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La fonctionnalisation au Quai d’Orsay secoue les diplomates

L’annonce de la fonctionnalisation de certains corps du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, faite par le Premier ministre dans un courrier, secoue cette administration régalienne aux fortes spécificités “métier”.

Tous les corps ou aucun. Alors ce sera tous ! L’équipe d’Emmanuel Macron poursuit à marche forcée sa réforme de la haute fonction publique. Ainsi le Premier ministre, Jean Castex, vient-il de confirmer le 15 mai, à l’occasion d’une lettre à 600 hauts fonctionnaires de tous les ministères et destinée à donner du sens à la réforme, ce que le Quai d’Orsay redoutait depuis quelques semaines déjà : les corps de diplomates (conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires) seront également fonctionnalisés. Comme le corps préfectoral et les inspections.  

“Pour certains métiers, qu’il s’agisse des inspections ou des filières préfectorale et diplomatique, des statuts d’emploi seront élaborés d’ici l’automne, après concertation avec les agents des ministères concernés, afin de tenir compte de leurs caractéristiques et sujétions particulières”, écrit Jean Castex. Alors que la fonctionnalisation (en principe gage d’ouverture des postes aux profils extérieurs) faire craindre une dilution des compétences “métier”, le Premier ministre tente de rassurer : “Ces métiers se forgent en effet à l’aune de l’expérience de la pratique et du compagnonnage, qualités qui devront être valorisées dans l’affectation des postes et progressions de carrière.” Mais il en profite pour bien réaffirmer la philosophie : “Il s’agit de remplacer une logique de statut par une logique de métier.”

Il faudra néanmoins attendre les précisions dans les prochains mois pour cerner véritablement le projet. À la différence de la préfectorale, les hauts postes du Quai d’Orsay étaient déjà plus proches du modèle de la fonctionnalisation en ce que la pratique gestionnaire n'entraînait que très peu la titularisation. La seule fonctionnalisation juridique des postes ne suffit donc pas pour garantir leur ouverture effective. Les postes d’ambassadeurs sont depuis des lustres des emplois à la décision du gouvernement, c’est-à-dire vierges de toute contrainte statutaire, mais ils sont en réalité peu utilisés pour une ouverture sur des profils non conventionnels, qui ne dépend, sur le papier, que du bon vouloir politique.  

Condition nécessaire mais pas suffisante

En 2018 par exemple, seuls 4 postes d’ambassadeurs sur 182 étaient occupés par des contractuels. Six postes d’ambassadeurs étaient par ailleurs tenus par des fonctionnaires extérieurs à ce ministère. La pratique montre que l’ouverture dépend de plusieurs facteurs : le poids de l’administration du ministère (prépondérant au Quai d’Orsay), la spécificité du métier, les singularités pratiques (l’éloignement géographique et parfois la langue) et la manière de gérer au plan RH ces métiers. Le Premier ministre le reconnaît d’ailleurs dans son courrier : “J’ai bien conscience que pour vraiment ouvrir le jeu, et garantir, dans vos carrières, une véritable interministérialité, l’évolution des règles statutaires ne suffira pas et qu’il nous faudra créer les conditions concrètes d’un décloisonnement effectif de la haute fonction publique”, en rappelant qu’un chantier aura aussi trait aux rémunérations.

Au Quai d’Orsay, une administration très fermée sur elle-même sinon une chasse gardée, l’initiative passe mal. “La fonctionnalisation, c’est démagogique et incompréhensible, on va fabriquer des diplomates amateurs”, lâche un hiérarque. Le ministère présente 3 spécificités qui s’accommoderont mal d’un mouvement d’ouverture, selon lui. “Nous sommes les seuls hauts fonctionnaires à ne pas mettre en œuvre de politiques publiques, sauf pour les visas”, analyse-t-il. “Nous ne pondons pas de normes non plus, sauf pour les traités dans le cadre d’une négociation bilatérale ou multilatérale. Autre spécificité de taille : notre sujet de travail n’est pas la France, nos connaissances sont très différentes des autres hauts fonctionnaires. Nous sommes dans une autre réalité”, ajoute-t-il en faisant remarquer que beaucoup de pays s’appuient sur une filière diplomatique professionnelle.  

Évidemment, entre la communication rutilante du projet et la réalité, il existe toute une palette de dispositifs, en fonction du degré d’ouverture que l’on veut donner. Il faudra aussi convaincre, davantage que ces dernières années qui ont vu des recrutements incompris, sinon contestés. Comme celui de cette haute fonctionnaire à l’impeccable réputation professionnelle issue d’un ministère non régalien et nommée sur une ambassade européenne sans avoir jamais exercé dans le métier. L’expérience d’un premier poste de ministre-conseillère ou de consule générale aurait sans doute amenuisé les critiques.

Sureffectif au sommet

Car le débat sur l’ouverture cache un débat plus complexe sur sa préparation et notamment la définition de viviers, et partant, de parcours professionnels pensés à partir de mobilités bien anticipées. Tout en prenant en compte les spécificités du Quai d’Orsay : l'éloignement géographique des postes et ses implications sur la vie personnelle, le niveau requis en langues dans certains cas, etc. Mais se pose aussi la question des débouchés offerts aux agents du Quai d'Orsay si demain leur ministère ne pouvait plus leur assurer autant de place qu’aujourd’hui, et donc celle des compétences acquises au gré de leur parcours.

Car le ministère reste dans une situation singulière au plan RH : depuis une quinzaine d’années, il est marqué par un sureffectif au sommet dont il n’arrive pas à se défaire, sinon à organiser une rotation assez forte de ses postes. Cela concerne les agents de niveau A +, à savoir les conseillers des affaires étrangères (CAE) et ministres plénipotentiaires (MP), ainsi que l’estimait la Cour des comptes en 2017 dans un référé sur la gestion des ressources humaines du Quai.

Si les agents des catégories A et A + représentaient 29 % des effectifs des corps généralistes du ministère en 2014, soit à peine plus que la moyenne interministérielle (environ 28 %), le ratio rapportant l’effectif des agents de catégorie A + à l’effectif des agents de catégorie A était de 113 % pour le ministère en 2013, contre 20 % en moyenne pour un ensemble de ministères. Une situation qui résulte des flux de recrutement très élevés de conseillers des affaires étrangères dans le passé, flux “qui ont toutefois nettement diminué depuis 2012”, soulignait le référé en rappelant que les corps des CAE et des MP serait amenés à connaître à court et moyen termes un “engorgement récurrent”.

La DRH du ministère s’est engagée dans une démarche volontariste de résorption de ce déséquilibre au travers de la limitation des recrutements dans les corps. À ce phénomène, est venue s’ajouter une autre donnée : la mise en œuvre de la parité, qui tend un peu plus la gestion des ressources humaines. Le projet de fonctionnalisation arrive donc dans un contexte RH tendu.

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