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Réforme de l’État : que sont devenues les propositions des agents ?

Après un exercice inédit de “démocratie participative” interne, les agents publics avaient formulé 50 propositions au Premier ministre pour lever les blocages rencontrés dans leur travail quotidien. Deux ans après, la crise sanitaire est venue prioriser la mise en oeuvre des propositions relatives au télétravail.

Délégation de signature, réduction du nombre de niveaux hiérarchiques, droit à l’erreur, portail unique d’outils numériques… Voici un tout petit échantillon des 50 propositions faites par les agents publics de l’État au Premier ministre, en conclusion d’une vaste opération de consultation entamée début 2019 et pilotée par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Près de 140 000 agents publics s’étaient alors connectés sur une plateforme en ligne, pour proposer et débattre de pistes d’amélioration de leurs conditions de travail. Avec un maître-mot : la simplification.

Une série d’ateliers collaboratifs avaient ensuite été organisés pour préciser les nombreuses idées et les transformer en propositions opérationnelles, lesquelles avaient été envoyées au Premier ministre dans la foulée. Acteurs publics avait ensuite révélé la liste exacte des actions dont la publication, avait promis la DITP, devait être publique.

Et depuis ? Depuis, aucune nouvelle. “Je n’ai pas été tenu au courant des avancées. Et pourtant, que de belles intentions au départ...”, regrette un agent ayant participé à la consultation et pourtant enthousiasmé par le caractère inédit de la démarche, participative, que la direction n’a pas hésité à souligner pour démontrer “la validité de la méthode collaborative et partenariale mise en œuvre”. Le directeur de l’époque, Thomas Cazenave, avait lui-même insisté dans sa lettre au Premier ministre sur la volonté des agents d’être tenus informés de l’avancée du programme de réforme, voire d’être associés à sa construction.

Il faut dire qu’un certain nombre des propositions faites par les agents étaient déjà plus ou moins dans les tuyaux, notamment celles liées au numérique. L’esprit de certaines autres, notamment liées à l’autonomie des agents et managers, à la transformation de la culture et de l’organisation du travail, se retrouvent également de manière diffuse dans les engagements pris lors des différents CITP. C’est le cas de l’objectif d’administration zéro papier grâce à la signature électronique et la généralisation des parapheurs numériques, mais aussi de la transformation de l’organisation financière et de la chaîne comptable pour responsabiliser les gestionnaires publics et en même temps alléger les contrôles avec, par exemple, l’évolution du régime de responsabilité pécuniaire individuelle des comptables publics.

Mais la DITP semble avoir abandonné tout suivi strict de la mise en œuvre des mesures proposées. Car entre temps, plusieurs événements sont venus percuter l’agenda : un changement de patron de la DITP, pour commencer, l’arrivée de Jean Castex à Matignon à la place d’Edouard Philippe et la nomination d’une ministre chargée de la Transformation publique. Enfin, surtout, une pandémie mondiale.

Priorité au télétravail

“La crise sanitaire nous a poussés à nous recentrer sur un sujet porté par l’actualité, à savoir le télétravail”, explique Hélène Boissin-Jonville, directrice de projet à la DITP. Un nouveau mode de travail que les agents appelaient d’ailleurs à reconnaître comme un droit et à généraliser, mais pas sans les bons outils numériques. “À travers la question du télétravail, on retrouve beaucoup des enjeux mis en avant par les agents dans la consultation : autonomie, confiance entre le manager et ses agents, mais aussi des chantiers plus concrets comme le développement d’outils numériques collaboratifs”, appuie la directrice de projets. La direction interministérielle du numérique a d’ailleurs mis un coup d’accélérateur sur le développement d’outils numériques de travail, un chantier déjà engagé à travers “l’environnement de travail numérique des agents”, qui a abouti à la généralisation de la messagerie Tchap, des outils de travail collaboratif WebConference, AudioConference, ou encore Osmose et Resana..

Le projet a depuis été remodelé en “sac à dos numérique de l’agent” et fait l’objet d’un volet entier du plan de relance. 82 millions d’euros sont ainsi destinés à construire “l’écosystème de travail collaboratif numérique dont a besoin un agent pour travailler efficacement, qu’il soit sédentaire, en télétravail ou en mobilité”. Il faut y ajouter presque autant pour l’équipement des agents en matériel sécurisé ainsi que pour la modernisation du Réseau interministériel de l’État et donc l’augmentation des débits de connexion.

De son côté, la DITP s’est concentrée sur l’accompagnement des agents et de leurs managers au télétravail, pratique relativement neuve dans la fonction publique. Elle a notamment publié un guide pour aider les agents à concilier travail en présentiel et en distanciel à l’automne 2020. À défaut d’informer les participants à la consultation sur la concrétisation de leurs propositions, la DITP a tout de même conservé quelques liens avec certains d’entre eux. “Nous utilisons ce carnet d’adresses comme un vivier d’agents pour tester des prototypes, avoir un retour d’expérience de leur vécu, de leurs pratiques du télétravail”, indique Hélène Boissin-Jonville. Une association plus étroite qui figurait d’ailleurs parmi les recommandations des agents.

Depuis, la direction a poursuivi ses réflexions sur le télétravail non pas comme une réaction à la crise mais comme une pratique appelée à se pérenniser et qui vient bousculer l’organisation classique du travail (responsabilisation des agents, dépassement du management de contrôle pour aller vers un management par objectifs, animation du collectif...) et dont elle a tiré une boîte à outils mise en ligne au début de l'été

Chantiers au long cours

Un grand nombre de mesures de la consultation semblent encore au point mort. L’étendue et la nature des mesures n’ont en tout état de cause pas facilité leur mise en œuvre, ni le suivi de leur mise en œuvre. Les pistes d’action avaient d’ailleurs été préventivement classées en trois catégories : “rapidement déployables”, "déployables à législation constante mais nécessitant un plan d’action”, et enfin des propositions beaucoup plus structurantes et nécessitant une évolution de la loi.

De fait, certaines mesures ne sont clairement pas applicables du jour au lendemain, soit parce qu’il s’agit de chantiers au long cours, soit parce que leur mise en place nécessite un modification réglementaire ou légale : transformation de la culture managériale, création d'une vraie DSI interministérielle (qui “pilote, décide, impose sa vision du cycle de vie et de l’architecture des applications transverses”) ou encore reconnaissance d’un droit à l’erreur des agents publics, dont le DITP de l’époque, Thomas Cazenave, s’était d’ailleurs fait l’avocat.  “Le droit à l’erreur pour les agents est l’indispensable corollaire du droit à l’erreur des citoyens”, avait-il affirmé. Peut-être le grand chantier du prochain quinquennat ? 

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