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Olivier Dussopt : “Le principe de séparation ordonnateur-comptable doit être maintenu”

Le ministre chargé des Comptes publics revient pour Acteurs publics sur les propositions du rapport de Jean Bassères sur la responsabilisation des gestionnaires publics. "Il nous faut inventer autre chose", souligne notamment Olivier Dussopt. "La nature juridictionnelle de la Cour des comptes ne sera pas modifiée", tient-il aussi à rassurer.

Lors du dernier comité interministériel de la transformation publique, le 5 février dernier, le gouvernement a annoncé que les marges de manœuvre et de responsabilité des gestionnaires publics seraient "accrues". Pourquoi décidez-vous d'amplifier cette démarche de responsabilisation, engagée depuis le début du quinquennat ? 
La responsabilité des gestionnaires publics est un sujet essentiel même s’il n’est a priori pas vital pour nos concitoyens. Il participe à la bonne conduite de l'action publique, de la performance des services développés par les administrations et surtout aux conditions de son financement. Ce sujet mérite qu’on s’y attarde parce que les outils dont nous disposons aujourd’hui sont imparfaits. Les contrôles actuels, bien que nécessaires en matière de gestion budgétaire, sont très formels et ne permettent pas la fluidité des actes de gestion. Bien entendu, il ne s’agit pas de supprimer ces contrôles, mais de les adapter pour les rendre plus efficaces et en adéquation avec la responsabilité des gestionnaires. C’est une réflexion technique qui accompagne des métiers de back office extrêmement précieux pour la mise en œuvre de nos politiques publiques. 

Qu'allez-vous précisément faire à ce propos ? 
Il faut donner de la marge de manœuvre aux gestionnaires, notamment en autorisant plus de souplesse et plus d’autonomie aux acteurs locaux afin de faciliter la gestion quotidienne des services et garantir un déploiement adapté des politiques publiques au niveau local. Cette marge de manœuvre passe aussi par une plus grande visibilité sur leurs crédits. La réflexion se décline à tous les niveaux ; c’est le sens de notre action, comme en témoigne la circulaire signée par le Premier ministre relative à la déconcentration budgétaire et des ressources humaines. Cette réflexion n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la lignée des initiatives entreprises depuis le début du quinquennat par le gouvernement. La notion de “gestion apaisée”, d’absence de décret d’avance, ou bien l’abaissement de la mise en réserve initiale des crédits s’inscrivent aussi dans cette logique. Nous avons réformé des leviers, désormais il s’agit de nous attaquer aux outils et aux métiers en posant au cœur de notre réflexion la notion de responsabilité de nos gestionnaires publics (ordonnateurs ou comptables) car la fonction financière est en effet un tout. 

Nous allons lancer un projet pilote au sein de 5 ministères pour rapprocher la fonction de leurs directions financières ministérielles avec le contrôle budgétaire externe.

Cette responsabilisation était aussi l'un des objectifs de la Lolf, mais cette volonté ne semble pas s'être traduite dans les faits. Le manque de maturité des gestionnaires en est-il la cause ? 
La problématique de la responsabilisation relève plutôt d'une question d'habitude. C'est un exercice culturel pour les directions d'administrations centrales. La loi Essoc, pour rappel, introduit un droit à l'erreur pour les administrés, mais elle vaut aussi pour les administrations, ou du moins leurs agents. Par ailleurs, je crois beaucoup en la notion de performance dans les contrats pluriannuels qui lient désormais certaines administrations avec la direction du budget. Ces contrats permettent de se mettre d'accord sur des trajectoires d'emplois et de crédits, et sur des objectifs stratégiques. Dans ce cadre, les administrations n'ont donc plus à se poser tous les trimestres la question des moyens dont elles disposent. Cela contribue à leur responsabilisation et à leur autonomie. En ce sens, il me semble plutôt que les gestionnaires sont très matures. 

Dans son rapport sur la responsabilité des gestionnaires publics et de manière à "oser le pari de la confiance", Jean Bassères proposait notamment d'internaliser les contrôles a priori, de basculer les contrôles budgétaires a posteriori, ou encore de supprimer les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels (CBCM) dépendant de Bercy pour les intégrer au sein des directions des affaires financières des ministères (DAF). Que pensez-vous de cette proposition ?
Les propositions de ce rapport sont intéressantes et nous poussent à amplifier ce que nous avons déjà mis en place en termes de dialogue de gestion notamment. Des accords ont pu être formalisés au niveau de certaines administrations, par exemple pour que ces dernières puissent procéder à des actes RH sans soumettre chaque acte à la validation du CBCM. Nous allons désormais lancer un projet pilote au sein de 5 ministères (Intérieur, Agriculture, Armées, Justice et Écologie) pour rapprocher la fonction de leurs directions financières ministérielles avec le contrôle budgétaire externe, afin d'accélérer la constitution d'une fonction financière ministérielle plus intégrée, plus forte et plus fiable. Ce rapprochement permettra aux ministères de gagner en autonomie, de développer le contrôle des risques internes et de mieux absorber les contrôles a posteriori et non plus a priori qui sont aujourd'hui l'irritant majeur des gestionnaires. Cela suppose néanmoins que les ministères s'organisent eux-mêmes pour avoir un process de régulation a priori efficace. Ce rapprochement ne doit pas pour autant remettre en cause le principe de séparation ordonnateur-comptable. Nous y veillerons, tout comme nous veillerons à ce que le reporting auprès de la direction du budget soit efficace. 

La nature juridictionnelle de la Cour des comptes ne sera pas modifiée.

Jean Bassères proposait surtout dans son rapport de supprimer la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics, qui relèveraient désormais d'un "régime unifié de responsabilité juridictionnelle pour les infractions les plus graves". Qu'en pensez-vous ? 
De mon point de vue, le régime actuel de la responsabilité personnelle et pécuniaire applicable aux comptables publics est lourd, coûteux et peu efficace, et ne garantit pas la qualité du contrôle comptable. Il nous faut donc inventer autre chose et qui devra porter sur les infractions les plus graves, là où sont les enjeux. Le rapport de Jean Bassères va alimenter le travail que nous allons engager avec la Cour des comptes, le Conseil d'État et les associations d'élus sur cette notion de nouvelle responsabilité des gestionnaires publics, qui concernera tant les ordonnateurs que les comptables, car le système actuel est par ailleurs insuffisamment responsabilisant pour les ordonnateurs.

Les propositions du rapport Bassères ont toutefois sérieusement inquiété la Cour des comptes, compte tenu de la remise en cause de sa mission juridictionnelle…
La nature juridictionnelle de la Cour des comptes ne sera pas modifiée. Son Premier président [Pierre Moscovici, ndlr] est en train de travailler à un projet de réforme. Nous partageons sa volonté de rénovation de la Cour et je suis convaincu que nous pourrons aboutir à quelque chose d'utile. Nous allons très vite échanger sur ce sujet avec la Cour. 

Souvent critiqué, le principe de séparation entre ordonnateur et comptable doit-il être maintenu ? 
Inventer, cela ne signifie pas que tous les grands principes doivent être écartés : le principe de séparation ordonnateur-comptable, notamment, me paraît devoir être maintenu. Notamment parce qu’il préserve la séparation des tâches entre ceux qui engagent des dépenses et ceux qui les payent, ce qui est protecteur des deniers publics. Il faut repenser le dispositif de la responsabilité des gestionnaires tout en conservant cette séparation.

Concernant le calendrier, quand souhaitez-vous mettre en œuvre cette réforme de la responsabilité des gestionnaires publics ? 
C'est un sujet de long cours. Je remettrai d'ici à la fin de l'année au Premier ministre mes propositions de réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, l'idée étant d'aboutir à un consensus sur le sujet d'ici là. En tout état de cause, le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics ne pourra être que le fruit d'un travail partagé entre l'administration, la Cour des comptes, le Conseil d'État et les représentants des collectivités territoriales. Reste à savoir les mesures retenues qui pourront être rapidement approuvées par la suite par le Parlement. Nous y travaillerons, mais le calendrier parlementaire ne nous laisse que peu d'opportunités.

Propos recueillis par Bastien Scordia 

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