Partager

7 min
7 min

Laurent Chambaud : “Comment redonner envie aux jeunes de se tourner vers la fonction publique”

Directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de 2013 à septembre 2022, Laurent Chambaud analyse dans cette tribune les causes du défaut d’attractivité de la fonction publique et propose des pistes pour inciter les jeunes à se tourner vers ses métiers.

L’attractivité dans les fonctions publiques est un enjeu majeur qui, depuis quelques années, rythme les préoccupations des responsables des écoles de service public. À chaque rentrée, se pose la question de la divergence entre le nombre de places offertes (ou “théoriques”) et le nombre de places réellement occupées à l’issue du processus de sélection. C’est ainsi ce que j’ai pu vivre jusqu’à cette année dans les fonctions de directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), école qui possède la particularité d’être à la fois une école de service public et un établissement d’enseignement supérieur recevant des étudiants et hébergeant des équipes de recherche labellisées. C’est avec cette expérience que j’aimerais partager quelques réflexions à la fois sur les raisons d’un tel déficit et sur les moyens de “redonner envie” aux jeunes de se tourner vers ces métiers et ces fonctions.

Avant de se pencher sur les causes d’une telle désaffection, il me semble important de soulever deux points majeurs. Le premier a trait à l’étendue de ce problème et le second à la méthode pour objectiver ce problème. Parler du champ, c’est admettre qu’il existe une transformation majeure des attentes des nouvelles générations qui dépasse de loin les métiers des fonctions publiques. Cette transformation s’est accrue avec la crise liée à la pandémie due au Covid-19, avec une difficulté majeure de recrutement dans certains métiers (restauration, métiers des services…), mais elle se ressent de manière globale. Pour prendre un exemple que je connais bien, les facultés de santé connaissent cette année une crise majeure et sans précédent d’entrée dans les études de pharmacie ou de maïeutique. De manière plus générale, l’ensemble des métiers sanitaires et sociaux sont questionnés non seulement en termes d’attractivité, mais également par le départ des personnes occupant de tels emplois.

La méthode doit également être soulevée en premier lieu. Cette question consiste à reconnaître que si nous avons partagé des impressions et des réalités entre chaque école de service public sur ce sujet, il n’existe pas de modalités communes et robustes pour mieux connaître l’importance du phénomène, pour en suivre l’évolution et pour permettre d’en analyser plus finement les raisons. Le Réseau des écoles de service public (RESP) s’est saisi il y a plusieurs mois de ce sujet, mais il faudrait qu’il puisse être relayé et soutenu par une véritable implication des ministères concernés, en premier lieu celui chargé de la Fonction publique.

Il existe une transformation majeure des attentes des nouvelles générations qui dépasse de loin les métiers des fonctions publiques.

En l’absence d’études approfondies permettant d’aller au-delà d’impressions, je formulerai 4 hypothèses sur les raisons qui sous-tendent le peu d’appétence des jeunes pour ces trajectoires professionnelles.

Les faibles rémunérations dans les métiers des fonctions publiques sont souvent avancées comme un argument central, voire unique. Il me semble que ce point mérite d’être relativisé. Il est probablement un argument plus important pour les métiers peu qualifiés, d’autant plus que ces métiers sont fragilisés par le recours à des contractuels. Il est probablement également un enjeu majeur pour des métiers qui ont perdu une forme de reconnaissance sociale, le salaire en étant une traduction forte. C’est notamment le cas pour les enseignants, mais également pour les métiers de la recherche. Mais d’autres considérations entrent en jeu qui doivent faire l’objet d’attention.

Un autre facteur mérite d’être avancé, qui a trait à une transformation majeure de nos sociétés et s’exprime avec force chez les jeunes. Il s’agit de la pérennité des emplois. C’était un atout majeur des fonctions publiques. On y accédait grâce à un concours qui nous garantissait non seulement un emploi, mais une trajectoire de promotion professionnelle tout au long de notre vie. Il apparaît que cette “trajectoire” ne fait plus rêver les jeunes. Bien au contraire, ce type d’argument devient contre-productif, car il donne une image d’enfermement, de sillon tout tracé dont il est difficile de s’extraire. On le voit, dans un autre domaine, avec l’effondrement des installations chez les jeunes médecins. Auparavant, un étudiant qui terminait ses études payait pour “acheter une patientèle”. Cette pratique s’est évanouie avec l’incapacité des médecins en cabinet à trouver une personne pour les remplacer. Cette propension à ne pas se projeter sur un temps long doit également, à mon sens, être mise en perspective avec une appréhension, aux deux sens de ce terme, des défis auxquels nos sociétés et la planète sont confrontées. Peut-on se projeter quand les crises mondiales surviennent les unes après les autres, quand le réchauffement climatique peut affecter la survie même de notre humanité ?

L’attractivité doit également être questionnée au regard de la diversité. De nombreuses initiatives ont été lancées ces dernières années pour permettre de recruter des personnes venant de milieux stigmatisés, de zones défavorisées ou de milieux ruraux éloignés. Que ce soient les classes préparatoires intégrées, remplacées par les classes “prépa talents”, les “cordées de la réussite” ou les engagements associatifs, les initiatives foisonnent. Malgré cette prise de conscience institutionnelle, a-t-on vraiment profondément fait bouger le curseur ? A-t-on permis à tous ces jeunes d’envisager la possibilité d’une telle carrière ? Comment briser ce plafond de verre ? Ces questions interrogent le système de méritocratie à la française. Elles devraient également obliger à renforcer les interfaces entre le monde universitaire et les écoles de service public. Ainsi, à l’EHESP, les places dans la classe “prépa talents” ne sont pas saturées, principalement par l’absence de connaissance de ce dispositif dans les filières académiques du social et du sanitaire. Enfin, même si son effet ne sera visible qu’à long terme, il faudrait investir massivement dès le niveau scolaire pour renforcer et accompagner les jeunes dans leur capacité à tout simplement envisager ces carrières. Enfin, il me semble qu’il ne faut pas exclure une réflexion sur le mode d’organisation et de gestion des organisations s’inscrivant dans les fonctions publiques. À l’heure où sont fortement poussées les notions de codéveloppement, où existe une forte sensibilité à des conditions d’exercice professionnel qui autorisent et même facilitent la créativité, l’initiative et le travail en équipe, les services publics sont encore bien trop ancrés sur des notions d’organisations verticales et bien timorés pour laisser une marge d’autonomie dans l’exercice professionnel de leurs agents.

Il est à mon sens majeur de proposer des perspectives européennes et internationales.

Ce sévère constat ne doit pas inciter à l’inaction, bien au contraire. On voit bien que les ministères prennent la mesure de l’ampleur de la tâche et souhaitent se mobiliser, car sinon c’est l’ensemble de l’action de la puissance publique qui risque d’être paralysée. Mais où sont les leviers ?

Le premier, correspondant au premier des obstacles identifiés, a trait aux rémunérations. Il semble évident qu’une des marques les plus fortes de la reconnaissance d’un métier, d’une fonction réside dans la hauteur de ses rémunérations. Mais, outre le fait que cela induit une réflexion globale sur la hiérarchie des salaires dans un pays comme le nôtre, il serait, à mon avis, vain de penser que seul cette variable est en mesure de lutter contre la perte d’attractivité.

Un élément qui me semble capital est de parier sur les valeurs. Le service public véhicule des valeurs d’altruisme, de solidarité, de justice, de neutralité, d’équité qui sont des points cardinaux de la vie en société. Les jeunes, de plus en plus, sont à la recherche d’un travail qui “fait sens”. Ce besoin peut être comblé dans de nombreux métiers des fonctions publiques, mais il est peu visible et pas assez incarné. Il y a là un travail de sensibilisation et d’information, non seulement par la voie de grandes campagnes nationales, mais également en facilitant des initiatives locales prises par de jeunes fonctionnaires pour incarner ces valeurs.

La réponse au cloisonnement et au besoin des jeunes de ne pas se laisser enfermer doit être discutée et réfléchie. Une des pistes, abordée par le gouvernement précédent, est de faciliter les passerelles, par exemple, au niveau des écoles de service public, en élaborant des contenus transversaux. C’est un premier pas, mais qui doit être poursuivi et mis en pratique. Pour ma part, même si existent quelques “histoires de chasse” de fonctionnaires ayant radicalement changé de voie, il faudrait avant tout penser à développer des passerelles entre des domaines proches ou connexes. Ainsi, un directeur d’hôpital, avant de penser devenir commissaire de police, devrait pouvoir envisager une carrière qui puisse passer aisément de l’hôpital à une collectivité territoriale ou à une caisse de protection sociale. Pourtant, sur des institutions aussi proches, la diversité de carrière n’est pas évidente et n’est pas favorisée.

Dépasser le cadre national

Enfin, pour décloisonner et donner des perspectives nouvelles aux jeunes, il est également important de dépasser le cadre national. Il est à mon sens majeur de proposer des perspectives européennes et internationales. Mais pour arriver à favoriser de telles carrières (qui de plus renforceraient la place de la France en accroissant son soft power), 2 conditions sont nécessaires. La première, évidente, est de soutenir l’apprentissage et l’usage des langues étrangères dans le cadre de la formation. La seconde, plus complexe à mettre en œuvre mais tout aussi nécessaire, est de donner un cadre universitaire aux formations des écoles de service public. Le statut d’établissement d’enseignement supérieur de l’EHESP a montré une voie qui, malheureusement, n’a pas été suivie par d’autres écoles, en particulier par le nouvel INSP. Mais il faudrait aussi obtenir que les élèves, déjà titulaires d’un master, puissent prendre la voie d’un doctorat professionnel, ce que les pays anglo-saxons ont compris depuis longtemps, mais que le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur se refuse à ouvrir dans notre pays.

Ces quelques hypothèses pour comprendre le défaut d’attractivité des fonctions publiques et ces quelques pistes pour y remédier ne sont qu’une ébauche à une réflexion et un débat indispensables pour permettre à notre société de promouvoir un vivre-ensemble plus que nécessaire par les temps qui courent.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×