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Géraldine Chavrier : “Les projets du Président Macron, entre brise décentralisatrice et vent de réforme de l’État”

L’universitaire spécialiste des questions territoriales revient dans cette tribune sur l’annonce présidentielle d’une relance du chantier de la décentralisation et de l’organisation territoriale du pays. Elle pointe cependant un certain nombre d’incompréhensions de la part d’Emmanuel Macron.

En ces temps de crise, la décentralisation ne constitue pas une priorité du Président Macron. C’est ce qu’il faut comprendre de ses prises de positions récentes, qu’elles soient écrites (Le Point) ou télévisées (20 heures de TF1).  

Exception faite de l’annonce fracassante d’une autonomie donnée à la Corse, son seul projet visible est de réformer le millefeuille territorial métropolitain par la (re)création d’un conseiller territorial, élu commun aux départements et à la région, ayant vocation à coordonner deux échelons dont les compétences ont pourtant déjà été grandement clarifiées. L’intercommunalité fera certainement aussi partie du chamboule-tout. La mission d’information sur celle-ci, menée par la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, pourrait alimenter un projet de simplification, par réduction du nombre de catégories d’EPCI à fiscalité propre, promotion des communes-communautés créées par la loi Gatel et relance des communes nouvelles.   

Ainsi, loin des projets fédérateurs du “vivre-ensemble” de Valery Giscard d’Estaing, de la “nouvelle citoyenneté” de François Mitterrand, ou encore du “souffle de la liberté locale” de Jacques Chirac, le président de la République s’inscrit dans ce mouvement marquant, depuis 2010, qui consiste à ne voir dans la décentralisation qu’un outil de réforme de l’État au service d’une plus grande efficacité de la dépense ou des politiques publiques.

C’est un grand pas vers la décentralisation que de promouvoir enfin l’égalité réelle.

Il faut avouer que cela n’a pas été sans avantage. C’est en effet cette recherche d’efficacité qui a permis à Emmanuel Macron de s’affranchir des craintes ataviques d’atteinte à l’égalité et à l’unité de l’État afin de faire souffler la brise de la différenciation et de l’expérimentation. C’est un grand pas vers la décentralisation que de promouvoir enfin l’égalité réelle sur l’égalité abstraite, et ainsi de prendre au mot le Conseil constitutionnel qui décidait, en 1995 (n° 94-358 DC), que la prise en compte des situations locales différentes par la norme nationale “loin de mettre en cause le principe d’égalité, constitue un moyen d’en assurer la mise en œuvre”. Cette direction a été récemment confirmée par les propos du président de la République et de sa Première ministre lors d’une réunion du Conseil national de la refondation. Le chef de l’État aurait affirmé que l’heure n’est probablement plus à donner la priorité à la norme pour privilégier les initiatives locales, tandis que la Première ministre aurait confirmé qu’il ne fallait plus avoir peur ni de la subsidiarité ni du sur-mesure.  

Cela tombe bien puisque la région Île-de-France vient de saisir la Première ministre – ainsi que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat – de 40 demandes de différenciation, d’expérimentations étatiques ou locales, de transferts et de délégations de compétences sur le fondement de différents articles de la Constitution et du code général des collectivités territoriales, et notamment ceux issus de l’article 1 de la loi NOTRe et des articles 1 et 2 de la loi 3DS.  

La réponse apportée par l’exécutif à ces demandes sera particulièrement scrutée afin de vérifier que ces déclarations d’intention se concrétiseront par des actes.  

À partir d’un modèle différent, fondé sur les principes de subsidiarité ascendante et de libre administration, l’Association des maires de France n’est pas en reste. Elle a ainsi créé un comité législatif et réglementaire dont la mission est de saisir l’exécutif de demandes tant de reformes relatives aux compétences communales que de promotion d’une véritable décentralisation fondée sur une prévisibilité et une autonomie financières : c’est donc bien à une révision constitutionnelle qu’elle appelle, en adjonction d’une modification de la loi organique relative à l’autonomie financière et de lois ordinaires.   

C’est à ce stade que le mouvement risque de se gripper.  

Faut-il renoncer au projet de refondation d’un vivre-ensemble démocratique par une redéfinition des libertés locales ? 

Les propos du chef de l’État relatifs à l’augmentation de la taxe foncière, alors que l’immense majorité des communes n’y ont pas procédé et – surtout – que la dotation globale de fonctionnement n’a cessé de baisser de 2016 à 2022 avant de remonter légèrement en 2023 pour faire face au temps de crise, ne témoigne pas d’une compréhension fine des problématiques de financement des collectivités territoriales. L’augmentation du point d’indice de la fonction publique en juillet, alors que les budgets locaux sont déjà bouclés, non plus.  

L’annonce d’un objectif de rénovation des établissements scolaires dans les dix ans, alors que la compétence est entièrement décentralisée, paraît entériner une incompréhension totale de la notion constitutionnelle de libre administration - même si l’on peut comprendre que le chef de l’État est consubstantiellement animé par un volontarisme qu’il voudrait bien être communicatif et que son propos était finalement et essentiellement d’annoncer des subventions de l’État en ce sens.  

Enfin, les conditions politiques ne sont pas propices à la réunion d’une majorité des trois quarts pour mener une révision constitutionnelle à son terme… encore que cette dernière soit prévue en faveur de la Corse.       

Faut-il pour autant renoncer au projet de refondation d’un vivre-ensemble démocratique par une redéfinition des libertés locales ? Ne faut-il pas reprendre le flambeau d’un Jacques Chirac inquiet pour la démocratie à la suite de l’accession du Front national au second tour de l’élection présidentielle de 2002 et du constat d’une rupture entre “la France d’en bas et la France d’en haut” ? À rebours de l’idée qu’on a mieux à faire dans un pays en crise économique, sociale et politique, la réforme de la décentralisation conçue comme un espace démocratique renouvelé, revivifiant un lien d’attachement à la nation grâce à ses territoires, et promouvant une gestion des services publics et des politiques publiques qui serait “à portée d’engueulade”, n’est-elle pas la seule en mesure de donner de l’espoir à des Français qui n’anticipent plus que le gris ?  

Si la peur des Français de réformer pour faire encore pire ne plaide pas en faveur d’un référendum constituant, nous affirmons, en tant que juriste, qu’il est possible de faire beaucoup plus avec un peu d’imagination juridique.   

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