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L’État en quête d’un modèle économique pour sa future identité numérique

Alors que les derniers arbitrages sur le modèle économique de la future identité numérique régalienne se font toujours attendre, Acteurs publics dévoile l’une des pistes étudiées, pour le moment écartée : la constitution d’un consortium public-privé pour faire décoller FranceConnect.

La carte nationale d’identité électronique a été lancée officiellement mi-mars, sans un mot sur l’identité numérique qui y sera adossée pour permettre à tout citoyen de se connecter de manière sécurisée aux services en ligne. Pas un mot, non plus, sur le modèle de financement de cette identité numérique. La question est pourtant posée et continue de l’être depuis les débuts du programme interministériel France Identité numérique, en 2018.

Deux rapports ont d’ailleurs été réalisés par différentes inspections sur le sujet, l’un en juillet 2018 et l’ autre en janvier 2020. Tous deux restent confidentiels malgré nos demandes répétées pour y avoir accès, attestant de la sensibilité du sujet, et des décisions qui restent à prendre. Aucune trajectoire n’a en effet été clairement tracée par le gouvernement sur la place qu’entend occuper l’État sur le marché de l’identité numérique, laissant les acteurs économiques (fournisseurs d’identités comme fournisseurs de services) dans le brouillard total.

“Aujourd’hui, on ne sait toujours pas quel modèle de financement et de rentabilité l’État prévoit pour son identité numérique, ni même s’il compte facturer l’utilisation de son identité régalienne par les services privés”, lâche, décontenancé, un observateur attentif du chantier de l’identité numérique. Un sujet d’autant plus crucial que le modèle d’identité numérique retenu par l’État influera sur les autres identités numériques privées que promouvront les entreprises.

Gratuité pour les services publics et les usagers

La seule certitude, à ce stade, est que les services publics n’auront pas à payer pour utiliser l’identité numérique régalienne ou les identités privées dans le cadre de FranceConnect, pas plus que leurs usagers. Les arbitrages sont en revanche beaucoup plus incertains s’agissant des acteurs privés. Pour l’heure, le recours à FranceConnect par un fournisseur de service public ou privé demeure gratuit, si tant est qu’il figure parmi les acteurs éligibles (banques, assurances…). Mais en février 2020, le secrétaire d’État à la Transition numérique, Cédric O, faisait part de son intention de basculer dans un second temps sur un modèle payant.

Autrement dit, lorsqu’une banque ou un site de jeux d’argent souhaitera utiliser FranceConnect et l’identité régalienne pour vérifier l’identité d’un client, il lui faudra payer “à due concurrence de l’usage qu’il en fait”, estimait-il. Et ce de manière à rémunérer aussi bien le fournisseur d’identité que le rôle d’intermédiaire joué par FranceConnect. Rien n’avait fuité, en revanche, sur les modalités de mise en œuvre d’un tel mécanisme.

Entité publique-privée

Les pistes sont pourtant nombreuses à avoir été soumises au gouvernement. L’une d’entre elles proposait la création d’un consortium public-privé pour faire décoller FranceConnect, bien au-delà de la sphère publique. C’est en tous les cas le scénario préconisé par un rapport commandé par la direction générale des entreprises, en lien étroit avec le ministère de l’Intérieur, et que s’est procuré Acteurs publics.

Remis à l’automne 2019, celui-ci explore différents scénarios de modèles économiques pour l’identité numérique, notamment en fonction du rôle joué par la puissance publique : du monopole de la solution d’identification de l’État jusqu’à son retrait total du marché au profit de fournisseurs d’identités privés. Avec, entre les deux, différentes nuances : possibilité ou non de se connecter à des services publics avec une identité numérique du privé et, inversement, possibilité ou non de se connecter avec une identité publique aux services privés, gratuitement ou non.

Des 5 scénarios étudiés, le rapport plaide pour celui dans lequel l’identité numérique régalienne joue un rôle central sans pour autant être l’unique moyen de se connecter aux services publics (et privés), pour laisser, comme c’est le cas aujourd’hui, de la place aux fournisseurs d’identités privés comme La Poste ou Orange Mobile Connect. Un scénario de “compromis” vers lequel semble se diriger le gouvernement.

Mais ce scénario supposait néanmoins une clarification urgente de la gouvernance du système d’identité numérique à travers FranceConnect. Le rapport préconise ainsi la création d’un “FranceConnect 2.0” opéré par une structure publique-privée. La plus à même, selon les auteurs, d’accélérer l’adoption de FranceConnect, par les internautes, certes, mais aussi par les fournisseurs d’identités et de services publics et privés.

Compensation financière 

Ce consortium public-privé aurait le mérite de centraliser et donc de simplifier les relations de contractualisation entre les différentes parties prenantes de l’écosystème. Une grille tarifaire quasi prête à l’emploi a même été élaborée pour mettre en place un mécanisme de rémunération des fournisseurs d’identités par les fournisseurs de services en fonction des volumes d’utilisation. Les premiers ont en effet besoin de financer leur moyen d’identification, tandis que les seconds auraient beaucoup à gagner à se reposer sur FranceConnect pour l’identification de leurs clients : moins de coûts opérationnels, une meilleure gestion du risque, une simplification du parcours grâce à la fédération des différentes identités. L’État se contenterait alors de prélever une commission afin de pérenniser FranceConnect. 

Selon nos informations, un tel mécanisme de compensation a bien été envisagé par la direction interministérielle du numérique, avant d’être finalement écarté. Mais plusieurs acteurs incitent à la prudence en rappelant que l’arbitrage politique n’a pas été pris. “L’idée, avec l’ouverture de FranceConnect au privé, était de mettre en place une chambre de compensation en fonction du niveau de la preuve d’identité, afin d’éviter aux fournisseurs de services d’aller négocier avec chacun des fournisseurs d’identités pour que ces derniers reçoivent une compensation adaptée”, relate un proche du dossier.

Capitaliser sur FranceConnect pour répartir les profits en fonction de volumes d’utilisation des identités aurait permis de simplifier la facturation et d’accélérer grandement le déploiement de l’identité numérique”, déplore une autre source. Finalement, et si rien ne change, les différents services en ligne devront aller frapper à la porte de chacun des fournisseurs d’identités lorsqu’ils voudront utiliser leur moyen d’identification, et surtout mettre en place un modèle de facturation. 

En attendant, ce même interlocuteur juge “mortifère” pour les acteurs économiques l’incertitude qui plane sur le rôle exact de l’État et de son identité numérique régalienne sur le marché de l’identification numérique. “Qui peut investir dans l’identité numérique sans savoir quel rôle l’État entend jouer sur ce terrain ?”

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Club des acteurs publics

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