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Sondage : les propositions des Français pour une haute fonction publique plus ouverte

À l’exception notable des armées, les administrations de l’État sont perçues comme moins efficaces que le secteur privé pour intégrer la diversité, selon notre enquête, réalisée par l’Ifop. Les Français plaident pour une formation des hauts fonctionnaires plus proche du terrain et du quotidien des populations.

Alors que la question de la diversité dans la haute fonction publique fait de nouveau débat avec la suppression annoncée de l’ENA et la réforme du recrutement et de la carrière des hauts fonctionnaires, une majorité de Français estime qu’aujourd’hui, la fonction publique dans son ensemble n’est pas à l’image de la société (56 %). À l’inverse, 23 % pensent que c’est le cas, tandis que 21 % déclarent ne pas savoir, selon l’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques, réalisée par l’Ifop. [Lire la tribune d'Arnaud Lizé, directeur associé EY Consulting et Olivier Bouet, directeur EY Consulting]

Parmi les populations les plus nombreuses à estimer que la fonction publique n’est pas à l’image des Français, nous retrouvons notamment les 35 ans et plus (60 %), les ouvriers (66 %) et les salariés du privé (62 %). Au contraire, les Franciliens sont proportionnellement plus enclins que le reste de la population à juger la fonction publique comme étant à l’image des Français (35 %). 

L’armée perçue comme une exception

L’armée est l’entité la plus citée (par 42 % des personnes interrogées au total) comme étant l’organisation qui réussit le mieux à intégrer la diversité de parcours et d’origine de ses agents. Une perception particulièrement répandue parmi les sympathisants de droite (52 % de citations). Hormis cette première place, c’est le secteur privé qui est perçu comme un vecteur d’intégration de la diversité, davantage que les institutions. Les entreprises sont ainsi citées parmi les organisations favorisant le plus la diversité de leurs collaborateurs par 2 Français sur 5, quelle que soit leur taille (40 % pour les grandes entreprises, 40 % pour les TPE-PME, 38 % pour les start-up).

Des scores plus en retrait sont mesurés pour les collectivités territoriales (32 % pour les départements et régions, 30 % pour les mairies), comme pour l’éducation nationale (30 %). Les organisations les moins citées – et donc perçues comme les moins diversifiées – sont les préfectures (11 %) et la justice (10 %).

Interrogés concernant les pistes qui, selon eux, permettraient de mieux garantir la diversité de la haute fonction publique, 2 Français sur 5 mentionnent le fait de réserver la moitié des postes de comité de direction publics à des femmes (41 % de citations). Faciliter les mutations d’agents de région à région est tout autant cité (41 %), ainsi que, dans une mesure à peine moindre, la mise en place de formations spécifiques pour préparer les concours administratifs (39 % au global, 47 % chez les employés). 

Passage obligé par le privé

Enfin, l’idée d’exiger, pour passer un concours administratif, une expérience d'au moins un an dans une entreprise privée ou dans le monde associatif est presque autant citée que les pistes précédentes (38 % au global, 51 % chez les cadres). 

Après interrogation des Français sur les réformes qu’ils approuveraient concernant la formation des hauts fonctionnaires, l’idée plébiscitée est celle d’imposer l’exercice d’un poste sur le terrain avant de donner accès à des responsabilités dans l’administration centrale (90 % des Français y sont favorables). Signe que le rapprochement entre la haute fonction publique et le quotidien de la population constitue un axe de développement fondamental, la proposition d’étendre les stages dans le privé et l’associatif obtient une adhésion presque aussi massive (88 %). Externaliser davantage la formation professionnelle des agents publics (78 %), accélérer la progression de carrière au mérite (77 %) et remplacer l’ENA (76 %) comme annoncé par le président de la République, sont des pistes de réformes trouvant également un soutien très large dans la population.

L’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop a été menée par questionnaire auto-administré en ligne les 8 et 9 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1 008 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) après stratification par région et catégorie d’agglomération.

EXPERTISE

Renouveler pour mieux servir : pourquoi notre fonction publique gagnerait à se transformer encore plus vite 

Par Arnaud Lizé, directeur associé EY Consulting et Olivier Bouet, directeur EY Consulting

Les annonces présidentielles de ces dernières semaines ont été reçues telles un coup de tonnerre dans la fonction publique. Si l’on peut comprendre les interrogations qui s’ensuivent, ces perspectives constituent également une formidable opportunité de trouver des solutions aux faiblesses structurelles dont la dernière crise sanitaire a malheureusement révélé certains aspects. 

Trois décalages nous frappent en particulier, au contact des clients que nous accompagnons au quotidien. 

Tout d’abord, le décalage croissant entre les formations initiales des hauts fonctionnaires, au profil académique généraliste, sanctionnant un parcours scolaire d’excellence, et les compétences attendues sur les postes occupés par ces derniers une fois confrontés au terrain, appelant des savoir-faire métier liés à une forte professionnalisation et supposant une formation tout au long du parcours de vie professionnelle. Cette tendance est accentuée par le risque de voir la formation continue des fonctionnaires placée au dernier rang des priorités managériales, parfois sacrifiée sur l’autel de la pression quotidienne des services. Si le taux d’accès à la formation professionnelle reste plus élevé en général dans le secteur public que dans le secteur privé, rappelons qu’un agent public formé reçoit en moyenne 30 heures  de formation continue par an là où un actif occupé du secteur privé en reçoit 2,5 fois plus. Quand on sait par ailleurs combien la formation continue est souvent peu articulée avec l’évolution des métiers en l’absence de véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, il est aisé de comprendre la raison des réformes en cours.

Ensuite, le décalage entre une culture de l’inspection et de la vérification, entretenue par la prédominance des corps de contrôle, qui recrutent encore beaucoup en sortie d’école, et une administration gestionnaire et agissante, ce qui conduit à moins valoriser l’État intendant, logisticien et gestionnaire dont nous avons pourtant plus que jamais besoin, comme l’a rappelé, de façon saisissante, la gestion de la crise du Covid-19. 

Enfin, le décalage entre la « bonne foi » de l’administration centrale et les doléances exprimées par le terrain, que la faible mobilité vers les territoires inévitablement nourrit , dans un contexte où les services déconcentrés de l’État représentent toujours moins de 18 %  des effectifs de la fonction publique d’État (hors éducation nationale). Alors que certains services déconcentrés éprouvent des difficultés à combler leurs postes vacants et que les déséquilibres se creusent entre les territoires attractifs et les territoires en tension, la valorisation des mobilités vers des territoires jugés peu attractifs gagnerait à être renforcée via des mesures incitatives concrètes (accélération de carrière, rémunération différenciée…), de même que l’accélération de la déconcentration des décisions administratives, en cohérence avec les promesses de l’exécutif en la matière. 

Face à cette situation, plusieurs pistes s’offrent aux décideurs afin de mieux diversifier la haute fonction publique et de faire réussir les réformes annoncées par l’exécutif.

D’une part, afin de sécuriser la sélection des hauts potentiels, il paraît primordial de procéder à cette sélection à un moment du parcours des intéressés où leur performance individuelle dans l’exercice de leur « cœur de métier » et leur aptitude managériale ont pu être évaluées et sont avérées.

Plus spécifiquement, un « vécu métier » en service déconcentré pourrait être requis avant de promouvoir les hauts potentiels, et valorisé notamment en créant des incitations significatives via une déconcentration RH accrue. Ainsi, affecter des hauts fonctionnaires parisiens sur des missions ponctuelles de courte durée, en puisant par exemple dans le vivier des 3 inspections interministérielles IGF, IGA et Igas (environ 400 inspecteurs), et mobiliser leurs compétences pour renforcer l’accompagnement des politiques publiques dans les territoires, sur le modèle des sous-préfets à la relance et à la transformation, va dans le bon sens. De même, la mise en place de primes incitatives de fidélisation territoriale sur le modèle de la Seine-Saint-Denis est à encourager. 

D’autre part, la mise en place (certes souple et non enfermante) de véritables parcours de carrière structurés par grandes filières métier – par exemple filière RH, filière financière, filière audit interne ou encore filière numérique – permettrait de professionnaliser encore davantage, dans la mesure où les intéressés, spécialisés, monteraient en compétences au sein de leur filière. Certes, une telle évolution offrirait une moindre variété de parcours qu’aujourd’hui, où les hauts fonctionnaires peuvent changer de domaine-métier au fil des mobilités, mais posséderait l’avantage de conforter l’excellence opérationnelle des intéressés.

En lien avec cette évolution, apparaît nécessaire le déploiement systématique, par filières, d’une réflexion prospective sur les compétences de demain, articulée avec un effort ambitieux de « reformation », visant à sécuriser l’arrivée sur un nouveau poste, aux moments clés de la carrière, mais aussi à faire monter en compétences dans le domaine numérique, en lien avec la révolution numérique des métiers. À cet égard, les exemples d’upskilling britannique de la Government Digital Service Academy ou celui du programme australien « Leading Digital Transformation », auquel ont été formés déjà plus de 10 % des fonctionnaires du pays, s’avèrent inspirants . 

Enfin, la réussite de ces transformations suppose de conforter et de structurer davantage la fonction « gestion des talents » – nouveau défi à relever pour la future délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) – afin de mieux gérer et accompagner le parcours des hauts potentiels, comme commencent à le faire aujourd’hui certaines administrations centrales, par exemple la direction générale du Trésor avec ses cadres A+. Elle nécessite également de s’appuyer davantage sur des structures professionnalisées de formation continue (MBA/MPA de grandes écoles, IAE), vers lesquelles l’État pourrait davantage se tourner pour externaliser une partie de la formation professionnelle de ses agents. 
Vaste programme pour les DRH publics !

Un retour d’expérience : l’École de guerre
Institution interarmées largement reconnue, l’École de guerre répond à une double finalité. Elle vise, d’une part, à sélectionner de hauts potentiels, pour les faire accéder, en deuxième partie de carrière, à des postes à responsabilités (grade de colonel/capitaine de vaisseau). Le concours d’entrée est ainsi ouvert à des officiers possédant une solide expérience opérationnelle de leur métier, acquise au cours de onze à quinze années de service en moyenne. D’autre part, structure de « formation continue », elle a pour mission d’apporter à ses 260 stagiaires, âgés de 31 à 35 ans, un enseignement centré à la fois sur l’apprentissage des procédures opérationnelles Otan, en interarmées, et sur la stratégie, la géopolitique et les langues, afin de préparer au mieux ces officiers à l’exercice de leurs futures responsabilités.
L’École de guerre constitue ainsi un exemple solide, dans la mesure où elle permet de se fonder pleinement sur « l’expérience terrain », en plus des connaissances académiques des candidats au concours d’entrée. Ce modèle éprouvé peut inspirer avec succès la sélection et la formation des hauts fonctionnaires civils pour leur deuxième partie de carrière.

"Better Balance", l’exemple danois de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales
Après une première vague de décentralisation en 2007 (local government reform), le Danemark a entrepris, en 2015 et 2018, deux vagues de réforme avec à la clé la relocalisation de près de 10 000 agents de la fonction publique d’État en dehors de Copenhague pour une répartition plus homogène de ses services, et une gestion prévisionnelle de ses emplois et de ses compétences à l’échelle de ses territoires.
Plus de 1 000 « clusters de compétences » (centres de formation) ont été ouverts, proposant une offre de service modulaire en fonction des besoins des territoires, rassemblant experts du secteur privé, du secteur public, institutions et chercheurs du monde académique. 
Au service de la formation continue des agents sur les territoires et doté d’un fonds pour le développement des compétences, le Secrétariat danois des compétences accompagne les agents publics dans l’exercice de leur mobilité vers le secteur privé et vers l’acquisition d’un socle commun en matière de compétences numériques, de capacités managériales et de leadership, et ce dans une fonction publique qui comporte d’ores et déjà près de 80 % d’agents contractuels.

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Club des acteurs publics

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