Coralie Chevallier : “C’est maintenant que l’action publique doit s’appuyer sur les sciences comportementales”

Chercheuse en sciences cognitives et comportementales à l’Inserm* et à l’École normale supérieure, Coralie Chevallier estime que les décideurs publics auraient tout intérêt à s’appuyer sur l’expertise scientifique en matière de comportements, seul levier de réponse à la crise sanitaire d’aujourd’hui, alors qu’il n’y a encore ni traitement pharmaceutique ni vaccin contre le Covid-19. Et il faut, dit-elle, anticiper dès à présent la phase de déconfinement, “qui va poser quelques difficultés comportementales” et ne coïncidera pas avec la fin de l’épidémie.

Que peuvent les sciences comportementales face à la crise sanitaire actuelle ?
Cette crise représente certainement LE moment où l’action publique peut et doit s’appuyer sur les sciences comportementales. Pourquoi ? Parce que les solutions médicales n’existent pas encore : il n’y a ni traitement pharmaceutique ni vaccin. De fait, la manière dont les pouvoirs publics peuvent orienter les comportements des citoyens est décisive. De manière générale, concernant la santé publique, l’approche comportementale est plus importante encore que pour d’autres champs de l’action publique, que ce soit par exemple dans le domaine du tabac, de l’alcool, etc. Et dans la crise actuelle, c’est le seul levier.

Pourquoi les sciences comportementales ne sont-elles pas suffisamment prises en compte en matière de décision publique ?
Ces sciences restent effectivement trop peu employées. D’abord parce qu’elles se sont développées relativement récemment dans les administrations et qu’une certaine méconnaissance de leur utilité perdure. Il y a par ailleurs un enjeu d’appropriation : beaucoup peuvent se penser experts pour s’exprimer sur les comportements ; alors qu’en matière, par exemple, de virologie ou d’économie, personne ne peut s’improviser expert. Pour les sciences comportementales, les décideurs publics auraient tout intérêt à s’appuyer davantage sur l’expertise scientifique. Le gouvernement est actuellement épaulé par l’équipe “sciences comportementales” de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), engagée sur les mesures de communication et de gestion de crise… Les équipes de la cellule “sciences comportementales” de la DITP font un travail formidable et j’espère qu’elles bénéficieront à l’avenir de renforts, tant leur rôle est important. Il ne viendrait pas à l’idée des pouvoirs publics de prescrire et développer des médicaments sans solliciter les professionnels de la santé. En parallèle, il ne faut pas “prescrire” une campagne d’information sans consulter et associer les professionnels des sciences comportementales. C’est indispensable.

Très concrètement, qu’apportent ces sciences en réponse à la crise ?
Une équipe de chercheurs britanniques vient de publier un travail relatif aux effets des messages de santé publique en lien avec le coronavirus. Ces chercheurs ont testé différents leviers psychologiques, tels le levier moral – “vous devez respecter une distanciation sociale” – ou le levier de la peur – “le non-respect des consignes entraîne des conséquences sanitaires”. Leurs travaux montrent que le levier moral est le plus efficace. Cela n’était pas évident de prime abord, il fallait tester ces messages avec une méthode rigoureuse pour le découvrir. Nous sommes trop optimistes quant au pouvoir de l’information seule pour changer les comportements. Souvent, elle ne suffit pas si l’on ne prend pas aussi en compte le fonctionnement de la psychologie humaine.

Des messages mieux travaillés auraient-ils permis de prévenir les sorties nombreuses constatées le week-end ayant précédé le confinement sur les quais et dans les bois parisiens notamment ?
Il faut tester les différents scénarios et les différents messages possibles. Cela ne s’improvise pas. Le savoir-faire est là et permet une certaine réactivité. Une consultation en ligne peut ainsi permettre de recueillir des centaines de réponses en moins d’une heure. Et les décideurs publics ont recours aux sondages, qui peuvent être utilisés en appui d’un recours scientifique. Les instruments existent ! S’ils avaient été utilisés dès le début de la crise, l’adaptation à cette crise aurait peut-être été plus pertinente.

Comment voyez-vous la suite ?
Il faut anticiper dès à présent la phase de déconfinement, qui va poser quelques difficultés comportementales. Il faudra expliquer que le déconfinement n’est pas le synonyme de la fin de l’épidémie. Les gens enfermés depuis des semaines, probablement fatigués du fait d’un manque de relations sociales, auront envie de se réunir. Il ne faudra alors surtout pas abandonner les gestes barrières ni la distanciation sociale. Ne pas se faire la bise, bien se laver les mains, etc. On pourrait penser qu’un geste aussi simple que se laver les mains est dérisoire au regard d’une crise sanitaire de cette ampleur. C’est en fait la mesure au plus fort impact ! Plus généralement, j’espère que l’exécutif saura davantage s’appuyer sur les équipes qui œuvrent dans le champ des sciences comportementales, parce qu’elles apportent et peuvent encore apporter beaucoup à l’efficacité de la décision publique.

* Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Revivez l'émission réalisée en novembre 2019 autour des sciences comportementales :

https://www.acteurspublics.fr/webtv/emissions/semaine-de-linnovation-publique/debat-sciences-comportementales-quelles-avancees-pour-laction-publique

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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