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Olivier Richefou : “La crise a conforté la légitimité des départements à agir”

Forts des enseignements de la crise, “les départements doivent désormais être confortés dans leurs compétences de proximité”, explique le président (UDI) du département de la Mayenne. Cette crise “a permis d’ouvrir les yeux de l’exécutif, qui est enfin conscient de l’utilité des territoires et de la nécessité de s’appuyer sur les collectivités dans ses politiques publiques”, ajoute-t-il. Il attend maintenant des “actes” du gouvernement dans le cadre du projet de loi “3D”.  

Quels enseignements tirez-vous de la crise sanitaire s’agissant de la répartition des rôles entre les préfets, les agences régionales de santé (ARS) et les collectivités territoriales ?
Vu que nous sommes dans un champ touchant à la santé, le département est forcément un acteur incontournable. Il est justifié de souligner le rôle essentiel de proximité qu’ont joué les départements durant la crise, par exemple dans l’approvisionnement en masques du grand public, mais aussi en équipements de protection auprès des Ehpad [établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes, ndlr] ou des services d’aide à domicile. Même si on en entend moins parler, le couple préfet-président de département fonctionne et a fonctionné pendant la crise. Leur légitimité en est ressortie grandie, grâce à leur capacité d’agilité. Les préfets, par ailleurs, sont les seuls en capacité d’agir, à l’inverse des ARS. Demander à une ARS de gérer une crise, c’est antinomique, et c’est normal. Elles n’ont pas été faites pour cela : ce sont des agences comptables et non des agences de crise. Donc, heureusement que les préfets ont pris le relais puisque, là où les ARS ont trop voulu garder leur indépendance, ce fut la catastrophe. 

À vos yeux, la crise est en train de remettre en cause le système organisationnel des ARS. Certains plaident déjà pour que leur pilotage revienne aux préfets…
De mon point de vue, une dimension régionale doit demeurer, notamment sur les questions hospitalières, qui nécessitent une vision plus large que la seule vision départementale. Mais dans tous cas, les régions doivent être davantage impliquées dans le pilotage des ARS. Un effort de déconcentration doit aussi être fait sur les délégations territoriales de ces agences. Leurs moyens sont indigents en termes de personnel. Les ARS doivent désormais être pilotées par les préfets et dépendre d’eux. Dans le cadre du projet de loi “3D” [Décentralisation, Différenciation et Déconcentration, ndlr], je fais partie de ceux qui sont favorables à ce que l’on ne sépare plus les services d’aide à domicile des Ehpad. Nous [les départements, ndlr] devons pouvoir agir, par délégation des crédits des ARS, pour être seuls au pilotage des Ehpad. Toujours avec le contrôle, bien évidemment, de l’État. Cela marche pour les Sdis [les services départementaux d’incendie et de secours, ndlr], pourquoi cela ne marcherait-il pas pour le médico-social ?

Qu’attendez-vous du projet de loi “3D” ? Qu’il redore ou consolide la place des départements dans l’organisation territoriale ?
La crise a conforté la légitimité des départements à agir. Les départements doivent donc désormais être confortés dans leurs compétences de proximité. Cela peut concerner le champ médico-social, mais aussi la question de l’économie de proximité. Un domaine où les régions ne peuvent malheureusement pas être actives partout. Le commerce local et l’artisanat, par exemple, peuvent passer sous les radars. Certes, les EPCI [établissements publics de coopération intercommunale, ndlr] ont souvent des collaborateurs en charge de l’économie de proximité, mais encore faut-il avoir aussi des moyens, y compris financiers. Les départements, au contraire, sont en capacité d’agir au travers de l’ingénierie dont ils disposent et de leurs équipes de proximité. Il ne s’agit pas de revenir sur la loi NOTRe et sur le rôle de pilotage de l’économie qu’elle a confié aux régions, mais de permettre des délégations de compétences, en accord avec les régions, pour permettre à des départements d’agir sur l’économie de proximité. 

Que pensez-vous de la recentralisation du RSA [le revenu de solidarité active, ndlr] ? C’est un vieux serpent de mer…
C’est un sujet sensible sur lequel il faut que nous trouvions un juste équilibre entre, d’une part, l’action de proximité, qui est l’apanage des départements et qu’il faut maintenir et, d’autre part, la perception qu’en ont nos habitants. Aujourd’hui, 50 % des Français environ pensent que le RSA relève des compétences de l’État. Ça veut dire qu’on travaille d’arrache-pied, en y consacrant des montants plus que conséquents, alors que les citoyens ne nous reconnaissent pas dans le domaine ! L’interlocuteur départemental a encore du sens, mais il ne doit pas être pénalisé financièrement par une remontée des risques sur lesquels les départements ne peuvent rien. C’est le cas avec la crise sanitaire et économique, où les nouvelles demandes de RSA vont coûter plusieurs millions d’euros à chaque département. Comme il l’a fait avec le chômage partiel, l’État doit jouer son rôle d’amortisseur avec le RSA. Il doit prendre en charge l’augmentation conséquente à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. 

En matière de prévisibilité, l’Assemblée des départements de France (ADF) a soulevé une autre problématique : celle du remplacement de la part départementale de foncier bâti par le transfert d’une fraction de TVA, conséquence de la suppression de la taxe d’habitation…
Nous verrons ce qu’il adviendra. Mais nous reprochons toujours à l’exécutif de nous avoir fait perdre notre pouvoir de taux avec le transfert du foncier bâti au bloc communal. Une collectivité qui ne vote plus un taux, c’est une collectivité qui perd de l’exercice de son pouvoir. Nous ne pouvons pas vivre des subventions versées par l’État. Nous ne sommes pas des supplétifs de l’État. Nous devons pouvoir garder un pouvoir de taux et il existe un domaine où il est facile de nous le donner. C’est sur les DMTO [les droits de mutation à titre onéreux, ndlr], qui n’est pas un impôt universel puisqu’uniquement basé sur les transactions immobilières. Plutôt que d'avoir un taux unique, l’État pourrait fixer un plafond et donc une liberté de taux que l’on assumerait politiquement. Nous sommes assez grands pour prendre nos responsabilités… 

Après plusieurs mois de brouille entre le gouvernement Philippe et les associations d’élus, quel regard portez-vous sur le gouvernement Castex et sur ses relations avec le monde territorial ?
Il y a un changement d’état d’esprit avec le gouvernement Castex, c’est indéniable. La crise a permis d’ouvrir les yeux de l’exécutif, qui est enfin conscient de l’utilité des territoires et de la nécessité de s’appuyer sur les collectivités dans ses politiques publiques. Le combat n’est pas gagné pour autant, dans la mesure où la technostructure parisienne et centralisatrice continue toujours à tirer un certain nombre de ficelles. Le gouvernement affiche sa volonté d’avancer. C’est déjà une bonne chose. Mais les signes que l’on nous donne doivent désormais être concrétisés en actes. Ce sont ces actes que nous attendons le 20 octobre, lors de la Conférence nationale des territoires. Bien entendu, ce sera une réunion d’affichage politique, puisque les responsables de l’ensemble des associations d’élus devraient être présents, ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps. Nous attendons désormais du concret et des preuves d’amour et pas, une fois de plus, du discours. 

Propos recueillis par Bastien Scordia

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