du Conseil d’État pour les nominations de présidents de section date de cette époque-là. La première nomination d’un conseiller d‘État comme président de section (un grade autant qu’une fonction) est ainsi soumise à la commission consultative. Une manière de renforcer la main du Conseil d’État dans le processus de nomination face au pouvoir politique... Christophe Chantepy aurait, en l’occurrence, obtenu un avis quasi unanime des membres de ladite commission supérieure le 7 janvier.

Bien connaître pour bien juger

Néanmoins, sa nomination semble avoir surpris en interne. D’une certaine manière, le bureau poursuit une inflexion donnée en 2018, au crépuscule de la vice-présidence de Jean-Marc Sauvé, avec la nomination d’un ancien pilier de l’administration centrale comme Jean-Denis Combrexelle. Historiquement, le profil du président du contentieux était celui d’une personne préparée et mise à l’abri, en quelque sorte, pour la fonction. L’idée étant que l’heureux élu ne s’éloigne pas du Palais-Royal, et surtout qu’il ne se perde pas dans les affres du pouvoir. Des exceptions sont venues confirmer cette règle implicite : Tony Bouffandeau, président du contentieux de 1952 à 1961, avait appartenu aux cabinets des ministres radicaux, dont Chautemps, dans les années 1930 et il avait lui-même été conseiller général. Dans un autre genre, Bernard Stirn a présidé la section en 2006, vingt-deux ans après avoir dirigé le cabinet du secrétaire d’État Roger-Gérard Schwartzenberg.

“Chantepy a servi des politiques qui n’ont plus rien à voir avec le pouvoir en place, le défend l’un de ses collègues en plaidant la prescription. Il n’a plus aucun engagement politique aujourd’hui. Il n’a plus de carte, ne milite plus, ne cotise plus. Il a montré au contentieux sa grande impartialité et le pouvoir ne lui a jamais tourné la tête, ce qui a frappé ses pairs à chaque fois qu’il est revenu d’un poste en cabinet. Il ne parle pas de ce qu’il a fait, il prend ses dossiers avec humilité.”

Dans l’inflexion récente du profil du président du contentieux, il y a l’idée que pour bien juger l’administration, il faut la connaître de près et pour cela, l’avoir pratiquée. En somme, oui à la légitimité interne, évidemment, d’abord et avant tout. Mais oui aussi aux mobilités externes qui ne doivent pas handicaper ou disqualifier pour l’accession à des postes à responsabilité au sein de la section du contentieux, y compris la présidence. Et ce d’autant plus que la présidence de la section requiert de manière croissante quelques qualités de management (susciter de l’adhésion dans ce temple de la collégialité, en particulier), que l’on n’acquiert d’autant plus aisément que l’on a dirigé des équipes.

Christophe Chantepy a passé quinze de ses trente-quatre années de carrière à l’“extérieur”, dont dix en cabinet ministériel et cinq en ambassade. Il a, par ailleurs, la plus longue ancienneté au sein du G14, le comité de gouvernance de la section qui réunit le président de section, ses 3 adjoints et les 10 présidents de chambre. Avant lui, la nomination de Combrexelle visait à envoyer le même message, quand bien même ce dernier n’avait pas fréquenté les cabinets, mais en revanche bien plus assidument l’administration.

Succession du vice-président

Un autre message porté par cette nomination a trait au rapport au temps, une donnée fondamentale dans une maison comme le Palais-Royal où l’âge des impétrants détermine la durée de leur bail, ces derniers restant ensuite inamovibles jusqu’à l’âge de la retraite (67, 68 ou 69 ans, selon le nombre d’enfants et les postes visés). Le choix de Christophe Chantepy témoigne de la volonté de choisir un président du contentieux pour une durée raisonnable (cinq ans et demi). Manifestement, le Conseil d’État n’entend pas ou n’entend plus pousser à des présidences longues, comme celles de Bernard Stirn au contentieux (onze ans et demi), d’Yves Robineau à l'intérieur (près de douze ans), de Philippe Martin aux travaux publics (près de neuf ans) ou des derniers vice-présidents du Conseil, Marceau Long, Renaud Denoix de Saint Marc et Jean-Marc Sauvé, qui ont régné pendant trente et un ans à eux trois. Bref, les responsabilités doivent tourner.

Dans ce contexte, le temps ne semblait pas encore venu de nommer à la tête du contentieux Jacques-Henri Stahl, pourtant auréolé d’une cote d’enfer chez les bookmakers, en interne. Ce dernier, actuel président adjoint de la section et ancien numéro deux du secrétariat général du gouvernement dans les années 2000, en aurait eu pour plus de treize ans. Il en allait de même pour Patrick Frydman, président de la cour administrative d’appel de Paris, parfois cité pour le poste et qui, lui, serait resté en place plus de sept ans.

Reste une question en suspens : cette nomination aura-t-elle un impact sur la course à la succession de Bruno Lasserre, désigné à la vice-présidence de l’institution en mai 2018 et qui sera atteint par la limite d’âge le 4 janvier 2022 ? Jusqu’alors, la compétition a paru dominée par Marc Guillaume, conseiller d’État clivant et candidat putatif, dont la campagne a été parasitée depuis un an, successivement par l’affaire Delevoye, par son éviction du secrétariat général du gouvernement liée à sa personnalité et à son style managérial, puis plus récemment, par ses liens avec le politologue Olivier Duhamel. A-t-on voulu envoyer un message au Président Macron, dont personne n’a oublié qu’il serait le seul à décider du choix de la vice-présidence ?

Campagne feutrée

“Il n’y a aucun jeu de billard à 4 bandes, à chaque moment suffit sa peine”, tempère un membre du Conseil. Une analyse loin d’être partagée par tous. “Chantepy devient objectivement une option pour la vice-présidence, mais je crois surtout qu’en le retenant comme président du contentieux, le bureau, a sans doute voulu faire passer l’idée qu’une vice-présidence de plus de douze ans (celle de Marc Guillaume) ne serait pas appropriée, car trop longue”, subodore un autre membre du Conseil. Il faut aussi se rappeler que Marc Guillaume et Jacques-Henri Stahl sont issus de la même promotion de l’ENA (Victor Hugo, 1991). La nomination de Stahl aurait pu permettre au préfet de la région Île-de-France d’arguer d’une sorte de parallélisme des formes : puisqu’un de ses condisciples de promo avait pu obtenir le contentieux, lui-même pourrait décrocher le Graal, la vice-présidence, sans se voir objecter son jeune âge ou la durée trop longue de sa présidence. De fait, le choix de Chantepy le prive de cet axe de campagne et fait même passer le message contraire. Palais-Royal, ton univers impitoyable…

Quoi qu’il en soit, la clé résidera d’abord et avant tout dans la relation Macron-Guillaume, ce qui n’empêchera pas ce dernier de s’assurer qu’aucun vent contraire ne souffle en interne. Ces dernières année, l’ex-secrétaire général du gouvernement a mené au sein du Conseil une campagne efficace autour de l’idée qu’il n’y avait aucune alternative, le personnage rassurant les uns et effrayant les autres. Parfois les mêmes… Mais son éviction l’été dernier de Matignon a quelque peu grippé cette formidable mécanique et semé le doute dans les esprits.

Dans cette année charnière de campagne feutrée, certains membres du Conseil réfléchissent d’autant plus à une alternative qu’ils imaginent avec effroi un autre scénario plausible, plus corrosif : après avoir brisé en 2018 la tradition des vice-présidences longues, Emmanuel Macron pourrait être tenté de recruter un conseiller d’État au tour extérieur dans les tous prochains mois, qu’il nommerait vice-président en janvier 2022. Face à une ouverture aussi audacieuse qu’inédite (à la différence de la Cour des comptes), la maison se braquerait-elle ? Comme en témoignent les nominations de Combrexelle et Chantepy, les hautes autorités du Conseil d’État veulent sans doute un peu d’air. Mais pas forcément un gros courant d’air. Le Président sera-t-il joueur ?

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