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Marie-Anne Barbat-Layani : “Le secrétariat général donne le tempo de l’innovation”

Dans cet entretien pour Acteurs publics, la secrétaire générale du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance détaille le rôle et les missions du “SG” de Bercy vingt ans après sa création. Outils numériques, prise de décision, management : Marie-Anne Barbat-Layani observe les impacts de la crise sanitaire et ses effets sur la transformation de son organisation. Un entretien organisé après un échange “En direct avec la SG” avec les agents du secrétariat général.

La secrétaire générale de Bercy, Marie-Anne Barbat-Layani, à l’occasion d’un échange dématérialisé avec les agents du SG.

Vous avez récemment lancé une nouvelle émission, “En direct avec la SG”, en direction des quelque 2 400 agents du secrétariat général. Qu’apporte cet échange avec les personnels ?
Comme beaucoup de choses qui sont nées du confinement, cela apporte à la fois un substitut, c’est-à-dire une manière de communiquer autrement avec les agents, en distanciel, pour garder un lien essentiel ; et des idées pour le futur avec cet outil impactant toutes les équipes. Il nous serait impossible de réunir l’ensemble de nos personnels dans un séminaire ou une convention en présentiel. Voilà une avancée sur laquelle nous capitaliserons, quelle que soit la situation sanitaire dans les mois à venir : nous maintiendrons cet exercice sur les tous les sujets d’intérêt collectif au sein du secrétariat général. Nous donnons de l’information et favorisons l’interaction, avec la possibilité pour les agents de poser directement leurs questions quels que soient les sujets. Cette interaction semble même plus naturelle que s’il fallait lever la main dans une réunion en réel. Ce n’est donc pas qu’un outil : c’est aussi une autre manière de s’exprimer et de communiquer entre nous, très spontanée. 

Les questions qui reviennent touchent beaucoup aux enjeux RH : conditions de travail, carrières, mobilités, etc.
C’est assez logique que les attentes personnelles s’expriment, avec une forte envie de transversalité. Le secrétariat général est une sorte “d’homme-orchestre” – ou de femme-orchestre – des ministères économiques et financiers dans lesquels les personnels exercent des métiers très différents et au sein desquels les personnels méconnaissent parfois les missions de leurs collègues et la manière dont elles sont exercées. Par ailleurs, lorsque les agents sont entrés dans une filière, par exemple la filière “RH”, ils ne savent pas toujours qu’une filière “numérique”, “gestion des risques” ou encore “innovation” vers lesquelles ils pourraient s’orienter proposent des parcours très riches. Pour cela, nous réfléchissons à des séances de speed-dating pour que les agents puissent rencontrer les chefs de bureau d’un autre service. Cela peut donner l’envie de candidater sur tel ou tel poste. 

Le management par la confiance et non plus par la présence s’est imposé. 

Comment retrouvez-vous vos “troupes” quinze mois après le début de la crise sanitaire, alors qu’il devient possible de revenir en présentiel de manière plus régulière ?
Nous avons logiquement senti de la lassitude, qui se transforme aujourd’hui en espoir. La réouverture des terrasses puis des restaurants a un effet positif sur le moral des troupes, comme pour tout le monde… Nous avons remis les tables de jardin dans l’allée centrale de Bercy et les food trucks sont de retour. Les gens se retrouvent, échangent. Ils en sont heureux. Nous avons à Bercy un observatoire interne qui mesure le moral des équipes et les résultats sont meilleurs que les années précédentes. Même si ces résultats doivent être pris avec prudence vu le contexte, je les explique par le fait que les gens sont assez fiers de ce qu’ils ont fait pendant la crise, d’avoir porté l’action du ministère et d’avoir accompagné l’économie française dans ce contexte si particulier, si anxiogène. Au-delà, nous avons fortement développé le taux d’équipement, avec un effort en la matière absolument colossal, nous serons passés, en deux ans, d’un taux d’équipement en nomadisme de 20 à 84 %. Les agents ont eu le sentiment qu’on répondait à leurs besoins. La mise à disposition d’outils est bien perçue. Et puis il y a un troisième sujet, plus complexe, lié à la nécessité de travailler en distanciel avec une évolution managériale liée. Cela a apporté aux agents davantage d’autonomie et de confiance, avec l’instauration d’une feuille de route et d’objectifs précis et une latitude plus grande pour la mener à bien. Au début du premier confinement, cela a parfois “coincé”. Puis chacun s’est adapté et nous avons massivement formé les managers. Là encore, il faudra en tenir compte pour la suite, quelle qu’elle soit. Le management par la confiance et non plus par la présence s’est imposé, faisons en sorte qu’il perdure.

N’est-ce pas plus facile quand les personnels sont bien équipés, résident en région parisienne avec des connexions souvent optimales ? Dans certains services déconcentrés, le télétravail a été plus compliqué à mettre en place…
C’est vrai que les personnels du SG sont essentiellement parisiens, mais nous avons aussi un réseau d’antennes immobilières qui ont la charge du suivi des projets immobiliers dans les territoires – par exemple la rénovation des cités administratives. La situation est peut-être différente entre la centrale et les services déconcentrés, certainement y a-t-il aussi un enjeu générationnel, sans oublier la qualité des outils de connexion et, par ailleurs, la nature des fonctions dont certaines ne permettent pas le télétravail. Mais globalement, les administrations ont appris la réalité du télétravail – moi la première ! Quand j’ai pris mes fonctions à Bercy fin 2019, j’aurais eu peine à croire que six mois plus tard, plus de 80 % des équipes seraient en télétravail. Nous avons réussi ce défi !

La gestion des moyens généraux a rejoint le SG dix ans après sa création, lui donnant ce double visage, stratégique et opérationnel.

Le secrétariat général (SG) de Bercy vient de fêter ses vingt ans. Quel regard portez-vous sur le SG aujourd’hui, alors que son utilité était questionnée à ses débuts ? 
Les secrétariats généraux existent dans tous les ministères : Écologie, Affaires sociales, Armées, etc. Le secrétariat général joue un rôle de courroie de transmission des politiques interministérielles absolument majeur. Il coordonne toutes les politiques de transformation ministérielle, d’innovation, de transformation numérique. Le SG appuie également la réforme de l’encadrement supérieur. Nous sommes là pour veiller à ce que les projets avancent correctement, avec de bons indicateurs, la possibilité de rendre compte lors de réunions interministérielles à Matignon, notamment via le baromètre de la transformation numérique. Nous donnons le tempo de l’innovation. Et nous déployons les plans de l’État, tel que le plan d’achats. À son lancement, le SG était une toute petite équipe d’une vingtaine de personnes. Il n’était même pas en charge des moyens généraux. À l’époque, c’est Laurent Fabius qui avait créé le secrétariat général comme bras armé du ministre pour mener les réformes prioritaires au sein de son administration. Cet objectif a perduré. La gestion des moyens généraux a rejoint le SG dix ans plus tard, lui donnant ce double visage, stratégique et opérationnel.

Dans un contexte d’évolutions rapides de la manière de mener l’action publique, êtes-vous dans une volonté de transformation et de modernisation permanente de votre institution ?
Nous sommes (aussi) là pour identifier les irritants, les dépasser et permettre ainsi à notre institution d’être plus efficace. Aussi j’ai souhaité instaurer un système d’évaluation avec une interrogation annuelle des directions du ministère sur notre intervention et la manière de travailler sur tel ou tel domaine. Cet outil sera pertinent pour identifier où existent des blocages. Je suis bien sûr toujours informée lorsqu’il y a un souci, parce que, en général, les gens appellent, par exemple pour un délai de traitement d’une demande. Il nous faut aujourd’hui dépasser un ressenti empirique et offrir un outil d’analyse plus large. Quand quelqu’un formule une demande, il peut être amené à penser qu’il est le seul à nous solliciter, alors qu’il peut y avoir plusieurs directions qui ont le même type de demande. Cela peut se produire, par exemple, sur les déménagements, lorsque plusieurs projets d’installation arrivent de manière simultanée ; l’un ou l’autre des demandeurs peut s’agacer que cela prenne plus de temps qu’il ne l’imaginait. À nous, certainement, de mieux objectiver les choses. 

Entre secrétaires généraux, lorsque l’on parle transformation, innovation, numérisation ou démarches RH, nos réflexions se rejoignent.

Diriez-vous que le SG de Bercy, et plus largement les secrétaires généraux des ministères, sont parfaitement installés dans les Meccanos institutionnels et jouent un rôle de coordination essentiel ? 
Les secrétariats généraux sont installés depuis un moment et ils sont effectivement incontournables dans le fonctionnement des organisations. Chacun, évidemment, a sa culture et son identité, qui dépend de la culture et de l’identité de sa “maison”, mais lorsque l’on parle transformation, innovation, numérisation ou démarches RH, nos réflexions se rejoignent. Nous disposons tous d’une feuille de route qui définit nos missions opérationnelles et est propre aux politiques publiques de chaque ministère. Néanmoins, il existe une communauté des secrétaires généraux qui est assez vivante et qui a été beaucoup renforcée pendant la crise. Le secrétariat général du gouvernement nous réunit une fois par mois, ce qui nous permet d’être informés de toutes les priorités gouvernementales et de les relayer auprès de nos collègues respectifs.

La crise a-t-elle renforcé ces relations entre secrétaires généraux ? 
On s’est rendu compte qu’on avait besoin de se parler beaucoup plus souvent. Nous avons instauré une communication hebdomadaire totalement informelle entre secrétaires généraux. Nous avions les mêmes questionnements : comment mets-tu en place tel protocole ? Comment s’organise le télétravail dans ton ministère ? Comment piloter la vaccination dans nos administrations ? Qui a une bonne idée pour dépasser tel souci, surmonter telle difficulté ?

Des sujets de crise qui sont venus en plus des sujets structurants ? 
Il a fallu prioriser certains sujets au regard des urgences de la crise, mais les problématiques structurantes n’ont pas été mises de côté. Je pense notamment à l’exemplarité de l’État au regard du développement durable, qui est un enjeu important pour assurer la transition écologique et solidaire de son fonctionnement. Les plans ministériels “administration exemplaire” (PMAE) sont importants : est-ce qu’on se contente de l’appliquer ou s’en saisit-on comme d’un projet stratégique de développement interne ? À Bercy, nous avons clairement fait le second choix. Voilà un sujet parmi tant d’autres sur lequel nous échangeons en permanence entre collègues secrétaires généraux.

Avez-vous instauré entre vous une boucle d’échanges instantanés type “WhatsApp” ? 
Nous sommes sur Tchap [la messagerie instantanée sécurisée de l’État, ndlr]. Cela permet des échanges réactifs. Voilà un outil, comme toutes les solutions informatiques, qui a trouvé une utilité accrue depuis le début de la crise sanitaire. 

J’imagine justement que vous allez capitaliser sur cette avancée des solutions numériques, qui ont connu un boom depuis mars 2020 ?
Nous avons franchi un cap incroyable, comme d’autres organisations publiques et privées. Et les objectifs du gouvernement, notamment exprimés lors du dernier comité interministériel à la transformation publique (CITP) renforcent cette ambition, notamment concernant le télétravail et l’équipement. En matière de visioconférences, une amélioration très notable a été menée entre le premier et le second confinements. À Bercy, nous avions un peu de mal à suivre quand nous avions jusqu’à 50 “visios” en même temps. Nous avons installé des écrans un peu partout, développé les salles dédiées aux visioconférences, équipé les agents… Par ailleurs, nous avons travaillé sur le plan de recâblage de Bercy, dont on s’est rendu compte qu’il remontait à 1989 et qu’il avait été un peu mis de côté. Mais nous avons encore quelques marges de progrès.

Nous entendons développer les processus d’intégration, qu’on appelle onboarding, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’accueil et l’intégration des agents. Nous aurons une vigilance plus forte du fait du contexte sanitaire et du télétravail, qui ont compliqué ces processus d’intégration.

Concernant les 4 axes de votre projet “Ambition SG” (lire encadré ci-dessous), l’épanouissement des collaborateurs a fait l’objet de nombreuses questions lors de votre émission “En direct avec la SG”, tant sur l’intégration que sur les mobilités. Sont-ce des sujets à traiter en priorité ?
L’épanouissement des collaborateurs est essentiel à leur bien-être général et à l’efficacité de notre organisation. Nous entendons par exemple développer les processus d’intégration, qu’on appelle onboarding, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’accueil et l’intégration des agents. Nous aurons une vigilance plus forte du fait du contexte sanitaire et du télétravail, qui ont compliqué ces processus d’intégration. Démarrer un nouveau poste en télétravail, ce n’est pas simple ! 

Quid du pilotage par la performance, l’un de vos 4 axes stratégiques ? 
C’est notre chantier numéro 1. Nous nous inscrivons dans une évolution qui se retrouve au niveau du gouvernement, avec des baromètres, des indicateurs, un suivi des projets, etc. Nous allons développer un tableau de bord et un suivi fin des projets stratégiques. Quand je suis arrivée, fin 2019, je ne disposais pas de tableau de bord de gestion interne. Les indicateurs se retrouvaient dans tel ou tel service, mais je n’avais pas de vue générale. Ce tableau de bord de gestion interne permettra d’identifier et de mesurer la performance de nos actions. Nous devons aboutir d’ici l’été, avec l’idée de ne pas installer 500 indicateurs : nous allons sélectionner ceux qui nous semblent les plus importants. Il est de mon devoir de pouvoir rendre compte au ministre de la performance des fonctions supports au sein de son ministère.

Allez-vous également œuvrer en matière de simplification ? 
Les textes de simplification sont là, s’appuyant notamment sur la loi de décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique [loi “Asap”, ndlr]. Le volet “marchés publics” concerne davantage la direction des affaires juridiques. En matière de simplification et de mutualisation, le SG peut agir. Concernant l’achat public, qui relève de la direction des achats de l’État, laquelle était fortement à la manœuvre pour les achats de masques, nous sommes là pour le suivi du déploiement des interventions, l’accompagnement et la formation des acheteurs, le développement de chartes déontologiques. Là encore, nous venons en appui et en soutien. Tout comme pour les différentes interventions du ministère relatives à la relance. Cela résume bien la mission du SG : soutien et accompagnement.

Propos recueillis par Sylvain Henry 

“Ambition SG”, le plan d’action du secrétariat général 
Les 4 axes stratégiques du projet “Ambition SG” du secrétariat général de Bercy :
1.   Renforcer la performance globale du ministère et du secrétariat général
2.  Placer ses bénéficiaires au centre de l’action du secrétariat général
3.  Accroître la lisibilité et l’agilité du secrétariat général
4.  Développer une identité partagée et faciliter la vie des agents
Concrètement, en 2021, le secrétariat général entend mettre en place un pilotage de la performance, refonder “le cadre de la relation avec les directions”, clarifier son organisation et favoriser l’épanouissement des collaborateurs. Sur ce dernier point, qui a fait l’objet de nombreuses questions lors de l’émission “En direct avec la SG”, il s’agit notamment d’améliorer la vie au travail des collaborateurs, de développer une culture commune et de renforcer la mobilité et l’attractivité du secrétariat général.

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