Aymeril Hoang, l’architecte discret du projet d’application StopCovid
Membre du Conseil scientifique Covid-19 en tant qu’expert du numérique, l’ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi au secrétariat d’État au Numérique a eu en réalité un rôle central, en coulisses, dans l’élaboration du projet d’application de traçage numérique StopCovid. Récit.
Simple conseiller sur les questions numériques ou coordonnateur en chef de StopCovid ? Le rôle d’Aymeril Hoang, ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi lorsque ce dernier était secrétaire d’État chargé du Numérique, est longtemps resté obscur, alors que se profile le déploiement d’une application gouvernementale de suivi numérique. Il en a pourtant été le principal acteur. Officiellement, Aymeril Hoang, qui dirige dans la vie civile une société de conseil, n’est qu’un simple membre du Conseil scientifique chargé d‘éclairer l’exécutif dans la lutte contre le Covid-19.
Nommé à ce poste le 3 avril, il s’exprime publiquement sur le “traçage numérique” pour la première fois le 15 avril, lors de son audition aux côtés du président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, par la commission des lois du Sénat. Et c’est en cette qualité de membre du Conseil scientifique qu’il a accordé de – rares – entretiens à la presse ces deux dernières semaines.
L’occasion de défendre un projet dont il a en réalité été, en coulisse, l’un des principaux artisans. Une sorte d’architecte. Dès la mi-mars, Aymeril Hoang se voit confier par le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, une mission, bénévole, sur les outils d’identification des contacts qu’a pu avoir une personne contaminée. Les deux hommes “se connaissent bien et travaillent en confiance”, observait, début avril, une source en coulisse.
Mission d’exploration
L’ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi, normalien et agrégé d’économie et de gestion, un temps directeur de l’innovation de la Société générale, a officié comme conseiller de Fleur Pellerin lorsqu’elle était secrétaire d’État au Numérique, à Bercy, entre 2012 et 2014, sous la Présidence Hollande. Et ce alors que Cédric O était lui-même conseiller du ministre de l’Économie de l’époque, Pierre Moscovici.
Selon Aymeril Hoang, le périmètre de sa mission durant la crise sanitaire se veut large et porte sur tout ce que peut apporter le numérique en la matière, mais il s’est focalisé rapidement sur le contact tracing, encore “hors des radars” en France, selon lui. C’est lui-même qui a approché le gouvernement Philippe, et en particulier Cédric O. “Il nous a alertés dès la mi-mars, et comme il connaissait à la fois le sujet, le fonctionnement de l'État et le monde des start-up, nous lui avons demandé d‘approfondir l’audit de ce qui se fait à l’étranger et de ce qui pourrait se faire en France tout en définissant des lignes rouges à ne pas franchir”, indique-t-on au cabinet de Cédric O.
Le secrétaire d’État valide donc cette mission, menée d’abord de manière informelle puis, à partir du 30 mars, sous l’autorité du Premier ministre et conjointement avec la déléguée au numérique en santé, Laura Létourneau. La mission doit néanmoins se faire la plus discrète possible. Car officiellement, le gouvernement Philippe ne travaille pas sur une application de contact tracing dans l’optique d’un déploiement réel. Il ne fait que se préparer à l’éventualité d’un feu vert, pour ne pas être pris au dépourvu le moment venu.
“D’autant que le Premier ministre ne semble pas le premier convaincu par l’utilité d’un tel dispositif, qui apporterait plus de problèmes que d’avantages”, relève une source bien informée. Qu’importent les doutes, l’ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi déroule sa mission et s’active en coulisse : il reçoit, traite et trie les offres d’une multitude d’acteurs du numérique, notamment privés.
Grand artisan de StopCovid
Chacun y va de sa solution commerciale clés en main ou de sa simple proposition de participation à l’effort collectif pour apporter une réponse numérique à la crise. “Mon travail a consisté à analyser des propositions reçues par le cabinet et à donner un avis pour qu’il tranche”, indique Aymeril Hoang à Acteurs publics.
Son rôle exact dépasse en réalité cette simple mission d’audit. Selon nos informations, c’est bien lui qui a œuvré pour mettre le projet StopCovid dans les starting-blocks, en cherchant à fédérer un maximum d’acteurs autour d’un projet français d’application de contact tracing. Systématiquement associé aux réunions stratégiques, il met en relation les différentes parties prenantes et arrête même la première gouvernance côté État, tout début avril, incluant l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et la direction interministérielle du numérique (Dinum). Il est également chargé de faire le lien avec les autorités sanitaires, et notamment la délégation du numérique en santé.
Officiellement, Aymeril Hoang n’est plus aux commandes de StopCovid depuis que le projet est entré dans sa phase opérationnelle, à la mi-avril. Il siège tout de même toujours aux comités stratégiques qui se tiennent plusieurs fois par semaine pour faire un point sur l’état d’avancement du projet et décider de ses principales orientations. Il participera d’ailleurs largement à orienter le fonctionnement général de l’application.
La Dinum écartée de la gouvernance
C’est lui qui, dès le début, a poussé pour adhérer à l’initiative européenne PEPP-PT, fondée sur la technologie Bluetooth. “Cela me semblait être la meilleure piste possible : communauté transparente, pas de géolocalisation, minimisation de la collecte des données, conformité au RGPD [le règlement européen sur la protection des données, ndlr] et à nos valeurs…” retrace aujourd’hui Aymeril Hoang. C’est encore lui qui propose au cabinet du secrétaire d’État au Numérique d’écarter la Dinum, un temps associée aux développements de l’application. Sans doute trop.
Alors que l’Inria est désigné tête de pont du projet, la Dinum conteste de nombreux choix et remet en cause sa gouvernance. Bien que son directeur siège encore au comité stratégique, la Dinum est écartée du pilotage opérationnel à la mi-avril, au moment où le gouvernement compose l’équipe-projet qui s’active, encore aujourd’hui, aux développements de l’application, pour une mise en route prévue début juin.
Malgré les incertitudes et les obstacles techniques qui restent à surmonter, le principal artisan du projet StopCovid juge avoir rempli sa mission : “L’enjeu, explique-t-il, a toujours été de pouvoir disposer d’une application dans le cas où le ministère de la Santé venait à décider qu’elle puisse être vraiment utile. L’échec serait de ne pas avoir développé d’outil conforme à notre droit et à nos valeurs pour le jour où nous en aurions besoin.” Nul doute qu’Aymeril Hoang scrutera de près les réactions des Français lors du déploiement de cette application qui aura fait couler tant d’encre.
Émile MarzolfÉTAT | COLLECTIVITÉS | HÔPITAL
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