Partager

4 min
4 min

Isaac Getz : “La crise doit permettre de repenser les finalités de chaque organisation”

Professeur à l’ESCP et auteur de l’ouvrage L’Entreprise altruiste (Albin Michel), Isaac Getz analyse les effets de la crise sur les organisations et invite les administrations à revoir leurs finalités.

Le leadership par l’altruisme est-il encore plus nécessaire aujourd’hui ? 
Oui, car lors des crises, le réflexe naturel est le repli sur soi. C’est compréhensible, c’est un peu la fuite face au danger. Mais les Homo sapiens ont aussi appris, tout au long de leur évolution, qu’il fallait s’unir face au danger et s’entraider. Dans une crise comme celle qu’on vit aujourd’hui, cela a du sens d’essayer de tout faire pour aider, de prendre soin de ses fournisseurs, car une usine, un magasin, une cantine municipale ne pourra pas démarrer à plein régime si ses fournisseurs ont fait faillite entretemps. De même pour les clients : il peut être économiquement plus intéressant de fermer son établissement et de mettre tout le monde au chômage partiel, mais les clients ainsi abandonnés peuvent ne plus être au rendez-vous quand la crise passe. Enfin, les entreprises ont un rôle majeur dans leur communauté locale. Certains sont, par exemple, les plus grands employeurs dans leur petite ville, qui risque de souffrir. À l’inverse, si une entreprise prend soin de tous les membres de son écosystème pendant la crise, il y a fort à parier que ces derniers prendront soin de cette entreprise une fois la crise terminée.

Quels sont les principes de ce leadership altruiste ? 
L’entreprise altruiste (le terme vient du latin alter, l’autre) est une organisation qui se met au service des membres de son écosystème – clients-usagers, fournisseurs, communautés locales – à travers toutes ses activités de cœur de métier et le fait de manière inconditionnelle, c’est-à-dire non subordonnée à l’intérêt économique. Attention, cela ne veut pas dire que ces entreprises ne s’intéressent pas aux profits. Non, elles les apprécient, mais les profits ne constituent pas la finalité, mais une contrainte, un peu comme l’eau. On ne vit pas pour boire de l’eau, mais on en a besoin pour vivre bien et longtemps. Ce qui est remarquable, c’est que dans notre recherche, nous avons trouvé que les entreprises altruistes jouissent de plus de profits que leurs homologues qui les recherchent directement.

Comment le met-on en œuvre ? Quel rôle les leaders jouent-ils aujourd’hui dans ce contexte : les “top” leaders, les leaders intermédiaires ? 
C’est une bonne question, car concrètement, il ne peut y avoir de transformation d’organisation sans une transformation de soi de la part de son principal dirigeant. C’est lui ou elle qui incarne cette vision de l’entreprise ou de l’organisation, non pas par les discours, mais par les actes de tous les jours. Il n’y a rien de plus désorientant pour les salariés que des grands discours de “top” leaders, suivis d’actions sur le terrain qui les contredisent. Après, il s’agit d’impliquer – sur la base du volontariat – les managers et les collaborateurs qui le souhaitent en les encourageant à repenser leurs activités dans l’organisation pour qu’elles servent inconditionnellement les clients, les fournisseurs ou la communauté locale avec qui ils sont en rapport direct. L’objectif est de transformer les rapports qui sont conduits sous forme de transactions économiques avec tous ces interlocuteurs, ces “autres”, en rapports conduits sous forme de relations authentiques.

La crise montre que la recherche de profits pour les entreprises, ou de l’intérêt général pour les administrations, ne suffisent pas pour repenser la façon de contribuer de chacun et ne permettent pas que chacun s’implique pleinement.

La crise offre-t-elle des opportunités ? 
Oui, dans le sens où elle permet de repenser aux finalités de son entreprise, de son organisation. D’ailleurs, cela s’applique aussi aux administrations. La grande finalité, “l’intérêt général”, ne donne pas le sens, le rêve concret aux salariés et aux agents, qui les amène à repenser leurs activités pour faire tout pour cette vision. Sinon, beaucoup d’enfants ne se plaindraient pas de leur cantine scolaire, on aurait été accueillis différemment dans de nombreuses administrations où les usagers se sentent comme des numéros (on commence d’ailleurs par prendre leur numéro). On peut utiliser cette crise pour se poser la question : “Qu’est qu’on rêve d’accomplir ensemble” ? Et après, inviter chacun à repenser son activité pour réaliser ce rêve (au lieu de juste faire son “job”). La crise montre que la recherche de profits pour les entreprises, ou de l’intérêt général pour les administrations, ne suffisent pas pour repenser la façon de contribuer de chacun et ne permettent pas que chacun s’implique pleinement.
     
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre concept d’“organisation libérée” ? Ce concept s’est-il développé ? 
Plus de dix ans après la parution de mon livre Liberté & Cie, on peut constater qu’en France, la philosophie de l’entreprise libérée a inspiré un véritable mouvement impliquant des centaines d’entreprises, mais aussi des administrations de tous types (voir le recueil de la DITP sur une centaine d’organisations libérées). Plus encore, la France est le pays qui est à l’origine de ce mouvement. Les journalistes anglo-saxons qui m’ont interviewé ont tous découvert “l’entreprise libérée”, un concept qui n’existait pas et est encore largement méconnu en anglais. On peut donc constater – s’en réjouir, peut-être – un double accomplissement : d‘abord que la France est le pays où il y a le plus grand nombre d’organisations libérées dans le monde en chiffres absolus ; puis qu’il existe en France un mouvement majeur de transformation d’organisations qui n’est pas venu de l’étranger – des États-Unis ou du Japon – mais qui est né dans ce pays même, et qui par la suite a commencé se répandre dans d’autres pays francophones, et maintenant anglo-saxons et ailleurs.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×