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Pierre-Henri Vray : “L’IRA est une école où l’on apprend à être un fonctionnaire complet”

Le directeur de l’institut régional d’administration (IRA) de Lyon, sur le départ, revient sur ses 2 mandats à la tête de cet institut, durant lesquels il dit s’être attaché à “donner de la substance à la notion de formation qualitative”, et sur sa contribution à la réforme de la formation initiale des IRA engagée en 2017. Au chapitre des regrets, il “souhaite que celle ou celui qui [lui] succédera ait plus de succès dans l’insertion de l’IRA dans son écosystème territorial”.

Vous quittez l’IRA de Lyon au terme de votre second mandat de directeur. Quel regard portez-vous sur la formation des fonctionnaires en France ? Doit-elle être développée et dans quels domaines ?
En effet, le temps est venu pour moi de passer la main au terme de huit années de bonheur professionnel, partagé, je l’espère, avec les équipes particulièrement engagées que j’ai connues à l’IRA de Lyon ; le tout, bien évidemment, sous la tutelle attentive, bienveillante et ouverte de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Là où je servirai l’État, je l’espère, dans quelque temps, je serai évidemment un défenseur résolu et sincère de la formation professionnelle des fonctionnaires, tant initiale que continue, dans ses différentes modalités, en présence ou à distance. Mon positionnement à l’IRA m’a en effet permis de donner de la substance à la notion de formation qualitative, que j’ai tâché de faire partager durant mes deux mandats. Non pas que les formations techniques ou “métiers” soient secondaires, loin de moi cette idée ! Elles sont au contraire très importantes pour donner du crédit aux IRA auprès des employeurs publics pour lesquels ils travaillent en priorité, en veillant à leur fournir les cadres administratifs les plus opérationnels possible. Toutefois, si les écoles de service public ne les assortissent pas de très solides formations au management – notamment au management dans la bienveillance et dans l’attention au développement professionnel et personnel des collaborateurs –, ainsi que de séances répétées de sensibilisation à l’importance des soft skills dans la pratique administrative, elles passent, selon moi, pour partie à côté de leurs missions.
De même, comment concevoir une école de formation de fonctionnaires, en particulier de cadres d’administration générale, qui n’attacherait pas une importance essentielle à des sujets tels que la déontologie, l’engagement citoyen de l’agent public et sa nécessaire exemplarité, la laïcité, la non-discrimination, l’égalité femmes-hommes, l’humanité et la simplicité dans les rapports avec les usagers du service public, la solidarité avec les plus faibles, toutes valeurs ou tous principes qui fondent la République française et qui sont au cœur du statut général ? La priorité à donner au qualitatif s’applique aussi bien au recrutement des fonctionnaires par les concours administratifs. Il s’agit en effet de l’acte premier de GRH [gestion des ressources humaines, ndlr], premier à tous les sens du terme : chronologiquement et peut-être le plus important. D’où la nécessité de s’entourer d’excellents recruteurs, et donc de s’attacher à une sélection très soigneuse des jurys d’entrée et de bien les former. Non seulement, cela va de soi, à la lutte contre toutes les discriminations, mais aussi à savoir sélectionner les profils de futurs attachés de qualité : de bons encadrants qui sauront donner du bonheur professionnel à leurs collaborateurs, du sens à leur travail et qui, c’est très important, s’attacheront à détecter les situations de harcèlement de toutes natures, tout en faisant vivre un service public solidaire, républicain et soucieux de la qualité du service à rendre à l’usager, dans un contexte de ressources publiques comptées. 

Les IRA, celui de Lyon en particulier, ont été très associés à la démarche de réforme de la formation initiale, qui a abouti en 2019 et régit dorénavant la scolarité des élèves attachés. A-t-elle, selon vous, atteint les objectifs qui lui avaient été assignés ?
En premier lieu, je veux préciser, et cela était attesté par les évaluations différées effectuées en particulier par l’Ifop auprès des différents employeurs, que le modèle préexistant depuis une quinzaine d’années (formation d’une année entrecoupée de 2 stages en situation professionnelle) donnait globalement satisfaction aux administrations. En 2017, il a été décidé de donner suite à un rapport de l’inspection générale des Finances qui préconisait un rééquilibrage des moyens budgétaires entre la formation initiale et la formation continue, et pour ce faire, une réduction de la durée de formation directement prise en charge par les IRA. Dans ce contexte, après de longs échanges parfois âpres, tant au sein des écoles qu’entre leurs directeurs et avec la tutelle, la décision a été prise de faire se succéder 2 promotions fonctionnellement prises en compte par les IRA durant six mois, l’une arrivant en mars, l’autre en septembre. Puis d’intégrer à l’année de formation initiale un accompagnement personnalisé, au travers d’actions ciblées de “formation continuée” de l’élève devenu attaché stagiaire, sur son futur poste, en liaison avec l’employeur ; ce dernier étant alors chargé de l’amener au niveau de la titularisation au terme d’une nouvelle période de six mois, cette fois-ci passée en service.
Il faut noter que cette organisation nouvelle confère à l’employeur le pouvoir de titulariser, ou non, l’attaché stagiaire. Pour ma part, je ne doute pas que ce dispositif produira, à terme, des résultats probants. En effet, il est incontestable que la réforme est très positive sur bien des aspects : comme évoqué, la titularisation par l’employeur est un gage de réalisme administratif au bénéfice de la qualité du service rendu. Par ailleurs, le suivi, fondé en principe sur une approche par les compétences de promotions d’environ 80 élèves, doit assurer un suivi en formation plus individualisé et donc d’une qualité renforcée. D’autres dimensions de la réforme devront être évaluées. Certaines le sont actuellement : ne peut-on, en particulier, introduire un stage assez bref, durant la période directement prise en charge par l’IRA ? Ne faut-il pas s’interroger sur le maintien d’un classement de fin de première période fondé sur des évaluations chiffrées pour procéder aux affectations dans les administrations d’accueil ? Pourquoi ne pas y substituer, comme le font d’autres écoles comme l’École nationale des finances publiques (Enfip), le classement d’entrée pour pleinement se consacrer à une approche par compétences et au développement professionnel, voire personnel des élèves fonctionnaires, dans un environnement coopératif et solidaire ? Autant de questions qui seront certainement posées quand les conditions d’une évaluation sereine de l’existant seront rendues possibles par un retour au calme épidémique. N’oublions pas en effet qu’aucune promotion, depuis la mise en œuvre de la réforme, n’a pu suivre sa formation initiale dans des conditions normales, ce en raison de la crise du Covid-19.

L’IRA peut éprouver une légitime fierté à constater que, depuis 2013, ses élèves n’ayant pu être titularisés ou voir leurs périodes de formation validées se comptent sur les doigts d’une main.

L’IRA de Lyon avait été primé, il y a quelques années, lors de la cérémonie des Victoires des acteurs publics, pour l’originalité de ses initiatives en matière d’insertion professionnelle, notamment au travers de sa classe préparatoire intégrée (CPI). Celle-ci préfigure-t-elle la création d’une classe “talents” suite aux annonces du gouvernement en février ? Cette politique est-elle toujours prioritaire pour l’IRA de Lyon ?
Absolument ! La promotion de l’égalité des chances est dans l’ADN de l’IRA de Lyon. Nous souhaitions d’ailleurs célébrer les 10 ans de la CPI lyonnaise à la fin de l’année 2019. Mais la crise sociale nous a alors contraints à annuler la manifestation prévue. Ce devait aussi être un thème majeur du cinquantenaire de l’IRA en 2020. La crise sanitaire nous a hélas de nouveau obligés à remettre à plus tard la célébration des succès très réels remportés par l’IRA en matière d’insertion sociale par la fonction publique. Le présent entretien me donne toutefois l’occasion de saluer l’excellence du travail accompli par les pilotes de ce dispositif en liaison étroite avec le centre de préparation à l’administration générale de l’institut d’études politiques de Lyon et notre réseau de tuteurs. Comment, en effet, passer sous silence les 90 % d’insertion professionnelle des anciens élèves de la CPI de l’IRA de Lyon ? Mais le mérite essentiel ne revient-il pas aux élèves eux-mêmes, dont certains ont fait un parcours remarquable, l’une d’entre eux, la première de France à intégrer l’École nationale d’administration, étant désormais membre du corps préfectoral ? Il s’agit en tous les cas d’une base plus que solide sur laquelle fonder la classe “talents” de l’agglomération lyonnaise, en gestation, en partenariat avec les universités de Lyon-II et Lyon-III, l’IEP de Lyon, l’université catholique de Lyon et l’association La Cordée. Je souhaite évidemment que ce dossier soit porté à son terme par celle ou celui qui me succédera. J’aurai, en ce cas, au moins eu la satisfaction personnelle de l’avoir mis sur les rails.

Au moment de quitter vos fonctions, quelles sont vos satisfactions essentielles ou vos regrets ?
Je ne peux qu’être satisfait – mais en toute modestie, car ceci n’aurait pas été possible sans une équipe de collaborateurs très sensibles à ces thématiques – de constater que l’idée est localement admise selon laquelle l’IRA est, avant toute chose, une école de management public et une école de la citoyenneté. Une école où l’on apprend à être un fonctionnaire complet, respectueux par principe statutaire de la ligne hiérarchique, mais où l’on doit savoir apprendre à se poser des questions, et si possible les bonnes : quels doivent être la place et le rôle d’un cadre administratif de l’État au tournant des années 2020 ? En 2015, l’IRA de Lyon fut par exemple la toute première école de service public à devenir “ambassadeur académique de la réserve citoyenne de l’éducation nationale”, ou encore, un peu plus tard, “partenaire de la défense nationale”. Il est aussi un interlocuteur institutionnel de l’Institut de l’engagement, communément considéré comme le deuxième étage de la fusée du service civique. C’est également tout le sens des visites mémorielles régulières à la prison de Montluc, au Tata sénégalais [cimetière militaire où reposent 188 tirailleurs de la Seconde Guerre mondiale, à Chasselay, près de Lyon, ndlr], ou de la participation de l’IRA aux manifestations organisées à l’occasion des 30 ans du procès de Klaus Barbie. La qualité des rencontres dont l’IRA fut l’initiateur est également un souvenir très gratifiant : entre autres, Jean-Pierre Chevènement, Gilles Kepel, Jean Quatremer ou Jean-Michel Fauvergue, pour ne pas citer les ministres venus ès qualités. Le partenariat le plus émouvant, et d’ailleurs le plus récent, fut toutefois celui conclu avec la Maison des enfants d’Izieu, qui amènera dorénavant les élèves de toutes les promotions de l’IRA à s’interroger, comme fonctionnaires et comme citoyens, sur le sens de leur action dans la lutte pour la défense des plus fragiles et contre toutes les discriminations d’où qu’elles viennent. Sur un plan plus académique, l’IRA peut éprouver une légitime fierté à constater que, depuis 2013, ses élèves n’ayant pu être titularisés ou voir leurs périodes de formation validées se comptent sur les doigts d’une main : preuve de la qualité du recrutement par les différents jurys d’entrée et de l’excellence de la formation dispensée et de la bonne compréhension de leurs rôles par les jurys de scolarité chargés de l’évaluation des élèves.
Des regrets, on peut toujours en avoir, évidemment : par exemple, ai-je été capable de suffisamment convaincre que l’adage selon lequel “pour vivre heureux, il faut vivre caché” est délétère pour une école de formation comme la nôtre, dans le contexte lyonnais où les initiatives fusent de partout ? Je n’en suis pas certain. Loin de moi l’idée que la communication externe doit exister pour elle-même ; mais elle doit accompagner les actions, au demeurant excellentes, mises en place par les équipes locales. Par ailleurs, je souhaite que celle ou celui qui me succédera ait plus de succès dans l’insertion de l’IRA dans son écosystème territorial. En effet, en dépit de prises d’initiatives multiples, il a été difficile d’intégrer les centaines de cadres A en puissance qui se sont succédé à l’IRA, avec leurs compétences, leur expérience eu leur bonne volonté, dans des dynamiques éducatives et solidaires locales, ce qui aurait pourtant constitué une authentique valeur ajoutée pour les bénéficiaires potentiels. Dans un tout autre domaine, ai-je, avec d’autres, suffisamment su faire passer le message utile aux employeurs pour qu’ils endossent pleinement leur rôle de formateurs à l’égard des attachés stagiaires en formation continuée ? Enfin, suis-je le seul à penser que la force d’une école comme la nôtre est son agilité et sa réactivité pour faire face aux défis qui sont les siens ? Là aussi, j'ai parfois le sentiment d’avoir eu un peu de mal à convaincre que la massification des procédures, leur technocratisation parfois superflue, et donc leur complexification paralysante, dont le “tout-distanciel” est d’ailleurs partie intégrante, allaient à rebours des attentes de nos partenaires. Ernst Friedrich Shumacher disait : “Small is beautiful.” Mon souci, professionnel autant que personnel, de l’efficacité de l’action publique au service du plus grand nombre, qui a guidé mon action durant ces dernières années, me fait penser qu’il était proche de la vérité. Le contexte n’est pas simple et les interrogations sont multiples. Nous avons, dans ces circonstances, besoin de professionnels éprouvés et dévoués au service public. Les IRA, et celui de Lyon en particulier, en regorgent. Je suis ravi d’avoir partagé avec eux ces dernières années. Longue vie à eux. Longue vie à lui.

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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