Des propositions pour renforcer la négociation collective dans la fonction publique

Un rapport remis au gouvernement lundi 25 mai avance 29 propositions pour concevoir, organiser et mettre en œuvre la consécration de l’opposabilité juridique des accords collectifs dans la fonction publique. Une possibilité ouverte par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et qui doit être concrétisée par ordonnance dans les prochains mois.

Vingt-neuf propositions pour “renforcer la négociation collective dans la fonction publique”. C’est ce que contient le rapport de la mission chargée d’examiner les conditions dans lesquelles les accords collectifs passés dans les trois versants de la fonction publique pourraient être dotés d’une force juridique les rendant opposables aux parties. Une mission conduite par Marie-Odile Esch, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et chargée de mission à la Fédération nationale de la CFDT, Christian Vigouroux, président de section honoraire du Conseil d’État, et Jean-Louis Rouquette, inspecteur général des finances et ancien DRH de Bercy. 

Remis au secrétaire d’État en charge de la fonction publique, Olivier Dussopt, lundi 25 mai, ce rapport [cliquez ici pour le consulter] avait été commandé par le gouvernement Philippe en novembre dernier pour nourrir les réflexions sur la future ordonnance censée favoriser la conclusion d’accords négociés. Une habilitation prévue par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. La première mouture de l’ordonnance est attendue pour le mois de juin. 

Sans surprise, la mission considère que la possibilité de reconnaître aux accords collectifs une portée juridique contraignante “constituerait une innovation juridique majeure tout autant qu’une opportunité pour contribuer à l’amélioration de la qualité et la densité du dialogue social dans la fonction publique”. Car la reconnaissance des accords collectifs dans la fonction publique est pour l’heure “incomplète”, souligne-t-elle. 

4 accords interfonctions publiques depuis 2010 

“Si la validité des accords collectifs dans la fonction publique a été reconnue” par les accords de Bercy de 2008 et leur traduction dans la loi en 2010, “le législateur n’est pas allé jusqu’à leur conférer des effets juridiques”. L’absence de portée juridique des accords est en effet toujours “persistante” même si la loi de 2010 a fixé le principe de l’accord majoritaire. À savoir sa validation dans l’unique cas où ledit accord est signé par des organisations syndicales représentant au moins 50 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles. Mais la jurisprudence, précise la mission, “rappelle de manière constante l’absence de portée juridique d’un accord signé entre l’administration et les organisations syndicales”. 

Bilan : ladite réforme “n’a produit que des effets limités” avec un nombre d’accords “assez faible” (4 accords signés au niveau interfonctions publiques depuis 2010) et une “pratique unilatérale dominante”, “ceci alors même qu’au niveau international, la pratique contractuelle tend, elle, à se développer”.

“L’administration n’est pas tenue de traduire par un acte réglementaire les dispositions prévues par un accord négocié, indique la mission.A contrario, elle a toute liberté pour donner une portée réglementaire à des dispositions négociées mais qui n’ont pas débouché sur un accord.” Cas le plus emblématique : le protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) de 2015, non valide en raison de l’absence de majorité chez les organisations syndicales, mais qui a été mis en œuvre unilatéralement par l’administration. 

Un mode d’emploi

Forte de ces constats, la mission formule ainsi plusieurs propositions destinées à concevoir, organiser et mettre en œuvre “cette innovation majeure” qu’est la consécration de l’opposabilité juridique des accords collectifs dans la fonction publique. Une maquette du projet d’ordonnance figure même en annexe de son rapport. 

La mission considère notamment “que des accords collectifs pourraient déterminer des normes juridiques opposables, à caractère général”. Elle propose en ce sens de “prévoir la possibilité pour la loi et les textes réglementaires de renvoyer à un accord collectif certaines de leurs conditions d’application” mais aussi de “prévoir que, dans cette hypothèse, il leur appartient de renvoyer à l’autorité administrative normalement compétente le soin de définir ces conditions d’application à défaut de conclusion d’un tel accord”.

Autres propositions de la mission : “prévoir la possibilité pour les futurs accords de comporter des clauses contraignant l’administration à agir dans un sens déterminé pour prendre des mesures matérielles” ou encore “prévoir qu’un accord local peut soit préciser les conditions d’application d’un accord national, soit y déroger, à la double condition que ce dernier prévoie expressément une telle possibilité et que l’accord local améliore l’économie générale de l’accord national dans le respect de ses stipulations essentielles”. 

Conserver le principe de l’accord majoritaire

Dans son rapport, la mission revient aussi sur la possibilité ou non d’assouplir la condition actuelle de validité des accords, à savoir leur caractère majoritaire. Mais si “de nombreux employeurs ont en effet souligné la difficulté à remplir cette condition et suggéré que des modes de validation alternatifs puissent être mis à leur disposition”, elle considère que les termes de l’habilitation à légiférer par ordonnance ne permettent pas de revenir sur la règle des 50 %. Une règle qu’elle propose donc de confirmer. 

“Tout en écartant l’hypothèse du recours à des procédures référendaires et rappelant que l’accord majoritaire est également la règle dans le code du travail”, la mission considère néanmoins “qu’une réflexion complémentaire avec les organisations syndicales pourrait être conduite sur l’opportunité du recours à la technique, intermédiaire, de l’accord « minoritaire sauf opposition majoritaire »”. Elle propose aussi d’engager une réflexion “plus approfondie sur la mesure de la représentativité syndicale et la composition des instances représentatives”. 

“Obligation de négocier” sur certains thèmes

Mais, souligne la mission, “l’octroi d’une portée juridique aux accords collectifs n’est pas à soi seul une condition suffisante pour rénover le dialogue social” dans la fonction publique. La réforme introduite par la loi du 6 août dernier doit s’accompagner “d’une évolution plus profonde de la culture du dialogue social”, affirme-t-elle ainsi.

En ce sens, elle pousse au développement de la formation au dialogue social et à la négociation collective et propose notamment d’introduire, sur certains thèmes prioritaires (conditions de travail, égalité professionnelle…), une “obligation de négocier” qui complèterait les cas de négociation d’ores et déjà obligatoires et de “permettre d’adapter ce type d’obligation par le moyen d’accords collectifs”. 

Par ailleurs, ajoute-t-elle, “il pourrait être opportun dès lors qu’une négociation obligatoire est engagée, que le pouvoir de décision unilatérale de l’employeur, relatif au sujet soumis à négociation, se trouve suspendu”. Et ce de manière à “favoriser une négociation apaisée, sans pression ou menace d’une partie sur l’autre”. 

Bastien Scordia

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