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William Dab : “En situation d’urgence sanitaire, placer les ARS sous l’autorité des préfets est une solution”

Dans une tribune pour Acteurs publics, l’épidémiologiste et ancien directeur général de la santé William Dab revient sur les enseignements de la crise. “Pour lutter contre l’épidémie, il faut une posture girondine pour trouver les meilleures solutions adaptées aux situations locales”, estime-t-il notamment.

On a beaucoup entendu dire que la centralisation de la France avait obéré sa capacité de réponse face à l’épidémie. En réalité, cela aurait pu être un atout. L’exemple des pays fédéraux ne montre pas de supériorité évidente dans les résultats obtenus.

Gardons-nous des explications simplistes et reconnaissons que la situation est d’une telle ampleur et d’une telle complexité qu’elle a posé et pose encore d’énormes difficultés décisionnelles. Des erreurs étaient inévitables, l’important est de les corriger rapidement. Plutôt que de donner des leçons, il est plus intéressant de réfléchir aux difficultés de la décision en situation d’incertitude 1 et 2. Parmi ces difficultés, la cohérence de l’organisation des pouvoirs publics mérite d’être débattue.

L’organisation de l’État le met en difficulté pour gérer des crises multisectorielles comportant de nombreuses incertitudes.

Il ne faut pas perdre de vue les nombreuses zones d’ombre de cette épidémie, notamment : la cartographie des sources de contamination ; la durée de l’immunité conférée par la maladie ou les vaccins ; le potentiel évolutif des variants ; le rôle des enfants dans la dynamique épidémique. Depuis le départ, la grande question est celle de la gestion de l’incertitude. C’est le genre de situation que nos responsables politiques et administratifs redoutent.

L’organisation de l’État le met en difficulté pour gérer des crises multisectorielles comportant de nombreuses incertitudes. Son organisation est verticale, sa culture est de donner des ordres plus que de créer des consensus d’action, l’interministérialité est souvent un rapport de force plus qu’une coconstruction. Sous la Ve République, c’est l’exécutif qui domine l’agenda du pays. Il est à l’aise quand il peut s’appuyer sur des connaissances solides. Il est perturbé et dysfonctionnel dans les situations incertaines.

Absence d’une politique de sécurité sanitaire

Facteur aggravant : nous avons des institutions de sécurité sanitaire, mais pas de politique globale. Une politique de sécurité sanitaire comporterait une cartographie des risques, une définition des objectifs et des doctrines, une répartition claire des responsabilités et des moyens, des processus de suivi et d’évaluation.

De surcroît, nous manquons de professionnels de santé publique sur le terrain : peu d’épidémiologistes pour identifier les sources de contamination et les contacts des cas ; peu d’organisation et d’accompagnement des personnes à isoler ; faible éducation sanitaire…

Ce que l’on paye ici, c’est un mouvement en ciseaux qui, dans un premier temps, a tout misé sur le curatif, puis qui l’a rationné. Si bien que nous perdons sur les deux tableaux : le préventif et le curatif.

Organisation de guerre ?

Nous avons été attaqués par un virus qui force à livrer bataille, une bataille totale, sanitaire, économique et sociale. Ce n’est évidemment pas une guerre de type militaire avec un front identifié. Aucune paix ni armistice n’est envisageable, il faut le détruire. Cette guerre va être longue et c’est en fait une guérilla, le virus attaquant simultanément plusieurs endroits de façon hétérogène.

Qui dit guerre dit organisation de guerre, c’est-à-dire une stratégie et une doctrine, une ligne de commandement claire et un grand souci pour la logistique. Ces trois points ont présenté des faiblesses.

Aucune stratégie éprouvée n’était concevable dans ce contexte d’incertitudes et de nouveauté évoqué plus haut. Dans ce genre de situation, tous les scénarios doivent être envisagés, aucun ne doit être éliminé, il faut de la réactivité et du pragmatisme. Depuis les attentats de 2001 et la canicule de 2003, des plans de gestion des situations exceptionnelles ont été conçus. En particulier, un plan de gestion des pandémies grippales, qui était logiquement une base intéressante pour le Covid-19 à condition d’en saisir les limites, car l’épidémie due au coronavirus est différente de la grippe.

Il faut un centre de commandement interministériel unifié et celui-ci ne peut avoir l’autorité nécessaire que placé auprès du Premier ministre.

Une stratégie n’est pas un carcan. Elle sert à donner un sens qui permet à tous les acteurs de marcher vers un but partagé. Que veut-on : éradiquer le virus ? Limiter la mortalité ? Éviter les surtensions hospitalières ? Préserver l’économie ? Il y a des choix à faire, on ne peut pas gagner sur tous les tableaux. Dans un premier temps, la stratégie a été sanitaire. Depuis 2021, elle est beaucoup moins lisible.

Si la stratégie relève des plus hauts responsables de l’État, la ligne de commandement est moins bien définie. Ni le président de la République, ni le Premier ministre, ni le ministre de la Santé ne peuvent s’investir à temps plein dans la lutte contre l’épidémie. Il faut un centre de commandement interministériel unifié et celui-ci ne peut avoir l’autorité nécessaire que placé auprès du Premier ministre.

Ceci vaut également pour l’organisation de l’expertise scientifique. Le choix a été fait de créer une petite structure dédiée. Cela mérite réflexion, indépendamment de la qualité des scientifiques sollicités, qui n’est pas en cause. D’une part parce que pour ces experts, la charge de travail est considérable. D’autre part parce que cela ouvre la possibilité d’avis dissonants qui vont accroître le désarroi de l’opinion. Une autre solution aurait été de constituer un comité de liaison entre les organismes de recherche, les académies, les principales sociétés savantes, les agences et les comités existants. En situation d’urgence, il vaut mieux coordonner l’existant que d’accroître la complexité.

Quant à la logistique, c’est évidemment tout sauf un détail. Les questions sont très nombreuses (masques, gel, médicaments, tests, systèmes d’information, vaccins, etc.). Il faut là aussi une structure dédiée capable de se projeter sur le terrain. Un point qui mérite d’être souligné est que les préfectures ont des capacités logistiques que n’ont pas les agences régionales de santé (ARS), ce qui nous amène à discuter de leurs relations.

Malheureusement, l’Union européenne n’a pas été en mesure d’appuyer efficacement les États membres parce qu’elle n’en a pas le pouvoir[3].

Dualité préfectures-ARS

Les ARS ont été formées par un regroupement de structures relevant du ministère de la Santé (les ARH), des préfectures (les Drass*) et de l’assurance maladie (les Cram**). Placer les ARS hors du dispositif préfectoral avait une logique : leur mission principale est d’organiser le système de soins. Pour négocier avec des soignants, le ministère de la Santé est mieux accepté que les préfets. Cependant, pour parler aux élus, c’est l’inverse : les préfets en ont l’habitude, pas les administrations. Le ministère chargé de la Santé a plus travaillé avec les ARS qu’avec les préfets. Pour les autres ministères, c’est l’inverse. En situation calme, ce dispositif est dans l’ordre des choses. Mais en situation d’urgence de sécurité sanitaire, la coordination de tous les acteurs, incluant évidemment l’interministérialité, est une condition de la maîtrise d’une épidémie.

Une difficulté est que notre pays a perdu la mémoire de la lutte contre les épidémies. Trop longtemps, nous avons eu de la chance. Le sida n’a pas été vaincu, mais des traitements efficaces ont changé radicalement la menace. Le prion de la vache folle a fait moins de dégâts qu’attendu, car l’immense majorité de la population est protégée génétiquement. La pandémie de grippe A H1N1 s’est révélée au final bien moins grave que ce que l’on redoutait au départ. La souche de grippe A H5N1 n’a pas eu la gravité redoutée. Les épidémies d’Ébola et celle du Sras ont pu être contenues. S’est ainsi installée de façon dominante l’idée que les menaces pandémiques n’étaient pas si fortes, même si des épidémiologistes continuaient à sonner l’alarme[4].

Chaque fois, après une phase de peur et de mobilisation, on a dit “ouf” et on est passé à autre chose. Quand une menace sanitaire survient, forte d’incertitudes, les décideurs cherchent plus ou moins confusément un événement qui sert à structurer la démarche décisionnelle. Chez nous, le référent décisionnel a été, tout au long des années 2010, la surréaction face à la pandémie grippale de 2009. Il s’ensuit que les décideurs ont baissé la garde.

Pour lutter contre l’épidémie, il faut une posture girondine pour trouver les meilleures solutions adaptées aux situations locales.

Ainsi, nous avons oublié les leçons du passé, si bien que nous avons été pris au dépourvu. Faute d’une organisation réfléchie, nous avons été conduits à improviser, à multiplier les stop-and-go coûteux et usants. La lutte contre l’épidémie appelle des mesures qui ne portent pas seulement sur le système de santé. Elles concernent aussi, les écoles, les entreprises, les transports, le maintien de l’ordre, etc., tous domaines étrangers aux ARS. Il y a donc plusieurs pôles à articuler, dont deux à contenu sanitaire qui ne travaillent pas au quotidien avec les préfets ni avec les élus.

Par conséquent, l’articulation entre ces pôles a pu se faire parfois, mais pas partout. Cela dépend beaucoup des qualités managériales des uns et des autres, mais il y a aussi une question de culture commune, de confiance entre les partenaires et de partage clair des responsabilités. En situation d’urgence de sécurité sanitaire, placer les ARS sous l’autorité des préfets est une solution qui devrait être étudiée. Car ceux-ci ont l’expérience de la gestion des situations exceptionnelles, des moyens humains et logistiques correspondants, un rôle interministériel et le pouvoir de réquisition.

Finalement, il nous faut un État jacobin pour prendre les dispositions légales requises et pour mobiliser les moyens de limiter la casse sociale et économique. Mais pour lutter contre l’épidémie, il faut une posture girondine pour trouver les meilleures solutions adaptées aux situations locales. Un changement de culture est indispensable si l’on veut se préparer aux prochaines et inévitables pandémies.

[1] W. Dab, “Catastrophes et sécurité sanitaire : aspects conceptuels et politiques”, Responsabilité et Environnement n° 98, avril 2020, pp. 77-80.
[2] W. Dab, “L’alerte en santé publique : trop ou pas assez ?”, Actualités et Dossiers en santé publique n° 106, mars 2019, pp. 39-43.
[3] W. Dab et C. Weill, “En matière de santé publique, il est urgent que les compétences de l’Union européenne soient élargies”, Le Monde, 23 mars 2021.
[4] W. Dab, Santé et Environnement, “Que sais-je ?” n° 3 771, 2020, 5e édition, PUF.

* Directions régionales des affaires sanitaires et sociales.
** Caisses régionales d’assurance maladie.

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Club des acteurs publics

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