Partager

6 min
6 min

“L’enseignement à la transition écologique ne peut se résumer à un module parmi d’autres dans le futur INSP”

Dans cet entretien pour Acteurs publics, 3 membres d’un collectif d’élèves de la haute fonction publique soulignent la nécessité que la formation du futur Institut national du service public (INSP) prenne fortement en compte les enjeux de transition environnementale et durable. Raphaëlle Gresset, de l’École nationale d’administration, Angel Prieto, du corps des Mines, et Jean-Baptiste Turmel, du corps des ingénieurs des Ponts, des eaux et des forêts estiment que la mise en place d’un tronc commun de formation et des approfondissements spécifiques à chaque filière sont indispensables.

Élèves des écoles de service public, vous lancez un collectif pour placer la transition écologique et solidaire au cœur de l’enseignement du futur Institut national du service public (INSP). Cet enseignement n’est-il pas déjà proposé ?
Le tronc commun du futur INSP prévoit une formation commune des élèves sur 5 thèmes, dont l’un est la transition écologique, et c’est une excellente nouvelle. Quinze à vingt heures d’enseignement numérique seraient consacrées à chacun de ces piliers. Néanmoins, cela nous semble largement insuffisant pour aborder les problématiques de la transition écologique. En effet, les élèves des différentes écoles concernées sont nombreux à se sentir insuffisamment compétents et trop peu armés pour répondre aux urgences environnementales, en particulier sur le terrain. Étant donné la complexité de la transition écologique et l’ampleur des changements nécessaires, l’ambition doit impérativement être rehaussée : s’il s’agit uniquement de valider des modules de cours en ligne, la transformation profonde des mentalités, nécessaire pour conduire la transition, n’aura certainement pas lieu.

Alors que le futur tronc commun de l’INSP prévoit 5 piliers de formation distincts, vous vous concentrez sur la question environnementale. Pourquoi ce choix ?
L’urgence écologique appelle à une transformation de grande ampleur : le système socio-économique actuel nous envoie droit dans le mur, un changement de paradigme est nécessaire. Si les pistes de solutions ne manquent pas, leur mise en œuvre est complexe car elle requiert de remettre en question le statu quo actuel, de lutter contre l’inertie. Différents objectifs environnementaux peuvent aussi entrer en tension : les énergies renouvelables suscitant des oppositions au nom de la biodiversité en sont un exemple. Trouver des solutions concrètes est un énorme défi, l’un des principaux, sinon le principal, que nous allons devoir relever au XXIe siècle. Et la puissance publique, en particulier l’administration, a un rôle clé à jouer pour accompagner cette transformation. Face au caractère systémique des défis environnementaux, le traitement de ces enjeux de façon cloisonnée n’est plus possible. Les enseignements du futur INSP devront tisser des liens entre thématiques, en transversalité, afin de développer chez les futurs fonctionnaires une capacité à appréhender des problèmes complexes, sortant parfois de leurs domaines de compétences initiaux. L’enseignement à la transition écologique est primordial et ne peut se résumer à un module parmi d’autres : il doit au contraire “percoler” dans la majorité des disciplines de la future formation commune des hauts fonctionnaires, et plus généralement des formations de la fonction publique. 

Quels sont les messages principaux que votre collectif porte sur le sujet de la formation ? 
Nous pensons que tous les fonctionnaires ont une responsabilité particulière pour accompagner la transition écologique, et donc que la formation à ces enjeux devrait dépasser le seul périmètre de la formation de l’INSP, voire des formations spécifiques à chaque école de service public. Tous les fonctionnaires devraient bénéficier d’une formation initiale à la hauteur du défi à relever. De même, au vu de l’urgence écologique, la formation continue doit être mobilisée comme un outil pour sensibiliser et armer les fonctionnaires en poste, qui occupent des fonctions à responsabilités aujourd’hui. Cette formation devrait a minima avoir trois ambitions. D’abord, donner à chaque fonctionnaire les outils pour prendre la pleine mesure des défis environnementaux et de leur complexité. Ensuite, faire de ces fonctionnaires des femmes et des hommes conscients de leurs responsabilités pour accompagner la France dans le changement de paradigme que réclament les limites environnementales. Enfin, elle doit apprendre à créer des liens, des réseaux et des partenariats à tous les niveaux : entre fonctions, entre ministères, entre administrations, entre secteurs, etc., tout en favorisant la créativité dans la recherche et la mise en œuvre de solutions concrètes. Le problème est complexe, l’enjeu est de taille, faisons le nécessaire pour bâtir ce socle commun de compétences sans lequel nous ne pourrons être pertinents collectivement !

Une approche magistrale des enjeux environnementaux ne peut suffire à une prise de conscience profonde de l’urgence écologique.

Quels pourraient être les outils pédagogiques mobilisés pour la formation aux enjeux environnementaux que vous envisagez aujourd’hui ? 
Nous pensons indispensable de disposer d’un socle solide de connaissances et de compétences qui nous permette de penser le changement à mettre en œuvre et de l’incarner dans nos métiers. Mais une approche magistrale des enjeux environnementaux ne peut suffire à une prise de conscience profonde de l’urgence écologique : pour cet enseignement, aucune des dimensions du triptyque “tête-corps-cœur” ne devrait être négligée. Sur le volet théorique, notre formation doit cultiver notre capacité à la controverse et au doute ainsi que notre esprit critique, notamment grâce à un lien considérablement renforcé avec le monde de la recherche. Elle doit impérativement intégrer et faire dialoguer sciences naturelles et sciences humaines pour traiter les problématiques de l’écologie. Cela peut passer par des séminaires scientifiques dans les filières administratives ou par des courts projets de recherche inter-écoles sur le sujet en croisant les regards entre disciplines.
Sur le volet pratique, cette formation doit s’appuyer sur des études de cas, notamment de réalisations qui ont fait leurs preuves, par exemple la visite de sites naturels, d’entreprises, d’espaces agricoles, de territoires qui ont réussi leur transition. Cette étape est indispensable pour que demain, nous soyons capables d’inventer et de soutenir de nouvelles voies en faveur d’une transition concrète, dans la confrontation avec le réel et au-delà des solutions toutes faites. Sur le volet éthique, notre formation doit nous insuffler une éthique de la responsabilité environnementale de l’administration et un sens du devoir que nos parcours professionnels nous permettront d’incarner.

Quel contenu une formation pertinente aux enjeux environnementaux pourrait-elle proposer ? 
Cet enseignement devrait remplir plusieurs objectifs, conditionnant son contenu. Tout d’abord, elle devra faire “prendre conscience”, c’est-à-dire faire percevoir à tous les hauts fonctionnaires en formation l’ampleur des dérèglements en cours et à venir, l’urgence à agir et l’étendue des transformations à mettre en œuvre, sur les questions de climat, de biodiversité, de finitude des ressources, ou encore d’énergie. Par exemple, une formation par des “Fresques du climat”, ou encore une sensibilisation aux ordres de grandeur des changements nécessaires à la transition, semblent adéquats. Ensuite, elle devrait permettre de développer un “réflexe écologique” chez ces fonctionnaires en devenir, afin que les enjeux environnementaux éclairent systématiquement les décisions qu’ils seront amenés à prendre dans l’administration. Par exemple, de même que chaque politique est budgétée, elle doit être “budgétée” environnementalement, dans tous les domaines : santé, économie, industrie, infrastructures, numérique, diplomatie, etc. Finalement, la prise de conscience et le “réflexe écologique” devront être complétés d’une connaissance de l’arsenal écologique à la disposition des hauts fonctionnaires (par exemple en matière juridique ou technique) : comment, concrètement, aller dans le sens de la transition écologique lors de la mise en œuvre de politiques publiques ? Comment conduire la transition interne d’un établissement public ? Un tel socle de formation transverse devra par ailleurs être pris en compte dès les concours d’entrée, puis faire partie de la formation continue de tous les fonctionnaires.

La mise en place d’un tronc commun est l’occasion de bâtir une culture et un référentiel partagés qui poseront les bases d’une coopération transverse au sein de l’administration.

Quelles seraient les déclinaisons de cet enseignement selon les filières ? Cette formation serait-elle au contraire uniforme entre filières ? 
La mise en place d’un tronc commun est l’occasion de bâtir une culture et un référentiel partagés qui poseront les bases d’une coopération transverse au sein de l’administration. C’est une étape clé, et l’embryon du module qui verra le jour dans quelques mois est un premier pas prometteur. Elle ne saurait cependant se substituer à des approfondissements spécifiques à chaque filière, déclinés à l’échelle de chaque école de service public. Un directeur d’hôpital devrait être capable de comprendre les interactions croisées entre santé et environnement. Un ingénieur d’État devrait être formé à cerner les liens entre développement économique et industriel et émissions de gaz à effet de serre, extinction de la biodiversité et raréfaction des ressources. Un ingénieur territorial devrait pouvoir appréhender les enjeux de transformation des collectivités. D’autant plus que les écoles peuvent être assez libres de la façon dont elles procéderont : nous espérons qu’elles iront plus loin que l’ambition initiale du projet, en approfondissant les contenus proposés par la formation commune, et en les déclinant au regard des spécificités des carrières auxquelles elles forment. 

Au-delà de la formation des élèves fonctionnaires, vous insistez sur les carrières des agents de la fonction publique. Quels défis le service public doit-il relever dans ce domaine ? 
Il nous semble urgent de garantir que nos futures missions soient compatibles avec les ambitieux engagements internationaux de la France en matière de transition écologique. Ceci devrait être une évidence, mais ne va pas de soi, comme nous le constatons au regard de certains postes qui nous sont proposés après nos formations. Nous demandons donc à nos futurs employeurs que les propositions de poste en sortie d’école, puis tout au long de nos carrières, explicitent la manière dont nos fonctions participeront à atteindre ces engagements, par exemple de manière très concrète dans les fiches de poste.

Propos recueillis par Sylvain Henry

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×