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Olivier Dussopt : “Il n’y a pas de régression avec la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics”

Le ministre chargé des Comptes publics revient pour Acteurs publics sur la réforme de la justice financière et de la responsabilité des gestionnaires publics. Une réforme que le gouvernement veut faire passer par ordonnance et dont l’Assemblée nationale s’apprête à discuter dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022. 

Le projet de loi de finances (PLF) 2022 contient une habilitation à légiférer par ordonnance pour créer un régime unifié de responsabilité des ordonnateurs et comptables publics. Pourquoi avoir engagé cette réforme ?

Cette réforme constitue une étape importante des travaux engagés par le gouvernement pour moderniser le cadre de la gestion publique afin de créer les conditions d’une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics. Nous souhaitons mener cette réforme dont beaucoup ont déjà parlé mais que personne n’a faite. Les règles actuelles sont source de lourdeurs excessives qui nuisent à l’action publique. Les exemples sont légion. Le mécanisme actuel rend responsable non pas celui qui commet une faute, mais de manière quasi automatique le comptable public dès lors que les comptes sont marqués par des écarts même minimes. Il s’agit de créer un régime plus juste qui tiendra compte de la responsabilité réelle de chaque gestionnaire en cas de faute grave. Il permettra de mieux prendre en compte le rôle de chacun dans la chaîne de la dépense, des agents qui ordonnent la dépense aux comptables qui la contrôlent et la payent.

Pourquoi avoir décidé de faire cette réforme par ordonnance ? 

Les réflexions qui ont conduit à la proposition du gouvernement ont été menées en lien avec le Conseil d’État et la Cour des comptes. Cette réforme nécessite un grand nombre de modifications techniques dans les textes législatifs. Sa complexité et sa technicité justifient que le gouvernement demande au Parlement une habilitation à légiférer par ordonnance. Comme vous le savez, cette procédure, prévue par la Constitution, n’empêche nullement le débat parlementaire, qui aura lieu dans quelques jours à l’Assemblée nationale.

Pourquoi avoir maintenu la séparation ordonnateur-comptable ? La création de ce régime unifié ne remet-elle pas en cause cette séparation ? 

Le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics maintient le principe fondamental de séparation des ordonnateurs et des comptables. C’est un gage important de fiabilité et de qualité comptable, et cela permet à l’ensemble des entités publiques, notamment les collectivités locales, les opérateurs et les établissements hospitaliers, de s’appuyer sur l’expertise des comptables publics. En particulier, le respect de cette séparation s’illustre par le maintien de l’infraction de la “gestion de fait”, c’est-à-dire de l’infraction consistant pour une personne à manier des fonds publics sans avoir la qualité de comptable public, et le maintien d’un mécanisme de “réquisition du comptable” qui permet à chacun de jouer son rôle et de prendre in fine ses responsabilités. Le comptable signale le risque d’irrégularité qui ne lui permet pas de prendre en charge la dépense. Si l’ordonnateur maintient son approche, il peut passer outre tout en endossant seul la responsabilité financière. 

Désormais, la responsabilité ne concernera que les fautes les “plus graves” commises par les gestionnaires publics, à condition aussi que le préjudice financier soit “significatif”. N’est-ce pas une régression comme certains ont pu l’évoquer ? Les hypothèses d’engagement de la responsabilité des comptables publics ne vont-elles pas être réduites à la portion congrue avec le nouveau système ?

C’est une critique infondée. La réforme vise justement à permettre aux juges de se concentrer sur les fautes graves qui ont entraîné un véritable préjudice financier. Mais le juge financier n’est pas seul : il ne faut pas oublier que les responsables publics restent par ailleurs soumis à des sanctions managériales et à des sanctions pénales dans les cas les plus graves. Il n’y a donc pas de “régression”, mais une véritable responsabilisation qui n’empêche pas pour autant la prise de décision publique. Nous avons travaillé en lien étroit avec le Conseil d’État et la Cour des comptes pour proposer au Parlement un système visant à sanctionner des fautes ayant causé un “préjudice financier significatif” pour l’organisme concerné. L’objectif est de sanctionner des faits ayant conduit à un impact financier avéré au regard de la taille de l’organisme. La notion de gravité, bien que s’appréciant au cas par cas, est une notion connue du Conseil d’État. La notion de préjudice significatif s’affinera au gré de la jurisprudence et doit être mise en regard avec les enjeux financiers gérés par la structure. Enfin, nous souhaitons que la réforme valorise la réponse managériale qui peut être donnée en cas de manquement. Les fautes feront l’objet de mesures managériales pouvant être graduées. De manière générale, des mesures d’organisation générale, comme le renforcement du management des risques et le contrôle interne monteront en puissance. En cas de faute, pourront être décidées des sanctions managériales, comme le non renouvellement de contrat ou la diminution ou suppression de la part variable de la rémunération.

Pourquoi les ministres et les élus ne font pas partie du champ de la réforme et du champ des justiciables du juge financier ? 

C’est l’application d’une approche constante qui reconnaît la place prépondérante du principe de la responsabilité politique. Pour ce qui concerne notamment les élus locaux, il faut par ailleurs rappeler la place occupée par les juridictions pénales dans un grand nombre de cas, par exemple en matière de marchés publics. Les ministres et élus locaux pourront toutefois endosser la responsabilité de leurs décisions politiques, par un courrier transmis aux autorités de contrôle, lorsqu’ils prendront une décision qui pourrait porter atteinte à certaines règles financières au nom de l’intérêt général. Ils déchargeront ainsi de leur responsabilité ceux à qui ils auront demandé d’exécuter la décision, en indiquant le motif d’intérêt général qui les aura conduits à écarter l’application stricte des règles. 

La réforme prévoit également une nouvelle organisation juridictionnelle. Le syndicat des juridictions financières représentant les magistrats des CRC a dénoncé un “affaiblissement” de ces chambres régionales. Que répondez-vous ?

Les chambres régionales et territoriales des comptes (CRC) sont pleinement intégrées par la nouvelle organisation juridictionnelle qui repose sur trois niveaux. En première instance, une chambre unique de la Cour des comptes associant des membres de la Cour et des magistrats des CRC. En appel, une formation de jugement mixte présidée par le Premier Président de la Cour des comptes et composée de quatre membres du Conseil d’État, quatre membres de la Cour des comptes et deux personnalités qualifiées désignées pour leur expérience dans le domaine de la gestion publique. Le Conseil d’État, enfin, restera la juridiction de cassation. Cette organisation, avec une unique chambre en première instance, et une compétence tant pour les comptables que les ordonnateurs, permettra une cohérence jurisprudentielle qui augmentera la sécurité juridique de tout le régime de responsabilité. La Cour des comptes conserve son statut de juridiction et elle reste au cœur de cette nouvelle organisation. Les membres de la Cour comme des Chambres régionales conservent leur statut de magistrat et pourront siéger au sein de la nouvelle juridiction. Par ailleurs, ils seront en mesure de saisir le parquet des fautes présumées qu’ils auraient identifiées dans le cadre de leur fonction de contrôle non juridictionnel. Cette réforme est aussi compatible avec le vaste mouvement de modernisation engagé par la Cour sur son organisation et ses procédures (projet JF 2025). Dans ce cadre, la Cour souhaite conforter ses métiers et les moderniser. La création d’une chambre unique au sein de la Cour spécialisée sur ce nouveau régime répond à cet objectif. 

Propos recueillis par Bastien Scordia 
 

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