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“Les pratiques de recrutement du Parlement européen peuvent inspirer la France”

Ariane Forgues-Enaud et Anaïs Vaquieri, vice-présidentes de l’Association des collaborateurs progressistes, analysent l’évolution des conditions d’exercice des collaboratrices et collaborateurs parlementaires, ainsi que celle du cadre de cette profession. Selon elles, le Parlement européen, qui recrute directement les collaborateurs, est une source d’inspiration. Les droits d’accès à la formation restent par ailleurs méconnus, soulignent-elles.

En cette fin de législature, quel regard portez-vous sur les conditions de travail des collaboratrices et collaborateurs parlementaires ?
Sous cette législature, plusieurs avancées ont été obtenues en faveur des collaborateurs parlementaires et l’Association des collaborateurs progressistes (ACP) s’en réjouit vivement. Nous pensons par exemple à la mise en place d’une cellule anti-harcèlement, à la création d’un régime spécifique de licenciement pour fin de mandat, à la réalisation de fiches de poste pour les recrutements de collaborateurs ou encore à la portabilité de la prime d’ancienneté lors des changements d’équipe. Ce sont des étapes nécessaires qui ont été acquises et un pas de plus vers la pleine reconnaissance encadrée du métier de collaborateur parlementaire. Les conditions de travail sont évidemment exceptionnelles depuis deux ans du fait du Covid. L’Assemblée nationale s’est alignée sur les recommandations gouvernementales pour protéger au mieux l’ensemble des personnels, dont les collaborateurs font partie : nous avons plongé, comme tant de Français, dans l’univers du télétravail, nous avons reçu des masques à disposition au bureau pour nous protéger, les gestes barrière ont été respectés comme partout en France. Les collaborateurs se sont adaptés à ces nouvelles méthodes de travail, dans un contexte difficile pour le pays entier et notamment auprès des parlementaires, puisque les collaborateurs de circonscription ont redoublé d’efforts pour accompagner les citoyens et ceux de Paris pour la continuité du travail législatif, y compris parfois en urgence et sur des volets particulièrement techniques et sensibles de la gestion de la crise. Bien sûr, un certain nombre de collaborateurs ont par ailleurs accumulé l’expérience des “gilets jaunes”, profondément marquante, avant la crise sanitaire qui a suivi. Personne n’aurait pu prévoir, en 2017, que nous allions nous retrouver, aux côtés de nos députés, au cœur d’un tel réacteur. C’est l’une des facettes de ce métier : l’adaptabilité, la résilience et la forte dépendance aux enjeux d’actualité, qui parfois malmènent nos conditions de travail – et c’est normal puisque nous sommes en lien très étroit avec les citoyens, parfois contre vents et marées.

En 2018, un accord avait été obtenu entre l’Association de députés-employeurs et les syndicats de collaborateurs pour “sécuriser” la fonction, avec la création de fiches métier, le développement de la formation professionnelle, la sécurisation des parcours professionnels. Cela a-t-il été suivi d’effet ? 
L’accord de 2018 a en effet permis plusieurs avancées, dont la mise en place d’une fiche métier ou le renforcement de l’accès à la formation professionnelle. En ce qui concerne le suivi de la fiche de poste, chaque équipe parlementaire a son propre fonctionnement, ses propres codes et chaque collaborateur en son sein, ses propres missions. Nous pensons toutefois qu’il s’agit d’un bon outil pour définir clairement le périmètre des missions attribuées à chacun des collaborateurs d’une équipe et permettre ainsi plus de fluidité et une meilleure cohésion, tout en excluant du cadre des missions qui n’auraient pas leur place. En ce qui concerne la formation, les collaborateurs parlementaires bénéficient d’aides au financement d’une formation qui sont fort pertinentes pour leur parcours professionnel. Ces formations sont très utiles pour monter en compétences sur les missions rattachées à leurs fonctions, comme la gestion de projets ou les relations presse, mais également pour la suite. S’il fallait améliorer un point sous le prochain mandat, ce serait sans doute une meilleure connaissance par les collaborateurs de leurs droits à la formation et des façons d’en bénéficier : l’accès à la formation reste encore assez méconnu et gagnerait à être davantage mis en avant, à Paris comme en circonscription.

L’accès à la formation reste encore assez méconnu et gagnerait à être davantage mis en avant, à Paris comme en circonscription.

Les conditions de travail des collaborateurs ne restent-elles pas pour autant difficiles ? 
Nous exerçons un métier passionnant, dans un cadre absolument privilégié qu’est le palais Bourbon et sur des sujets touchant à la vie de tous les Français. Il est important de rappeler avant tout ce contexte assez unique de travail. En fait, le travail des collaborateurs s’adapte au rythme de leur député(e), qui peut en effet être très dense selon les périodes ou les responsabilités. Sur leur territoire, avec les rendez-vous et visites, ou à l’Assemblée, lors des réunions et du travail législatif, les collaborateurs les accompagnent au quotidien, qu’il vente ou qu’il neige. Il est donc vrai qu’il s’agit d’un travail dense, qui nécessite rigueur et polyvalence. Lorsque l’on souhaite travailler auprès d’un(e) élu(e), il faut avoir en tête qu’un tel “job” peut être très exigeant car la charge de travail est conséquente et les équipes assez restreintes. Face à cela, soulignons qu’il s’agit d’un travail très gratifiant par les missions que l’on exerce, les avancées portées par nos élus et les rencontres que nous faisons, notamment dans la communauté de collaborateurs, qui est incroyablement solidaire dans la ruche qu’est l’Assemblée. Tout cela contribue à un véritable sentiment d’utilité au service du bien commun, ce qui n’est pas pour nous déplaire à une époque où nombreux sont ceux qui cherchent un poste avec du sens. Nous savons pourquoi nous sommes là. Bien sûr, certains collaborateurs sont malheureusement confrontés à des enjeux de mal-être au travail, comme dans bien des contextes professionnels. C’est un point sur lequel l’ACP est particulièrement impliquée, pour venir en aide aux collaborateurs en souffrance auprès de leur élu(e), heureusement très minoritaires. Aux côtés des syndicats et de la cellule anti-harcèlement, nous faisons tous front ensemble pour que les personnes concernées trouvent une issue positive à leur situation.

Une comparaison entre le Parlement européen et l’Assemblée nationale pourrait être effectuée afin d’identifier les meilleures pratiques desquelles s’inspirer.

L’Association de députés-employeurs, lancée à la fin du précédent quinquennat, offre-t-elle un cadre de dialogue efficace ? Tous les députés y adhèrent-ils ?
La grande majorité des députés ont adhéré à l’Association de députés-employeurs (ADE), ce qui montre une réelle volonté d’œuvrer collectivement au meilleur cadre de travail possible. L’ACP, quant à elle, assiste, sans y prendre activement part, aux négociations collectives destinées à renforcer les droits des collaborateurs. Cependant, nous ne sommes pas un syndicat, mais une association, qui a vocation avant tout à animer la communauté des collaborateurs de la majorité. Dès lors, nos échanges sont plus souvent tournés vers la présidence ou la questure, l’ADE étant en lien étroit avec les syndicats de collaborateurs.

Que demandez-vous aujourd’hui ? Plus précisément, que faut-il instaurer pour aller plus loin ? 
Le modèle qui nous paraît le plus avancé à ce jour est celui mis en œuvre par le Parlement européen. En effet, les collaborateurs y sont administrativement recrutés par l’institution, et non par chaque député(e) en tant que tel, ce qui permet un renforcement de leur protection collective. De fait, une comparaison entre le Parlement européen et l’Assemblée nationale pourrait être effectuée afin d’identifier les meilleures pratiques desquelles s’inspirer en France pour améliorer les conditions de travail des collaborateurs à l’Assemblée, telles que la création d’une grille salariale pour les recrutements ou encore la présence juridique de l’institution parlementaire comme partie au contrat de travail pour limiter les risques d’abus.

Les collaborateurs sont, dans leur ensemble, des « couteaux suisses » de par la pluralité des missions qui peuvent leur être confiées et des sujets examinés.

Au-delà, peut-on aujourd’hui établir le portrait-robot d’une ou un collaborateur parlementaire, sachant qu’avec 90 % de CDI à l’Assemblée nationale, 5 à 6 % de fonctionnaires détachés, 30 % à l’Assemblée et 70 % en circonscription, 60 % de femmes… les profils paraissent très différents ? Les motivations diffèrent-elles également ? 
Les collaborateurs sont, dans leur ensemble, des “couteaux suisses” de par la pluralité des missions qui peuvent leur être confiées et des sujets examinés. Notons qu’il y a peut-être 3 profils “types” de collaborateurs : un profil de juriste ou diplômé en sciences politiques, qui accompagne généralement le député à l’Assemblée nationale sur le travail législatif, le contrôle de l’action du gouvernement, les auditions ou encore les missions parlementaires ; un profil de communicant, qui conseille le député sur l’ensemble des aspects de sa communication (presse, réseaux sociaux…) ; et un profil en circonscription, qui diffère souvent selon les équipes et qui est peut-être le plus orienté “couteau suisse” de tous. Le collaborateur de circonscription occupe une place essentielle dans l’équipe car il répond aux sollicitations des citoyens, les aide dans l’accès à leurs droits ou dans la mise en réseau avec l’État ou les acteurs locaux, représente parfois le député lors de rencontres et – pour certains – pilote également tout l’aspect logistique et comptable de l’équipe parlementaire.  
Ce sont trois grands ensembles, mais chaque équipe est unique et il y a en réalité autant de profils de collaborateurs que de collaborateurs eux-mêmes. Tous ne viennent pas d’écoles de sciences politiques ou de droit, certains sont issus de la société civile, du milieu militant, de la fonction publique, voire ont eux-mêmes déjà exercé un mandat électif. Certains ont des doubles casquettes et sont agriculteurs, pompiers ou encore professeurs. En ce qui concerne les statistiques, ces dernières varient, mais l’on constate qu’il y a une large majorité de collaborateurs en CDI (90 %), que la plupart d’entre eux travaillent en circonscription (58 %) et que toutes les tranches d’âges sont représentées ! En effet, si beaucoup de collaborateurs ont moins de 29 ans (33 %), 43 % des collaborateurs ont plus de 40 ans. Enfin, la profession est très féminisée, ce qui est une constante puisque 54 % des collaborateurs sont des femmes. Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’image de la féminisation des bancs de l’Hémicycle en 2017, les femmes s’engagent dans le travail politique à l’échelle des équipes parlementaires également. Elles y sont mêmes majoritaires !

Plus largement, quels sont les aspirations et les parcours professionnels des collaborateurs parlementaires ? 
Au risque de nous voir accuser de pratiquer la langue de bois, c’est une véritable conviction qui s’exprime ici lorsque l’on indique que, de même qu’il y a autant de profils de collaborateurs que de collaborateurs, leurs aspirations varient d’une personne à l’autre. Certains souhaitent poursuivre dans la sphère publique, en briguant eux-mêmes un mandat électif ou en passant des concours de la fonction publique. D’autres souhaitent rejoindre des entreprises privées ou poursuivre dans les affaires publiques au sens large, en entreprise ou encore en association, forts des compétences et du réseau bâtis à l’Assemblée nationale. Une chose est certaine, c’est que le travail de collaborateur parlementaire n’est pas un métier comme un autre. S’il doit y avoir un point commun à l’ensemble des collaborateurs, c’est la volonté de s’engager pour des causes et des idées qui leur tiennent à cœur. Nous savons pourquoi nous nous levons le matin et c’est avec fierté que nous contribuons aux avancées législatives, au lien entre la sphère politique et les citoyens. Dès lors, cela se traduit bien souvent dans les projets que tous poursuivent ensuite, à l’Assemblée nationale comme en dehors.

Une affaire comme l’affaire Fillon ne serait plus possible aujourd’hui car les députés de cette législature ont œuvré à traduire dans la loi la volonté des Français que leurs élus soient exemplaires.

Les collaborateurs parlementaires avaient été des “victimes collatérales” de l’affaire Fillon en 2017. Une telle affaire serait-elle encore possible aujourd’hui ? 
En effet, l’affaire Fillon a mis en lumière une profession méconnue, mais cette mise en lumière a malheureusement été faite pour toutes les mauvaises raisons. Le nœud de cette affaire réside dans le fait que la personne mise en cause n’avait de collaboratrice parlementaire que le titre, tout en bénéficiant d’une rémunération largement supérieure à la moyenne des collaborateurs qui exercent réellement cette fonction. Cette affaire a eu un impact très néfaste pour les collaborateurs et pour les élus, à double titre en réalité : d’une part en véhiculant l’idée que les collaborateurs d’élu sont tous des proches grassement payés par le contribuable à ne rien faire, d’autre part en renforçant le sentiment de défiance des citoyens vis-à-vis de leurs élus, car cette affaire a été vécue comme une énième trahison de la classe politique qui utiliserait ses privilèges à des fins d’enrichissement personnel. Heureusement, si déjà à l’époque les pratiques d’emplois fictifs de certains n’étaient pas celles de la très grande majorité des élus, ce scandale a entraîné de véritables changements. La nouvelle majorité élue en 2017 a ainsi renforcé drastiquement les règles de transparence et de contrôle qui s’appliquent à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la loi de moralisation et de transparence de la vie publique. Une affaire comme l’affaire Fillon ne serait donc plus possible aujourd’hui, car les députés de cette législature ont œuvré, dès leur élection, à traduire dans la loi la volonté des Français que leurs élus soient exemplaires. À titre d’exemple, il n’est plus possible de rémunérer un membre de sa famille que l’on embaucherait en tant que collaborateur parlementaire. Son travail est désormais exclusivement bénévole.

Comment rendre la fonction de collaborateur parlementaire plus ouverte et plus attractive ? 
Aujourd’hui, les conditions d’accès au métier et les missions des collaborateurs parlementaires sont encore relativement méconnues. Afin de démocratiser le recrutement dans la sphère politique, des collaborateurs parlementaires (dont l’une de nous deux) sont à l’origine d’un site apartisan dédié au recrutement politique, Emplois-politiques.fr, où sont publiées des offres émanant de parlementaires, de cabinets ministériels mais aussi de collectivités, afin de permettre à un plus grand nombre de candidats potentiels d’y avoir accès. Cela présente un double intérêt : permettre à tous ceux qui souhaitent s’y plonger d’avoir accès aux offres d’emploi, mais aussi encourager la publication de fiches de postes par les recruteurs. Il existe en effet un véritable enjeu d’ouverture de la sphère politique, qui doit nécessairement passer aussi par l’ouverture du recrutement dans les cabinets et équipes parlementaires au-delà du seul réseau existant grâce à la famille, à un passage dans telle ou telle grande école, ou encore à l’origine géographique ou sociale des citoyens. La diversité des parcours et des expériences est une incroyable richesse de la communauté des collaborateurs parlementaires et nous espérons qu’elle se renforcera au fil du temps.

Propos recueillis par Sylvain Henry

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