Partager

14 min
14 min

Claire Hédon : “On demande trop souvent aux usagers de s’adapter à l’administration”

La défenseure des droits revient sur les missions de son institution créée en 2011 et dont la principale boussole, selon elle, “reste en permanence d’aller vers ceux qui sont les plus éloignés du droit”. Claire Hédon évoque plusieurs sujets de préoccupation, comme les discriminations liées à l’origine ou la dématérialisation, qui pose encore de grandes difficultés d’accès aux droits pour les usagers.

Le Défenseur des droits a été créé voilà un peu plus de douze ans. Comment jugez-vous le cheminement de l’institution depuis lors ?
Il est très intéressant de se replonger dans les débats parlementaires relatifs à la révision constitutionnelle de 2008 et à la loi organique du 29 mars 2011, avec un prisme : pourquoi une institution comme le Défenseur des droits a-t-elle été créée ? Il existait clairement une volonté d’aller vers celles et ceux qui sont le plus éloignés du droit et qui ont plus de mal à faire valoir leurs droits. Antérieurement, existait notamment le Médiateur de la République mais également 3 autres entités, dont la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). La réforme de 2008-2011 témoignait d’une envie de rationaliser, bien sûr, mais aussi d’une envie de plus de cohérence dans les actions. Presque treize ans plus tard, nous ne pouvons que constater l’atout que constitue la réunion de toutes ces compétences. Sur un certain nombre de décisions, les équipes travaillent conjointement : le pôle “Déontologie de la sécurité” avec le pôle “Discriminations” ou le pôle chargé des droits de l’enfant. Par exemple, lorsque nous devons nous pencher sur la façon dont un enfant est reçu dans un commissariat de police, qu’il soit victime ou auteur. Alors qu’il y avait à l’époque un peu de scepticisme et la crainte d’une dilution des missions de ces entités, je pense, douze ans plus tard, que cette réforme a au contraire permis de nous renforcer énormément sur le sujet des droits et notamment des droits de l’enfant. C’est vraiment une mission qui traverse toute l’institution, avec des référents enfants dans tous les pôles. Sur la discrimination, nous étions au départ peut-être moins visible que la Halde. La création de la plate-forme Antidiscriminations.fr en 2021 et de son numéro, le 3928 – qui a abouti, dès l’année suivante, à une augmentation de 25 % des réclamations – nous a rendus plus visibles car elle rend la saisine plus facile et rapide. Notre souci reste en permanence d’aller vers ceux qui sont les plus éloignés du droit. D’autant plus que la vulnérabilité des personnes accentue la possibilité d’atteinte aux droits ou de non-recours : enfants, personnages âgées, personnes victimes de discriminations liées à l’origine, etc.

À quoi ressemblera le Défenseur des droits dans dix ans ?
D’abord, nous réalisons tout un travail pour rendre l’institution de plus en plus accessible. Nous recommandons beaucoup aux administrations de l’être davantage, mais nous nous l’appliquons d’abord à nous-mêmes, en maillant le territoire grâce à nos 570 délégués territoriaux qui collaborent avec les 250 agents, en grande majorité au siège. Ces délégués accueillent en présentiel les réclamants dans un contexte de fermeture d’accueils des services publics. Nous voyons arriver des réclamations que nous ne voyions pas auparavant car nous avons choisi une implantation au plus près du public : des centres communaux d’action sociale (CCAS), des missions locales, mais aussi des associations qui accueillent des personnes en situation précaire, des jeunes… C’est une partie de l’accessibilité. Nous nous employons également à une clarification de notre langage, avec une évolution de notre site Internet et des formulaires de saisine visant à nous rendre plus compréhensibles. Sur le terrain, nos délégués fournissent, eux, de plus en plus, un travail de réorientation, d’explicitation et de pédagogie que ne fait pas l’administration au quotidien. Expliquer par exemple à un usager pourquoi il ne peut prétendre à tel ou tel droit. Dans un nombre important de cas, cette explication suffit à l’usager. Mais encore faut-il qu’une personne le fasse.

La dématérialisation simplifie la vie de beaucoup de gens. Mais elle crée aussi des difficultés pour beaucoup d’autres.

Sur quels sujets butez-vous ?
Je trouve que l’on n’avance pas suffisamment dans la lutte contre les discriminations, particulièrement celles qui sont liées à l’origine, même si je note que le plan de lutte contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme a été lancé par la Première ministre elle-même, avec 10 ministres présents. Les pistes sont intéressantes et nous allons être vigilants sur sa réelle application. Mais il y a un grand absent dans ce plan : la lutte contre les contrôles d’identité discriminatoires. Nous ne pouvons pas nous voiler la face plus longtemps, il faut agir. Le Conseil d’État l’a récemment rappelé en reconnaissant non seulement l’existence de ces contrôles d’identité discriminatoires, mais en relevant aussi qu’il ne s’agissait pas d’actes isolés et que ces actes avaient un effet néfaste sur les victimes. J’ai une vraie inquiétude sur ce sujet alors même que nous évoluons dans une société qui se veut universaliste. Notre société poursuit un objectif égalitaire à atteindre qui contribue au fait que nous ayons plus de mal que d’autres pays à reconnaître que nous ne l’atteignons pas.

En matière de traitement de l’usager, quelles constantes identifiez-vous ?
Je vais forcément vous parler de la dématérialisation. Je veux d’abord dire que la dématérialisation reste une chance : elle simplifie la vie de beaucoup de gens. Mais elle crée aussi des difficultés pour beaucoup d’autres. On pourrait penser que ces problèmes ne touchent qu’une partie de la population : les personnes âgées, précaires, handicapées, étrangères. Or les réclamations que nous recevons montrent que le problème peut toucher tout le monde : par exemple, le bug informatique qui ne vous permet plus d’atteindre votre dossier et à propos duquel vous n’arrivez à parler à personne, que ce soit par téléphone ou par le biais d’un rendez-vous en présentiel… Cette situation, tout un chacun peut la connaître.

Les difficultés d’accessibilité numérique vont donc au-delà des problèmes d’illectronisme…
Ne pensons pas que les difficultés d’accès induits par la dématérialisation se limitent à de l’illectronisme. Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) estime qu’un tiers de la population française est éloignée du numérique. Mais les deux autres tiers se retrouvent aussi en proie à d’autres difficultés avec le numérique. Dans ce contexte, il paraît incroyable d’aller à marche forcée vers la dématérialisation. Je pense à cette personne âgée, habituée à prendre son billet auprès du contrôleur car sa gare ne dispose plus de guichet physique et qui, en allant le voir, se voit verbalisée à hauteur de 50 euros pour un trajet qui coûte 5,50 euros. Je peux aussi vous citer le cas d’un parent d’un élève de troisième qui s’étonne d’une non-affectation en lycée pour l’année suivante de sa fille à l’issue du premier tour organisé par le processus en ligne Affelnet. Aucune note n’avait été entrée et le parent d’élève n’a pas réussi à faire intervenir une personne physique pour corriger cette erreur avant le deuxième tour. Résultat : l’élève a été affectée très loin. Là, on est dans les deux tiers de la population qui ne sont pas confrontés à l’illectronisme ! Ce qui me gêne, ce n’est pas la dématérialisation en elle-même, mais plutôt que l’on en fasse l’unique point d’entrée d’accès à des droits ou des services, sans possibilité de dépôt d’un dossier en version papier ni présence d’un service téléphonique.

En début d’année, vous avez mené une enquête mystère auprès de quelques grands services publics et pointé l’“écueil” téléphonique…
L’enquête menée auprès de grands organismes incarnant des services essentiels et généralistes (l’assurance maladie, la Caisse d’allocations familiales – la CAF –, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail et Pôle emploi) a mis en évidence un taux de 40 % de non-réponse, des erreurs dans plus de la moitié des informations données, des renvois des usagers vers Internet alors qu’ils n’y ont pas accès, etc.

L’administration des impôts a réduit ses effectifs depuis vingt ans, mais à mesure des avancées de la dématérialisation, à un rythme compatible. C’est loin d’être le cas partout.

L’administration sait-elle aujourd’hui appréhender le canal téléphonique, notamment pour gérer les dossiers individuels des usagers ?
Une partie des plates-formes téléphoniques sont sous-traitées à des collaborateurs qui n’ont pas accès au dossier. Or la “clé” réside dans cet accès au dossier personnel pour résoudre une situation particulière – et nous retrouvons ainsi le même problème que dans les espaces France services. Ces espaces constituent sans aucun doute une avancée : c’est mieux avec que sans. Mais les agents affectés dans ces missions n’ont pas accès aux dossiers individuels : assurance maladie, CAF, Pôle emploi, etc. Ils ne peuvent donc pas régler les problèmes des personnes qui s’y présentent.

Est-ce un problème d’habilitation juridique, de formation ou de définition des missions ?
Ce n’est pas un problème juridique. Cette situation résulte du fait que les services publics en question ne disposent pas toujours d’agents issus de leurs services dans les espaces France services. Nous préconisons d’affecter des agents provenant des organismes eux-mêmes dans ces lieux.

Vous appelez à recréer des services différents dans un seul lieu…
Oui. Quelques espaces France services prévoient d’ailleurs déjà des demi-journées de permanence d’agents de “grands” services publics. C’est le seul moyen pour régler correctement les situations. Je relève quand même que certains services ont pris le virage d’une dématérialisation sans tomber dans l’écueil de la marche forcée : l’administration des impôts est une administration facilement joignable au téléphone et qui règle les problèmes. Surtout, elle permet toujours le dépôt papier, d’ailleurs très utilisé. Cela concerne encore au moins 5,6 millions des déclarations de revenus, soit 13 % des foyers fiscaux. L’administration des impôts a réduit substantiellement ses effectifs depuis vingt ans, mais à mesure des avancées de la dématérialisation, à un rythme compatible. Or c’est loin d’être le cas partout.

Les agents sont en première ligne de ces difficultés...
Il n’y a, dans mon analyse, aucune accusation contre les agents de service public qui cherchent à faire au mieux, et qui sont eux-mêmes placés en grande difficulté. Le plan Préfecture nouvelle génération (PPNG) mené à partir de 2016, qui a organisé la dématérialisation de la délivrance des titres, critiqué a posteriori par la Cour des comptes, est le contre-exemple de cette dématérialisation progressive. Actuellement, les droits des étrangers représentent un quart de nos réclamations, dont la majorité concerne le renouvellement des titres de séjour de personnes qui, pour finir, l’obtiendront, avec des histoires aberrantes : impossibilité de prise de rendez-vous, délais de traitement beaucoup trop longs, etc. Je pense à cette Algérienne de 61 ans née en France, qui a fait le choix de garder la nationalité algérienne, et qui est sans carte de séjour depuis 2020. Vous rendez-vous compte de ce qu’elle vit en matière de perte de droits ? Nous sommes fréquemment alertés par des usagers qui sont en train de perdre leur travail à cause de cela… Et les services préfectoraux sont en tension permanente et manquent cruellement de personnel. Le Conseil d’État a pourtant récemment rappelé la nécessité de prévoir un accompagnement pour les personnes qui n’ont pas la capacité de réaliser seules les démarches dématérialisées.

Existe-t-il aussi un problème de qualification et de compétence des agents qui se trouvent en première ligne, parfois confrontés à des dossiers complexes ?
Nous ne sommes pas dans la capacité d’évaluer cette question. La thèse de doctorat en sociologie de Clara Deville sur l’accès au RSA en zone rurale, récompensée par le prix de thèse du Défenseur des droits en 2020, était intéressante en ce qu’elle montrait les obstacles matériels liés à la dématérialisation. Par exemple, un usager qui se déplace jusqu’à sa CAF, située à 30 kilomètres, et qui une fois arrivé sur place, s’entend dire que la prise de rendez-vous en ligne est un préalable. Il est mal accueilli car il n’a pas les codes de l’administration et il mettra plus de seize mois à obtenir son RSA car, en plus de tout cela, on doute de lui dès le début sur le fait qu’il n’ait pas de revenus. C’est bien un enchaînement de causes et pas simplement la dématérialisation qui amoindrit l’accès aux services publics. Il faut du temps pour s’occuper des personnes en difficulté et fournir un accueil de qualité. Encore une fois, je n’accuse pas les agents, mais la question est simple : quels moyens met-on en œuvre pour l’accueil de l’usager ? Il faudrait mettre les meilleurs... parce que la matière de l’administration reste complexe. L’accueil est par ailleurs un métier spécifique et exigeant, avec de vrais enjeux de compréhension.

Les usagers comprennent si l’on prend la peine de leur expliquer !

La tension est souvent palpable à l’accueil...
Nos délégués territoriaux identifient de plus en plus d’usagers en colère et attribuent cette colère au fait que la présence en guichet ponctue un temps long au cours duquel ils n’arrivent pas à contacter les administrations. Ils arrivent donc aux guichets déjà énervés, après une succession d’échecs.

Cette tension à la “base” du service public n’est-elle pas l’expression d’une défiance plus large vis-à-vis de la puissance publique ?
La source de l’énervement vient d’abord d’un problème d’accès aux droits. C’est une atteinte à notre cohésion sociale. J’entends bien une petite musique qui dit “mais finalement, les gens sont devenus de plus en plus exigeants”. Je note surtout qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir ce à quoi on a droit. Nous avons participé à l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire (MPO) avec nos délégués pour l’attribution du RSA et des APL dans certains départements. Lorsque l’on évalue un dispositif comme celui-là, on l’évalue évidemment avec les usagers. Les résultats nous ont surpris. Dans ces médiations, un tiers des usagers avaient obtenu gain de cause. Mais nous avons eu, au global, deux tiers d’avis satisfaits. Pourquoi autant ? Parce que dans ce chiffre, deux tiers des personnes n’ayant pas obtenu gain de cause ont compris pourquoi elles ne pouvaient pas bénéficier de ces prestations. Une fois de plus, les usagers comprennent si l’on prend la peine de leur expliquer !

Dans le contexte budgétaire actuel, parler d’augmentation des moyens n’a rien d’évident…
Nous avons besoin de moyens car nous avons besoin de services publics ! C’est ce qui permet l’accès aux droits. La privatisation de la santé à l’américaine nous coûterait par exemple 4 points de PIB en plus, avec une espérance de vie moindre puisque toute une partie de la population ne parvient pas à se soigner dans ce pays. Je vous confirme que l’on a besoin de plus d’agents de service public pour accéder aux droits. Je rappelle les grands principes du service public qui sont la continuité, l’égalité, l’adaptabilité. La qualité de la relation se dégrade d’autant que la relation avec l’usager est de plus en plus distancielle. Si l’exercice des droits d’une personne n’est pas respecté, cela peut engendrer des ruptures de droits qui risquent d’être dramatiques dans certaines situations.

On parle beaucoup du virage de l’“aller-vers”, mais aussi de l’administration proactive. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes aujourd’hui dans une situation où l’on demande trop souvent aux usagers de s’adapter à l’administration et, en réalité, de réaliser une partie de son travail. Et quand l’usager ne peut pas le faire lui-même, c’est souvent le travailleur social qui le fait, ou les associations, voire parfois les enfants des usagers, alors qu’il s’agit de sujets sur lesquels les parents voudraient parfois conserver un cloisonnement familial. Votre question renvoie à ces sujets. Des expérimentations en matière d’automatisation des droits sont en cours. Mais je reste un peu déstabilisée par le double discours là-dessus. Par la façon dont on envisage et effectue le contrôle, on crée du non-recours. Lorsque l’on contrôle trois fois en dix-huit mois une mère isolée qui bénéficie d’aides à ce titre, je ne suis pas sûre que l’on soit dans un contrôle raisonnable qui ne lui donne pas l’impression d’un acharnement. On va par exemple contrôler le nombre de brosses à dents présentes dans la salle de bains pour savoir si elle vit vraiment seule. Cette intrusion dans la vie privée génère davantage de non-recours qu’autre chose. La vie étant ce qu’elle est, vous pouvez avoir un compagnon qui soit de passage… Il faut se connecter à ce qu’est la vie actuelle, réelle, des usagers. Dans la même veine, la réforme du contrôle du RSA m’inquiète en ce qu’elle va générer du non-recours, comme la conditionnalité de cette prestation via un contrat d’engagement ou l’inscription automatique des bénéficiaires du RSA et de leurs conjoints sur la liste des demandeurs d’emploi.

Dès lors que vous créez un nouveau service numérique, il convient de prévoir en parallèle une cellule qui résout les dysfonctionnements le plus rapidement possible.

L’administration proactive touche à l’accès aux droits. Avez-vous des recommandations à formuler sur la manière de conduire ce chantier pour que l’objectif réel soit atteint ?
C’est toute la question de l’automaticité des aides que je trouve intéressante en soi, mais nous avons malheureusement déjà vu les effets de bord sur les allocations pour le logement (APL). Il y a eu des erreurs et il y a eu des bugs. Les usagers devaient prouver des choses qu’ils n’avaient pas faites. Attention donc à cette automaticité des aides même si elle peut être, en soi, une bonne idée. Dès lors que vous créez un nouveau service numérique, il convient de prévoir en parallèle une cellule qui résout les dysfonctionnements le plus rapidement possible. Parce que nous connaîtrons toujours des bugs informatiques. Au Défenseur des droits, nous avons vu des usagers sans APL pendant six mois ou un an… Si vous déployez cette automaticité sur l’ensemble des aides, vous aurez des usagers qui se retrouveront sans rien. Cela s’est vu à l’étranger, notamment au Royaume-Uni.

Dans quelle mesure vos observations du terrain sont-elles prises en compte par le pouvoir politique et l’administration lorsqu’ils élaborent les politiques publiques ?
Nous avons de nombreuses interactions avec eux : 44 auditions au Parlement lors de ma première année à ce poste. Je vois aussi très régulièrement les ministres. Notre objectif est que les situations s’améliorent pour l’usager. Sur “MaPrimeRénov’” par exemple, nous avions préconisé le maintien d’une voie papier. Le gouvernement a finalement opté pour une dématérialisation totale, mais en prévoyant que le dossier puisse être élaboré dans un espace France services. Nous n’avons pas de pouvoir de contrainte, mais nous avons de l’influence. Même chose pour ceux que l’on appelle “les lycéens sans lycée“ [les élèves qui sont admis en seconde mais sans affectation dans un lycée à la rentrée scolaire, ndlr] ou les jeunes ayant échoué au bac et dont les établissements d’origine ont légalement l’obligation de les reprendre. Cette obligation n’est pas respectée aujourd’hui. Ces deux populations représentaient au global 18 000 jeunes à la rentrée 2022. Alors qu’ils pouvaient passer en classe supérieure, on a proposé un redoublement ou une orientation vers la mission locale à une partie d’entre eux. C’est très violent symboliquement. Au 31 août dernier, ils étaient 27 000. Ce n’est donc pas un petit sujet et, de surcroît, il monte sur le plan statistique. Nous avons donc alerté le ministère [de l’Éducation nationale, ndlr] en juillet dernier en formulant des recommandations. Le ministre, Gabriel Attal, a lancé un groupe de travail en observant que sans notre alerte, ces chiffres n’auraient pas été produits et ne seraient donc pas remontés.

La transparence des algorithmes utilisés par les services publics devient-elle un sujet ? Cela constitue-t-il un nouveau droit ?
Notre institution aborde ce sujet par le “volet” de la discrimination. Nous avons en effet une inquiétude liée au fait que les algorithmes sont créés par des êtres humains qui ont leurs propres biais cognitifs. La machine peut donc s’emballer dans la discrimination. Je pense à des postes d’ingénieurs qui sont surtout proposés à des hommes mais à peu de femmes. De fait, il y a plus d’hommes ingénieurs que de femmes… Mais par ce biais, on continue de les proposer plus à des hommes qu’à des femmes. Nous demandons la transparence des algorithmes.

Une délégation interministérielle à l’accessibilité a été créée fin 2022. Quels sont, pour vous, ses objectifs ?
C’est indispensable. Selon les derniers chiffres, seulement 40 % des démarches administratives étaient accessibles aux personnes en situation de handicap sur les sites Web des administrations. L’accessibilité des démarches reste un gros sujet. Sur les formulaires aussi, les progrès à réaliser sont importants. Au sein du Défenseur des droits, nous avons travaillé sur les nôtres et il faut reconnaître que progresser sur ce point nécessite du temps, des tests, des compétences. Il en est de même pour l’accessibilité physique. Les jeux Olympiques et Paralympiques organisés en juillet et août 2024 vont malheureusement nous démontrer à quel point nous sommes à la traîne sur ce sujet. Par exemple en raison du très faible nombre de stations de métro accessibles aux personnes handicapées. Nous avions une très belle occasion d’avancer sur cette question de l’accessibilité physique… Mais nous sommes quand même encore très en retard, la loi de 2005 [la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ndlr] n’étant toujours pas appliquée.

Propos recueillis par Bruno Botella et Pierre Laberrondo

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×