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Les promesses non tenues des études d’impact des projets de loi

Rendues obligatoires depuis 2009, les études d’impact des projets de loi sont souvent critiquées pour leur manque de qualité. Une perfectibilité qui tient à des raisons profondément politiques, mais aussi à un contrôle institutionnel restreint. Comment y remédier ?

"N’allez pas le crier sur tous les toits, mais c’est véridique, prévient d’emblée un visiteur régulier du Palais-Royal. Il m’est parfois arrivé d’y observer des commissaires du gouvernement en train de finir d’affiner l’étude d’impact d’un projet de loi dans une salle d’attente, juste avant que le Conseil d’État n’examine ce texte." Cette anecdote en dit long sur l’importance accordée aux études d’impact que les gouvernements sont aujourd’hui tenus de joindre aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d’État, puis lors de leur dépôt sur le bureau de la première assemblée parlementaire saisie de ces textes. Une obligation formalisée par la loi organique du 15 avril 2009, adoptée suite à la révision constitutionnelle de 2008.  

Les objectifs alors poursuivis étaient multiples : améliorer la qualité du droit en vérifiant notamment la nécessité de l’intervention du législateur, éclairer le Parlement sur la portée de la réforme initiée par le gouvernement, mais aussi disposer d’un nouvel outil d’aide à la décision publique. Des intentions évaluatrices à la résonance d’autant plus importante dans le contexte actuel, tant les citoyens réclament de plus en plus une transparence sur l’efficacité de telle ou telle politique publique. La crise des « gilets jaunes » ou la crise sanitaire actuelle en sont la preuve. 

Qualité “souvent médiocre”

Reste que les promesses constitutionnelles et organiques sont encore largement non tenues. Tous les observateurs en conviennent en effet : gouvernement après gouvernement, les études d’impact sont toujours très perfectibles, malgré leur caractère obligatoire. Un constat pointé du doigt dans de récents travaux, universitaires, parlementaires comme institutionnels. Dans un avis publié en septembre 2019, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) appelait ainsi à "mieux évaluer pour mieux légiférer" en regrettant que les études d’impact soient encore trop souvent associées à un "plaidoyer pro domo du gouvernement". 

Dans un référé daté de juin 2018, la Cour des comptes dressait de son côté un bilan très critique des études d’impact issues des ministères sociaux, les jugeant "peu éclairantes". Un constat également établi en mai dernier par un laboratoire de recherche de l’université Paris-Nanterre et du CNRS (Economix), dans une note d’analyse statistique d’un échantillon d’une trentaine d’études d’impact produites entre 2017 et 2019 par l’équipe Macron. Bilan : une "qualité très hétérogène et souvent médiocre des études d’impact", soulignaient les auteurs de la note, Benjamin Monnery, maître de conférences en économie, et Bertrand du Marais, conseiller d’État et chercheur associé au Centre de recherche en droit public de Paris-Nanterre. 

Plus récemment, en septembre, le Conseil d’État regrettait que l’institutionnalisation des études d’impact ait été "suivie de désillusions quant à la qualité" et "à la pertinence de ces études". Celles-ci sont "rarement" effectuées "après une véritable étude des options possibles" et se présentent "davantage comme une justification de la voie retenue", soulignait en ce sens le Palais-Royal dans son étude annuelle consacrée à l’évaluation des politiques publiques. 

"L’intérêt était d’avoir une évaluation préalable digne de ce nom pour initier un cercle vertueux de l’évaluation qui permette d’avoir un lien entre cette évaluation ex-ante et les évaluations in itinere et ex-post au travers d’indicateurs solides dès le début de la réflexion sur une réforme, mais on en reste très loin, très très loin, ce qui est dommageable en matière de qualité du droit et du débat public", regrette une cheville ouvrière de la mise en œuvre de la loi organique de 2009. 

Absence d’esprit contradictoire 

Comment expliquer une telle insuffisance des études d’impact ? Les raisons en sont avant tout politiques. Ce défaut de qualité "procède pour partie de notre fonctionnement institutionnel à tout le moins depuis l’instauration du quinquennat et la succession des élections présidentielles et législatives", affirme le Conseil d’État dans son étude. Pour le Palais-Royal, le programme du candidat élu président devient en effet "celui de la législature" et "sa validation par le suffrage universel et le fait majoritaire n’incitent pas à reprendre au début l’interrogation sur les options, l’impact et la pertinence" des réformes entreprises lors d’une mandature. 

Les études d’impact "ne peuvent qu’être dénuées de tout esprit contradictoire", ajoute l’ancien ministre de la Justice et ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas. "Les gouvernements vivent ces études comme une justification a priori d’une décision politique, poursuit l’ancien garde des Sceaux socialiste. L’esprit du législateur était d’instituer un état des lieux justifiant une évolution de la législation, mais c’est la décision politique qui s’impose en réalité et l’étude d’impact est ensuite construite pour en mesurer la pertinence et conclut naturellement à la justification de la disposition adoptée." 

Lui aussi très critique, un acteur institutionnel de premier plan abonde : "Il y a une sorte de fétichisme de la décision publique et politique, le roi ne peut mal faire, il trouve les idées en se rasant le matin et une fois qu’il a décidé, c’est parole d’évangile. L’exécutif ne va pas scier la branche sur laquelle il compte s’asseoir en intégrant des éléments critiquables dans son étude d’impact." "Il ne faut pas se le cacher, ces études d’impact pompent l’air des cabinets ministériels, elles sont réalisées dans un délai contraint et on en parle peu lors des réunions interministérielles", ajoute un directeur de cabinet ministériel en soulignant que ces documents sont perçus comme une "complication supplémentaire" par les responsables de l’exécutif "de manière structurelle". "Le mandat avait d’ailleurs été donné par Matignon et l’Élysée en 2009 de ne pas faire trop de bruit avec les études d’impact", explique de son côté la cheville ouvrière de la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle.

D’ailleurs, lorsqu’elles sont utilisées par les parlementaires, les études d’impact le sont majoritairement par les députés ou sénateurs de l’opposition, comme l’expliquent Benjamin Monnery et Bertrand du Marais dans leur note pour Economix. "Les gouvernements ne sont donc pas incités à donner beaucoup d’éléments dans leurs études d’impact, sans quoi ils peuvent être confrontés à de multiples questionnements de l’opposition", explique le conseiller d’État. 

Faiblesse du contrôle institutionnel 

Le contrôle institutionnel exercé sur ces documents est aussi l’un des critères avancés pour expliquer le manque de qualité des études d’impact. Conséquence notamment de la publication depuis 2015 de ses avis sur les projets de loi (lorsque le gouvernement décide de les rendre publics), le Conseil d’État a renforcé ses attentes quant aux études d’impact. "Mais lorsque le Palais-Royal invite le gouvernement à enrichir une étude d’impact qu’il juge insuffisante, cela reste une invitation, une recommandation, et nullement une obligation, explique Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public dont la thèse, en 2015, portait précisément sur le caractère obligatoire des études d’impact. Ce contrôle par le Conseil d’État est une bonne chose, mais ses commentaires restent dépourvus d’une réelle efficacité dans la mesure où ils ne contraignent pas le gouvernement." Le Conseil d’État est dans son rôle de conseiller du gouvernement, se borne-t-on à répondre au Palais-Royal. 

Autres regards pointés du doigt par les observateurs, celui de la conférence des présidents de la première assemblée parlementaire saisie et celui du Conseil constitutionnel. Conformément à la loi organique de 2009, la conférence des présidents peut en effet décider de refuser l’inscription d’un texte à l’ordre du jour si son étude d’impact lui paraît insuffisante au regard des critères organiques fixés. Néanmoins, "la portée du contrôle ainsi ouvert aux assemblées se révèle en pratique assez limitée, faute pour le Parlement de disposer d’outils d’examen contradictoire et principalement en raison du fait majoritaire qui prévaut à l’Assemblée nationale", explique le Conseil d’État dans son étude. 

Et quand le Conseil constitutionnel est saisi par une assemblée sur le respect des conditions fixées par la loi organique, son contrôle reste lui aussi restreint, puisqu’uniquement formel. La jurisprudence constitutionnelle a exprimé des "exigences modestes" par rapport au contenu des études d’impact, souligne ainsi le CESE dans son avis de 2019. "Le Conseil constitutionnel exige seulement de l’étude d’impact qu’elle discute des conséquences attendues du projet de loi par rapport aux objectifs fixés au projet de loi par le gouvernement, et non qu’elle documente une large série d’impact potentiels (effets pervers, effets d’aubaine, effets de bouclage…)", expliquent Benjamin Monnery et Bertrand du Marais dans leur note. 

Dans les faits, la Rue de Montpensier ne s’est prononcée qu’une seule fois sur les conditions fixées par la loi organique 2009. C’était en 2014, à la demande de la conférence des présidents du Sénat. Rien depuis. Rien d’étonnant, selon Bertrand-Léo Combrade : "Le Conseil constitutionnel a exercé un contrôle a minima en constatant uniquement qu’il y avait un document intitulé “étude d’impact” aux côtés du projet de loi et a donc refusé de juger de la qualité et de la pertinence de celle-ci." "Le Sénat, plus que l’Assemblée donc, a très bien compris qu’il n’y avait pas d’intérêt à s’opposer à une étude d’impact", poursuit l’universitaire. "Ces contrôles perfectibles sont la confirmation du manque d’adhésion initial aux études d’impact chez les grands acteurs institutionnels", abonde un observateur au cœur de la machine administrative. 

Objectivité et temps politique 

Outre un renforcement du contrôle exercé soit par le Conseil d’État, soit par le Conseil constitutionnel, plusieurs pistes sont avancées pour améliorer la qualité des études d’impact. Dans son avis de 2019, le CESE préconisait ainsi de "favoriser une rédaction et une expertise plurielles", notamment en développant la consultation de la société civile. Mais toujours "sous la responsabilité du gouvernement", ajoutait-il, en jugeant notamment que la très critiquée sous-traitance à un prestataire privé (un cabinet d’avocats en l’occurrence) de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation des mobilités "n’a pas donné satisfaction". C’était en 2018.

"Confier l’évaluation à des organismes publics indépendants permettrait d’assurer l’objectivité des études d’impact qui, aujourd’hui, sont tout autant politiques que l’exposé des motifs ou le texte même du projet de loi", ajoute le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, rapporteur d’une proposition de loi "visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi". Adoptée par le Sénat en mars 2018 mais non reprise par l’Assemblée nationale, cette proposition de loi prévoyait notamment de confier la rédaction de ces études à des organismes publics indépendants (Insee, OFCE, CESE, universités…). 

Cette ouverture, sorte d’application de la démocratie participative pour les études d’impact, semble néanmoins peu réalisable aux yeux de plusieurs acteurs, même s’ils la jugent utile. "Les gouvernements sont toujours dans la même posture, explique l‘un d’entre eux. Les responsables pensent se tirer une balle dans le pied en ajoutant des contributions extérieures, alors que cela peut améliorer l’essence même de la réforme envisagée." "Ouvrir la réflexion pourquoi pas, ajoute Sylvain Waserman, député MoDem et vice-président de l’Assemblée nationale. Mais cela ne permettra pas d’atteindre un niveau correct d’évaluation si nous n’avons toujours pas d’objectifs chiffrés et d’indicateurs clairs dans les études d’impact." Et ce dernier de pointer un manque de culture du résultat chez les politiques.

La problématique des études d’impact tient aussi au temps politique, selon Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement et de la Participation citoyenne : "Le Parlement n’a pas franchement la capacité de “contre-étude-impacter”, pour employer un néologisme, et les parlementaires font souvent un travail d’évaluation ex-post plutôt qu’ex-ante ou in itinere." "Si on revient un jour dans des temps, disons normaux, avec un calendrier plus détendu, ajoute-t-il, peut-être que le Parlement arrivera à mieux examiner et contre-examiner les études d’impact. C’est, je pense, très utile pour l’efficacité des politiques publiques." Pour Marc Fesneau, il serait utile d’examiner l’impact des dispositions prévues lors de l’examen même d’un projet de loi, tant les amendements peuvent modifier l’ampleur et le contenu d’un texte : "Cela pourrait permettre d’éviter d’élaborer la loi à l’aveugle, comme c’est parfois le cas…" Encore faut-il en avoir les moyens. 

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