Partager

4 min
4 min

Philippe Vincent : “Les personnels ont le sentiment d’un gros écart entre ce que la société vit et le sort qui est fait à l’école”

Le secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN-Unsa), Philippe Vincent, revient pour Acteurs publics sur les difficultés de mise en œuvre des consignes sanitaires par les chefs d’établissement, mais aussi sur les suites données à l’assassinat du professeur Samuel Paty. L’appel à la grève par les syndicats d’enseignants, ce mardi 10 novembre, a été suivi à 8,78 % dans le primaire et à 10,36 % dans le secondaire

Que pensez-vous du renforcement du protocole sanitaire dans les lycées annoncé par le gouvernement et pourquoi n’appeliez-vous pas à la grève ce mardi 10 novembre ?
Pas sûr que cette grève tombe au meilleur moment. Nous n’y avons pas participé, puisque notre fédération, l’Unsa Éducation, n’y appelait pas. Elle considère qu’ajouter de la crise à la crise ne peut pas être reçu positivement par l’opinion publique et que d’autres modes d’action peuvent être efficaces. S’agissant du contexte sanitaire, il y a une difficulté à faire appliquer dans les établissements la totalité du protocole renforcé. Un certain nombre de collègues sont en difficulté. Il y a eu, en quelque sorte, un renversement de tendance dans les établissements scolaires. Autant, depuis la rentrée, nous considérions que les mesures sanitaires appliquées à l’éducation nationale étaient adaptées pour permettre une reprise dans des conditions sécurisées. Autant la dégradation de la situation sanitaire, la mise en place du couvre-feu et du reconfinement font que la tonalité a aujourd’hui changé. Même avec le renforcement du protocole, les personnels ont désormais le sentiment d’un gros écart entre ce que la société vit dans son ensemble et le sort qui est fait à l’école.

Quelles difficultés les chefs d’établissement rencontrent-ils ? 
Les mesures prises pour les lycées sont bienvenues et sans doute les bonnes puisque l’on a vu qu’un certain nombre de dispositions étaient impossibles à appliquer à effectifs complets. Nos collègues dans les collèges demandent les mêmes et c’est normal. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les personnels sont ainsi mis en difficulté. Les difficultés rencontrées sont notamment liées à des raisons structurelles. Imaginer qu’on ne brasse pas des élèves quand tout a été fait pour qu’ils ne soient pas la moitié du temps dans leur “groupe classe”, c’est forcément un peu contradictoire. Tout comme demander de prendre des dispositions particulières pour les selfs et restaurants scolaires quand nous n’avons ni les équipements ni la place, ni le temps pour le faire. Idem quand on nous demande d’aérer des salles quand les ouvrants n’ont pas été prévus pour s’ouvrir. Je pourrais multiplier les exemples, c’est la quadrature du cercle. On voit ici les limites d’un texte national validé par les autorités sanitaires qui entre en confrontation avec la réalité du terrain. 

Le nouveau protocole prévoit davantage de cours à distance. Après l’expérience du premier confinement, l’éducation nationale est-elle mieux préparée à ce mode d’organisation ? 
L’éducation nationale est certainement davantage prête qu’au printemps. Comme tout sportif, elle a vécu une période de rodage, elle s’est entraînée et se remet aujourd’hui en situation de compétition. Nous avons, par ailleurs, réussi à résoudre beaucoup de problématiques techniques avec les collectivités locales. Celles-ci ont également engagé des démarches en matière d’équipement des élèves en ordinateurs. Reste à savoir quels sont les choix à faire en matière d’alternance, plus ou moins longues, entre cours en présentiel et cours à distance. Selon que vous choisissez entre une option (une semaine sur deux) ou une autre (un jour sur deux), vous n’avez pas les mêmes besoins tant en termes de moyens matériels et humains qu’en termes de relation pédagogique. Il ne faut pas non plus que cet enseignement à distance creuse les inégalités entre les agents. 

Considérez-vous que les chefs d’établissement ont suffisamment les mains libres pour mettre en place les mesures sanitaires décidées par l’exécutif ? 
Oui, globalement. Avec quelques difficultés majeures néanmoins, qui mettent en tension les chefs d’établissement. Ces derniers sont tout d’abord confrontés à une évolution très rapide des règles avec des délais d’application très restreints. On nous explique que la crise nécessite des réponses rapides, certes, mais il faut aussi imaginer que l’on ne transforme pas comme ça le fonctionnement d’un établissement du jour au lendemain, sans concertation, réflexion et préparation. Les personnels ne peuvent que le vivre mal. Avec, en plus, toujours un décalage entre les préconisations et les moyens. Avec le contexte sanitaire et social, mais aussi le contexte de la menace terroriste, nous avons du mal à voir la lumière au bout du tunnel. Les dossiers s’accumulent, les nuages noirs aussi. La mission et l’exercice professionnel des chefs d’établissement sont actuellement extrêmement compliqués. 

Suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty, le gouvernement a diffusé une circulaire relative au renforcement de la protection des agents publics face aux attaques dont ils font l’objet dans le cadre de leurs fonctions. Et notamment sur les réseaux sociaux. Est-ce suffisant ?
C’est un progrès évident. L’État tente de boucher des trous juridiques ou réglementaires. On avait, disons, une gare de retard, sur les menaces formulées sur les réseaux sociaux à l’égard des agents publics. Au-delà du renforcement bienvenu de cette protection, c’est plutôt sur le fonctionnement de la suite des signalements qu’il est nécessaire d’agir.  Notre capacité d’action se limite au signalement. C’est ensuite à la justice ou à la police de prendre en main telle ou telle affaire. Il faut donc que la Place Vendôme ou le ministère de l’Intérieur accentuent la pression sur la suite donnée aux signalements, notamment en matière de poursuites. 

Au travers de cette circulaire, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, a mis en avant la nécessité d’en finir avec le “pas de vagues”. Y avait-il vraiment des tabous en matière de signalement des menaces ? 
Il s’agit sans doute davantage de certains tabous intériorisés. Nous étions plutôt dans le “je ne fais pas de vagues” que dans le “on me demande de ne pas faire de vagues”. Avec ce renforcement de la protection des agents, les règles seront mieux connues et mieux diffusées, ce qui poussera certainement les agents à ne pas hésiter à faire des signalements. Si l’on sait qu’il y aura une suite donnée à ces signalements, voire des poursuites, une plus grande confiance s’instaurera. Mais encore faut-il que l’ensemble de la chaîne hiérarchique soit sur la même tonalité. 

Propos recueillis par Bastien Scordia 

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×