Partager

5 min
5 min

Olivier Jacob : “Le terme de « préfectoralisation » des services déconcentrés renvoie une image passéiste”

Le directeur de la modernisation et de l’administration territoriale (DMAT) du ministère de l’Intérieur revient sur la réforme des services déconcentrés et notamment sur la création des nouvelles directions, le 1er avril prochain. “Le véritable défi à relever désormais est d’arriver à créer une culture commune”, explique le préfet.

La seconde phase de la réforme de l’organisation territoriale de l’État sera actée dans quelques jours, avec la mise en place des nouvelles directions départementales et régionales intervenant dans le champ de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités : les Dreets et les Ddets [lire encadré ci-dessous]. Quels sont les objectifs de cette réforme ? 
Le fondement de cette réforme a été affiché dès 2019 par le gouvernement : à l’époque, il s’agissait de créer ce que l’on appelait un “service public de l’insertion”. Nous parlons désormais davantage d’un “service public de l’insertion et de l’emploi”, avec l’objectif de réunir, dans un seul et même service de l’État, l’ensemble des services mettant en œuvre des politiques publiques visant à lutter contre la pauvreté. Cette volonté prend d’autant plus de relief aujourd’hui alors que nous allons devoir gérer toutes les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. Aussi, avec ces regroupements, la réforme vise à décloisonner les services de l’État, de manière à ce qu’ils se parlent davantage et agissent ensemble. L’objectif n’était pas de faire des économies en matière d’emplois. 

Y a-t-il réellement un cloisonnement aujourd’hui ? 
Les deux ministères concernés par ces regroupements de directions (Cohésion sociale et Travail) appartiennent aux ministères sociaux et ont déjà l’habitude d’échanger. Il n’y aura pas de changement au niveau des administrations centrales. La volonté, c’est que la force de frappe soit accentuée au niveau territorial, avec des regroupements de services qui, jusqu’à maintenant, travaillaient parfois de manière séparée. Sous l’égide du préfet, les nouvelles directions pourront donc mener des politiques publiques territoriales plus intégrées. 

Les directions départementales interministérielles ont été rattachées administrativement à la Place Beauvau, mais cela n’enlève en rien aux ministères “métiers” leurs compétences ni le lien que ces derniers ont avec leurs directions départementales.

Dans son ensemble, la réforme semble faire du ministère de l’Intérieur et de ses préfets les grands gagnants. Par ailleurs, elle semble susciter quelques craintes dans les ministères techniques…
Nous ne sommes pas du tout dans cette logique, au ministère de l’Intérieur. Dire qu’il y aurait des gagnants signifierait qu’il y aurait des perdants, ce que nous réfutons. Les directions départementales interministérielles (DDI) ont en effet été rattachées administrativement à la Place Beauvau, mais cela n’enlève en rien aux ministères “métiers” leurs compétences ni le lien que ces derniers ont avec leurs directions départementales. Pour être clair, ce n’est pas le ministère de l’Intérieur qui va dire à ces services de faire telle ou telle chose ou de mener telle ou telle politique. Le rattachement des DDI s’inscrit dans une logique d’animation et de coordination. La réforme donne davantage de responsabilité au ministère de l’Intérieur vis-à-vis des autres ministères du périmètre “Administration territoriale de l’État” (Agriculture, Sociaux, Transition écologique et Bercy). Elle donne une responsabilité interministérielle à notre ministère, notamment en matière de coordination. 

Les syndicats affirment que cette réforme n’est pas acceptée en interne et a été conduite avec “légèreté”. Ils regrettent aussi un manque d’accompagnement des agents. Que leur répondez-vous ? 
On a une opposition entre deux mondes lorsque l’on regarde la photographie de l’acceptabilité de la réforme et les avis rendus par les instances de dialogue social sur cette réforme. Les comités techniques des DDCS [les directions départementales de la cohésion sociale, ndlr] ont rendu davantage d’avis favorables que ceux des Direccte [les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, ndlr]. Les attentes, en tout cas celles des organisations syndicales, sont donc plutôt opposées en fonction des périmètres ministériels concernés. Cela étant dit, le reproche qui nous est fait sur un manque d’accompagnement ou de dialogue social doit être nuancé. Le gouvernement a fait le choix de reporter la réforme dès le début de la crise sanitaire, détendant ainsi le calendrier pour laisser plus de temps au dialogue social et à la menée de cette réforme. Les chiffres sont par ailleurs impressionnants en termes de dialogue social et de consultation des instances : 572 comités techniques se sont tenus sur le sujet de cette réforme, ainsi que 473 CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et 497 groupes de travail. Les syndicats regrettent bien entendu que ce “quantitatif” ne reflète pas le “qualitatif” du dialogue social mené, mais il y a eu un véritable dialogue sur le terrain. 

Comment expliquez-vous de telles divergences ? 
Le périmètre “cohésion sociale” connaît le fonctionnement au sein des DDI depuis dix ans et leur mise en place. Le périmètre “travail et emploi”, quant à lui, craint peut-être une forme de “DDIsation”. Ou du moins ce rattachement à la hiérarchie préfectorale par l’intégration des unités départementales des Direccte au sein des nouvelles Ddets. Rappelons toutefois que ce rattachement existait déjà avant la mise en place des unités départementales, il y a une quinzaine d’années. Les organisations syndicales de ce périmètre craignent ainsi une forme de “préfectoralisation”. Un terme souvent mis en avant, mais contre lequel nous nous inscrivons en faux. 

Le véritable défi à relever, désormais, est d’arriver à créer une culture commune et une volonté de travailler ensemble au sein des services regroupés.

Pourquoi ? La préfectoralisation fait-elle peur ? 
Cette image de préfectoralisation des services déconcentrés, que l’on veut nous faire porter, reste une critique un peu trop facile. Nous réfutons ce terme, qui renvoie une image datée et passéiste du corps préfectoral. Une image qui est par ailleurs très connotée et liée à une forme de hiérarchie verticale et d’autoritarisme. Les préfets fonctionnent désormais en mode projet, avec un management participatif. 

Quelles difficultés avez-vous observées lors de la phase de préfiguration de ces nouvelles directions ? 
Plus que de difficultés, je parlerais de défis majeurs. On ne peut pas pour autant mettre de côté la crise sanitaire et le télétravail contraint, qui ont été des facteurs complexificateurs de la mise en œuvre de la réforme. Et ce d’autant plus que l’objectif était de créer un collectif de travail avec des équipes venant d’autres administrations. Le véritable défi à relever, désormais, est d’arriver à créer une culture commune et une volonté de travailler ensemble au sein des services regroupés. C’est un travail qui va prendre du temps, comme cela a pris du temps avec la création des DDI en 2010. Nous avons récemment mené une enquête auprès des agents des DDI. Nous constatons toujours un fort attachement de ces agents à leurs ministères. Un attachement qui passe avant la notion de culture de DDI. Autre défi à relever : le défi immobilier. Beaucoup des nouvelles directions vont commencer leur existence répartie sur 2 ou 3 sites. Ce qui complique la constitution d’une culture commune. Les manœuvres immobilières sont longues et coûtent cher, mais nous relèverons ce défi dans les mois et années qui viennent. 

Propos recueillis par Bastien Scordia 

Quelles nouvelles directions ? 
Au niveau régional, tout d’abord, seront créées des “directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités” (Dreets). Celles-ci regrouperont les missions actuellement exercées par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) et par les services déconcentrés chargés de la cohésion sociale, à savoir les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS). Au niveau départemental ensuite, place aux nouvelles “directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités” (Ddets) ou aux “directions départementales de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations” (Ddets-PP). Elles seront le fruit de l’intégration des actuelles “unités départementales” des Direccte et des directions départementales interministérielles que sont les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) et les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCS-PP) [cliquez ici pour consulter notre article sur le sujet]. 

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×