Un comité de chercheurs chargé de dégager une voie de sortie du confinement

Le président de la République a installé cette semaine un nouveau comité de chercheurs pour accompagner le gouvernement dans le choix de sa stratégie de sortie du confinement imposé à la population depuis le 17 mars. Notamment en explorant le potentiel des outils numériques et des données de localisation.

Il y avait le conseil scientifique, il y a désormais, aussi, le comité d’analyse, de recherche et d’expertise (Care). Installé lundi 24 mars par le président de la République, Emmanuel Macron [lire notre article à ce sujet], ce nouveau comité de chercheurs a pour principale mission d’évaluer la pertinence des “nombreuses propositions scientifiques, technologiques et thérapeutiques innovantes” qui “ont été faites ces dernières semaines”.

Sous l’égide du professeur Françoise Barré-Sinoussi, le comité réunit 12 chercheurs, pour certains déjà présents dans le comité scientifique, comme l’infectiologue Yazdan Yazdanpanah et l’anthropologue Laeticia Atlani-Duault. Il est principalement composé d’infectiologues, épidémiologistes, pneumologues… Seul le profil de Bernard Thirion sort du lot. Ce chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et directeur de l’institut DataIA est en effet spécialiste en science des données et en intelligence artificielle et donc des questions numériques. 

Le conseil et le comité ont des “mandats distincts” mais bien “complémentaires”, assure le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à Acteurs publics. Le comité Care a pour mission de donner son “avis éclairé aux pouvoirs publics dans des délais de 48 heures, concernant les propositions faites par des scientifiques français et étrangers et vérifier que les conditions de déploiement et de portage sont réunies” et de “solliciter la communauté scientifique afin de développer des propositions sur des sujets identifiés par les ministères en charge de la Santé et de la Recherche.”

Tests cliniques et suivi de la propagation du virus

Là où le conseil scientifique précédemment créé se contente de conseiller le gouvernement sur les mesures visant à améliorer la lutte contre l’épidémie, le Care s’intéressera tout particulièrement à la stratégie de sortie du confinement. C’est donc lui qui mènera “la réflexion des autorités sur [leur] capacité à réaliser des tests cliniques, ainsi que sur l’opportunité d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées”.

L’utilisation du numérique afin de lutter contre l’épidémie n’est évoquée qu’à la toute fin du communiqué de l’Élysée et balayée en une courte phrase. Pourtant, c’est bien le sujet qui a concentré l’attention depuis, notamment celle des médias.

Derrière cette périphrase, se cache la volonté d’exploiter les données des Français dans le but de suivre à la trace la propagation de l’épidémie ou le bon respect des mesures de quarantaine. Mais pour l’heure, aucun scénario n’est privilégié et toutes les options sont sur la table. “La question du numérique est accessoire, car elle dépendra des recommandations en termes de suivi épidémiologique que formulera le comité et également de la stratégie de tests”, souffle un conseiller ministériel.

“Stratégie numérique”

Le nouveau comité aura ainsi pour objectif de conseiller le gouvernement en ce qui concerne “les programmes et la doctrine relatifs aux traitements, aux tests et aux pratiques de backtracking qui permettent d’identifier les personnes en contact avec celles infectées par le virus du Covid-19”, précise le ministère de l’Enseignement supérieur auprès d’Acteurs publics. Le tout en s’inspirant des modèles étrangers.

À l’étranger justement, les initiatives de ce type sont aussi nombreuses que diverses, avec chacune un degré différent d’atteinte aux libertés publiques. Certains pays européens, comme l’Espagne, regardent par exemple les données pour suivre le respect du confinement à l’échelle du pays et non individuelle. D’autres, un peu plus offensifs, utilisent la technologie pour faire de la prévention personnalisée. Les autorités israéliennes ciblent ainsi les personnes à risque ou infectées pour leur fournir une information spécifique.

Enfin, certains pays rivalisent d’ingéniosité dans des mesures encore plus autoritaires de contrôle. En Corée du Sud et en Chine, des applications pour smartphone permettent aux autorités de vérifier que les citoyens et en particulier ceux qui sont infectés restent bien à leur domicile, tandis que Moscou poursuit ce même objectif en misant sur la reconnaissance faciale à travers son réseau de caméras. Pour s’assurer que les citoyens de retour au pays suivent comme partout une période stricte de quarantaine, les autorités polonaises leur demandent à tout moment de la journée d’envoyer un selfie géolocalisé, censé prouver qu’ils restent bien à leur domicile. 

En l’état, ces mesures parfois extrêmes ne seraient pas applicables en France, mais rien n’est impossible, estime l’avocat spécialiste des questions numériques Thierry Vallat. Il faudrait, selon lui, à tout le moins modifier la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 du 23 mars. Celle-ci “n’autorise pas dans sa rédaction la mise en place d’une identification numérique qui impliquerait croisement de données de santé et de géolocalisation”.

Ouvertures dans le RGPD

Car si la protection des données personnelles et de la vie privée est érigée en valeur suprême en Europe, et en France en particulier, la crise actuelle justifierait facilement quelques entorses. “Sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire, et sous réserve de sa faisabilité technique, tout est envisageable si une loi est prise pour l’autoriser”, poursuit l’avocat.

Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) autorise par ailleurs tout traitement de données personnelles “lorsqu’il est nécessaire pour protéger un intérêt essentiel à la vie de la personne concernée ou à celle d’une autre personne physique”. Et de préciser que “certains types de traitement peuvent être justifiés à la fois par des motifs importants d’intérêt public et par les intérêts vitaux de la personne concernée, par exemple lorsque le traitement est nécessaire à des fins humanitaires, y compris pour suivre des épidémies et leur propagation”.

L’efficacité de l’une des stratégies numériques, notamment pour suivre les déplacements des personnes infectées (avant ou après leur dépistage), dépendra néanmoins très fortement de la stratégie de sortie qui sera recommandée par le Care et adoptée par le gouvernement, et surtout de la possibilité de tester à grande échelle les Français. 

Des applications tous azimuts
L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a d’ores et déjà recours, depuis le 9 mars, à sa propre application de suivi des patients, “Covidom”. Mais celle-ci ne procède pour le moment à aucun croisement avec des données de géolocalisation et ne porte que sur le suivi de l’état de santé du patient en quarantaine. D’autres applications, dans le domaine privé, font déjà parler d’elles. C’est le cas, par exemple, de CoronApp qui, moyennant le consentement et donc le volontariat des utilisateurs, propose de suivre à la trace les personnes infectées grâce à leurs données de localisation, et ainsi d’indiquer aux autres utilisateurs lorsqu’ils se trouvent ou se sont trouvés à proximité d’une telle personne. Avec une efficacité toute relative selon le hacker français Baptiste Robert. D’autres, comme l’application Zenly, propriété de Snapchat, vont jusqu’à miser sur le ludisme pour encourager au respect des mesures de confinement. Ainsi, chaque utilisateur se voit attribuer un “score de respect du confinement” basé sur ses données de géolocalisation, pour le départager de ses amis. 

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