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Valérie Petit : “Transformer l’ENA pour aller vers la grande réforme de l’État que nous attendons toujours”

Il faut transformer l’ENA en une grande école du leadership européen connectée aux territoires et aux universités, plaide la députée du Nord, membre du groupe Agir ensemble, spécialiste des enjeux RH et rapporteure des crédits parlementaires relatifs à la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. Cette transformation doit être une étape de la réforme de l’État “que nous attendons toujours”, relève-t-elle. 

Vous avez écrit et travaillé sur l’avenir de l’ENA. Comment réagissez-vous à l’annonce de sa suppression ? 
Il faut, avant de répondre à votre question, bien avoir deux enjeux en tête. Premier enjeu : aller au-delà de l’ENA et réfléchir à la manière dont notre pays fabrique ses élites et ses responsables, qu’ils soient dans les champs administratif, politique, économique, scientifique, associatif… Nous devons rester fidèles à la promesse d’égalité des chances et de représentativité de nos responsables. Le deuxième enjeu concerne plus spécialement l’administration française, qui a acquis un pouvoir démesurément élevé, particulièrement la haute fonction publique. Elle supplée régulièrement le politique, ce qui est parfaitement antidémocratique. Comment faut-il faire pour que l’administration soit moins puissante, plus efficace et à sa place, c’est-à-dire rendant compte aux citoyens ? La réforme de l’ENA est prise entre ces deux mouvements à mener, celui de la représentativité de nos leaders, de l’égalité des chances, de la diversité d’un côté et, de l’autre, celui d’une administration aujourd’hui trop souvent déconnectée dans le temps et dans l’espace. Là sont les vrais enjeux. 

Pensez-vous que la suppression de l’ENA et son remplacement par un nouvel institut permettra d’aller dans le sens de ces deux problématiques ? 
Supprimer l’ENA n’aurait en effet pas de sens si ces deux objectifs n’étaient pas visés. Je n’ai, à ce stade, pas d’éléments sur ce qui va être mis en place ni sur l’ambition réelle de la réforme. Je milite pour des filières d’excellence s’appuyant sur les universités et les territoires et permettant une plus grande fluidité dans les parcours, le mélange de profils, de compétences… Je milite aussi pour la suppression du système français des grandes écoles : l’ENA, mais aussi X, les Mines, Ponts… Parce que ces écoles fabriquent les travers de la technostructure. 

Plutôt que des écoles du service public qui n’ont pas la taille critique pour peser sur le plan international, il faut appuyer les universités et intégrer en leur sein les grandes écoles de la fonction publique.

L’ENA sera remplacée par un “Institut du service public”. Qu’en attendez-vous ? 
Si ce futur institut permet de produire les responsables et les leaders politiques les plus divers et les plus efficaces, alors très bien ! Cela satisfera à l’objectif de former des élites rénovées. Plus largement, cette réforme doit être la première étape d’une grande réforme de l’État que j’appelle de mes vœux et qui n’a pas encore été menée dans ce quinquennat. Si c’est la première phase, alors j’applaudis ! Et cela même si cela intervient tardivement. Par ailleurs, la réforme du statut de la haute fonction publique – je pense tout particulièrement à la promesse de supprimer les grands corps – doit être également menée. Tout cela doit être abordé dans une même logique et une même dynamique. Concernant l’Institut du service public, il doit se tourner vers une université digne de ce nom, soutenue et appuyée par des moyens. Plutôt que des écoles du service public qui n’ont pas la taille critique pour peser sur le plan international, il faut appuyer les universités et intégrer en leur sein les grandes écoles de la fonction publique. On pourra ainsi favoriser le brassage des élèves quelles que soient leurs origines. 

Vous souhaitez donc voir disparaître les grandes écoles de la fonction publique ? 
Attention : je ne viens pas “cracher” sur ces grandes écoles, qui permettent à des gens venus de milieux modestes – comme moi – d’accéder à des parcours et des responsabilités importantes. Mais il faut que l’administration change : l’intégration de ces écoles aux universités permettra de constituer des élites repensées, diversifiées, représentatives. Ce qu’elles ne sont pas aujourd’hui. 

Quelles sont les compétences qui devront être proposées dans le futur Institut pour aller dans ce sens ? 
J’avais proposé de transformer l’ENA en une grande école du leadership public, une sorte de Kennedy School [l’école d’administration publique de l’université de Harvard, aux États-Unis, ndlr]. Les futurs hauts fonctionnaires doivent avoir la capacité d’emmener les gens, de proposer une vision, de mettre en œuvre une transformation. Le leadership et la transformation doivent être, encore davantage qu’aujourd’hui, au cœur des enseignements. Il faut par ailleurs renforcer la recherche opérationnelle sur ces enjeux de transformation. L’ENA n’est pas suffisamment connectée à la recherche scientifique, certainement parce que c’est une école de trop petite taille. Sa connexion renforcée avec les universités l’y aidera. L’ambition de cette réforme doit être de créer une grande école du leadership européen, au sein de laquelle on viendra apprendre à porter la transformation d’une organisation. Je veux y croire ! 

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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