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Comment le budget vert est devenu une véritable démarche managériale dans les collectivités

Quatre ans après les prémisses de la budgétisation verte, une centaine de collectivités ont mis en place le dispositif ou s’apprêtent à s’en emparer pour intégrer pleinement les questions de transition écologique dans leurs arbitrages. Dans une étude publiée ce jeudi 12 octobre, le laboratoire d’idées I4CE, à l’initiative de la démarche, fait le bilan.

Image d’illustration générée par Midjourney

“Utiliser la budgétisation verte dans le cycle budgétaire, cela donne à la transition écologique un rôle central dans la prise de décision.” Dans une étude publiée ce jeudi 12 octobre par l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), la directrice de la transition écologique du département de l’Essonne, Justine Dalphin, revient sur la “petite révolution” qu’a générée la mise en place du budget vert dans son département cette année. 

Comme lui, une centaine de collectivités ont adopté cette démarche, qui vise à mesurer les conséquences environnementales des différentes grilles budgétaires pour rendre les politiques communales plus protectrices de l’environnement. Plusieurs d’entre elles témoignent dans cette grande étude d’I4CE, que l’institut publie quatre ans après les débuts de la budgétisation verte en France.

Un dispositif en perpétuelle évolution

Tout commence en 2017, lorsque l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) lance, lors de la réunion internationale sur les changements climatiques One Planet Summit, un mouvement pour inciter les États à lancer leur propre green budgeting. La France fait partie des premiers pays à se porter volontaires.

Marion Fetet, experte au sein du programme “Territoires” chez I4CE, revient sur cette prise de position française : “Nous étions satisfaits que les choses avancent, mais lorsqu’en 2019 nous ne voyions toujours rien venir, nous nous sommes autosaisis sur ce sujet.” L’Institut de l’économie pour le climat a alors analysé les conséquences environnementales des différentes grilles du budget de l’État, a publié ses résulats dans une étude en 2019, avant que l’État français sorte son premier “budget vert”, prenant la forme d’une annexe au projet de loi de finances (PLF), en 2020.

Intéressées par les travaux d’analyse d’I4CE effectués au niveau national, plusieurs grandes villes et métropoles ont commencé à solliciter le laboratoire d’idées pour disposer d’une méthode qu’elles pourraient appliquer à leur échelle, au niveau communal. “Nous avons réfléchi à ce que cela voulait dire, pour une commune ou une intercommunalité, d’évaluer son budget par rapport au climat, avant de sortir une méthodologie d’évaluation du budget des collectivités en 2020”, relate Marion Fetet. 

L’engouement grandissant au niveau des territoires a poussé plusieurs régions à solliciter, elles aussi, I4CE pour bénéficier d’une méthodologie adaptée à leurs propres compétences. L’institut a donc décliné sa démarche au niveau régional, pour parvenir à une méthodologie qui peut aujourd’hui s’appliquer à l’ensemble des collectivités territoriales. En parallèle, certaines collectivités, comme la ville de Pessac, en Gironde, ont décidé d’élaborer leur propre méthodologie, afin d’y intégrer d’autres axes d’analyse, comme les inégalités sociales ou l’accès aux services publics.

D’exercice de reporting en démarche managériale

“Au lancement de cette méthode, nous nous demandions si elle allait vraiment intéresser les collectivités. C’est finalement ce qu’il s’est passé, car au moins une centaine se sont lancées depuis, ou projettent de le faire”, décrit Marion Fetet. La dynamique s’opère particulièrement au niveau régional : 11 des 13 régions métropolitaines sont aujourd’hui engagées, à des stades différents, dans la démarche. De la même manière, 30 % des communes et intercommunalités de plus de 100 000 habitants sont concernées, ou se disent prêtes à mettre en place une telle budgétisation. “Nous pouvons affirmer qu’il y a des collectivités de toutes tailles et de tous niveaux, car même certaines petites communes ont opéré une budgétisation verte”, se félicite l’experte “budget vert” d’I4CE.

D’après les collectivités, le principal bénéfice du budget vert n’est pas comptable : il permet de systématiser, tout au long de la vie d’un budget, des moments de discussion autour des questions environnementales. “Le budget vert permet aux services et aux élus de se saisir de ces questions, de s’y familiariser et de développer une forme de reflexe dans leurs pratiques”, constate Marion Fetet.

Dans la mesure où il a modifié les approches des services, le budget vert s’apparente surtout, aujourd’hui, à une démarche managériale. “C’est le fait qu’à chaque étape de la construction d’un budget, les équipes vont échanger sur les caractères environnementaux de telle ou telle dépense”, analyse Marion Fetet. Et l’intérêt est double : cela permet également aux agents de se libérer du seul carcan financier. Les équipes disposent désormais de nouveaux arguments pour défendre un projet, lorsqu’elles s'adressent à leur direction ou à leurs élus. 

10 conditions indispensables à la réussite

Le budget vert n’a donc pas encore atteint son objectif premier : que les conséquences environnementales deviennent un critère au moment des arbitrages, pour peser véritablement dans les décisions budgétaires. Cela s’explique par le caractère récent et tout à fait nouveau de la démarche. “Les collectivités nous disent que, pour l’instant, ce n’est pas un critère, mais qu’elles pressentent que cela pourrait le devenir”, éclaire Marion Fetet. 

Pour que le budget vert devienne un véritable outil d’aide à la décision, les collectivités évoquent plusieurs conditions indispensables, 10 facteurs de succès qu’I4CE répertorie dans son rapport. Par exemple, le budget vert ne peut être suivi d’effet sans véritable volonté politique. “Si on en fait un outil comptable sans s’en saisir au niveau de la direction générale ou de l’exécutif, cela restera symbolique”, prévient Marion Fetet. 

Il est également nécessaire que les équipes maîtrisent assez l’outil pour que la budgétisation verte arrive suffisamment tôt dans le processus budgétaire. “Cela demande de modifier les logiciels budgétaires. Bien évidemment, il faut plusieurs exercices avant que les services se familiarisent avec les changements qu’une telle intégration implique lors de la saisie de dépenses pour tel ou tel projet.” Au vu de la complexité de la démarche comptable et de la nécessité de collecter des informations précises, les documents arrivent généralement après que les arbitrages budgétaires ont été décidés.

Confusion entre national et territorial

Il est important de ne pas confondre le budget vert mis en place par l’État dans son projet de loi de finances (PLF) avec la démarche de budgétisation verte que les collectivités s’approprient progressivement. Cette dernière est un véritable processus, une réflexion collective qui vient transformer la manière dont fonctionne une collectivité, et pas seulement un reporting classant les grilles budgétaires “vertes” ou “brunes”, comme ce qui est fait par le gouvernement – et qui a récemment été critiqué par la Cour des comptes dans un rapport publié cet été. 

“Le gouvernement a bien conscience des limites de son document actuel, et nous a dit qu’il aimerait, lui aussi, lancer une véritable démarche de budgétisation verte”, soutient Marion Fetet. La direction du budget à Bercy souhaiterait ainsi que ce document sorte de son statut de simple “annexe” et qu’il puisse servir concrètement au niveau des arbitrages. “Selon les retours qu’on a eus, des dépenses auraient été arbitrées grâce au dernier budget vert du gouvernement”, évoque Marion Fetet. Mais il sera difficile de le vérifier à la sortie du PLF 2024 : le budget vert étant un outil de pilotage interne, ses comptes-rendus ne mentionnent pas les décisions ayant finalement été abandonnées pour des raisons environnementales.

Le budget vert bientôt dans la loi ?

Selon les discussions qu’ont pu avoir les experts d’I4CE avec l'exécutif et plusieurs parlementaires, un amendement porté par le gouvernement devrait être intégré lors des débats autour du PLF, qui arrivent à l’Assemblée nationale. Il devrait proposer un cadre pour permettre aux collectivités d’effectuer un budget vert au sens de document, et non de démarche. “L’idée de généraliser la démarche de budgétisation verte serait aujourd’hui trop compliquée, car cela demande un véritable changement de position de la direction et des élus”, explique Marion Fetet.

L’objectif serait plutôt d’obtenir un cadre comptable, avec des données chiffrées sur les investissements verts des collectivités. Une chose qui n’existe pas aujourd’hui et pose un problème à l’heure de la planification écologique. “Plutôt que de parler de budget vert à proprement parler, il s’agirait d’élaborer une sorte de « grille d’analyse verte » de l’investissement des collectivités”, précise Marion Fetet.

Une nouvelle nomenclature qui ne reviendrait pas à transformer le cadre comptable mais à l’affiner, et pour laquelle plaide I4CE. Investissements sur les pistes cyclables, pour la rénovation des bâtiments publics… Le rapport “Les incidences économiques de l’action pour le climat” de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz, publié en mai dernier, démontrant que les collectivités devront porter une grande partie de l’investissement public de la transition écologique, “il est indispensable de connaître où elles en sont en la matière”, conclut l’experte d’I4CE.

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