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Guillaume Hermitte : “Proposer les bons postes à des hauts fonctionnaires plus directement opérationnels”

Le président de l’association ENA3C (élèves et anciens issus du troisième concours de l’ENA) réagit aux conclusions du rapport Bassères et définit les conditions d’une administration plus ouverte et tournée vers l’action. La fin du classement de sortie de l’ENA – futur INSP – préconisée par le rapport constitue une réelle opportunité de proposer les bons postes à des hauts fonctionnaires plus directement opérationnels, estime-t-il. Une condition, selon lui, de la réussite de la transformation publique.

Quelles clés utiliser pour proposer une administration “d’action” dans les années à venir et quelles en sont les conditions ? 
Au sein de l’association ENA3C, nous identifions la nécessité de répondre à un besoin urgent et crucial d’inventer de nouveaux services publics qui apportent de manière différenciée des réponses de même qualité à tous les citoyens quel que soit leur lieu d’habitation ; qui sachent produire du “sur-mesure de masse”, face à des besoins sociaux de plus en plus fragmentés et complexes, et donc individualiser des réponses à grande échelle pour que toutes et tous aient accès aux services publics ; et enfin qui développent une meilleure capacité à faciliter les coopérations des acteurs publics entre eux, mais aussi avec les acteurs privés. Cette vision nécessite que les pouvoirs publics renforcent leur capacité à conduire une grande diversité de projets et d’offres de services publics, au plus près des usagers, qu’ils soient gérés en régie ou délégués avec le bon niveau de contrôle aux opérateurs privés. En ce sens, l’identification des besoins des usagers doit devenir la première étape de la définition de l’action publique. Cela implique notamment un rééquilibrage des ressources au profit des administrations en territoire, une méthodologie et des marges de manœuvre pour les personnels de terrain afin de dresser, individuellement et collectivement, les bons diagnostics. Cela implique également de mieux connaître le panel des services en présence sur tel ou tel territoire et d’évaluer leur qualité pour n’intervenir qu’en subsidiarité. Dès lors, une vraie différenciation des outils mis en œuvre par l’État, adaptés aux écosystèmes locaux, pourra voir le jour, et être communiquée aux usagers. Sans cela, pas de meilleure lisibilité de l’action publique, ni de meilleure efficience dans la gestion de l’argent public. 
Ce changement de logique dans la conception et le déploiement des services publics présuppose de s’appuyer davantage sur des personnes disposant d’une expérience solide, de compétences diversifiées et d’une connaissance du terrain. L’intervention d’experts et de professionnels aguerris ne doit pas être le seul apanage de consultants chargés d’accompagner les administrations. Ni des seuls agents contractuels, auxquels les pouvoirs publics font de plus en plus appel. Pour que cela s’inscrive dans le temps long, il demeure nécessaire de disposer d’une haute fonction publique de carrière qui assure une continuité de l’action de l’État mais qui se nourrisse davantage de ces compétences. Le développement d’une véritable voie professionnelle d’accès aux carrières publiques supérieures, notion empruntée du rapport Thiriez*, nous semble être un levier pour faire évoluer la culture administrative. Recruter durablement davantage de praticiens disposant déjà d’expériences dans le public comme dans le privé constitue, de notre point de vue, un véritable levier pour développer cette administration d’action. Les propositions de la mission Bassères [qui a remis son rapport au gouvernement le 26 novembre, ndlr] centrées sur ces profils professionnels nous semblent aller dans le bon sens. 
Par exemple, le fait de créer une nouvelle épreuve de “valorisation du parcours” dès l’écrit, affectée d’un fort coefficient, constituera, si les jurys disposent d’un cadrage sur les profils et compétences recherchés, un levier réel pour aller chercher plus de diversité des parcours et des pratiques professionnelles. Le fait de construire une plus grande individualisation des parcours de formation au sein de l’INSP [l’Institut national du service public, qui va remplacer l’ENA en janvier, ndlr], à la fois pour développer des logiques de filière, mais également pour permettre à tout agent de disposer d‘un socle minimal de compétences attendues de tout haut fonctionnaire, constitue l’autre face nécessaire de cette orientation. Enfin, la convergence entre les durées d’ancienneté requises pour le concours interne et le troisième concours constitue également une proposition intéressante pour raisonner selon une nouvelle dialectique de candidats étudiants et candidats professionnels.

Cette expérience dans des fonctions de praticien de terrain, de gestionnaire de structures opératrices de services, et pas seulement dans le cadre de stages de deux à cinq mois, constitue un réel atout pour concevoir, mettre en œuvre ou contrôler les politiques publiques.

Qu’apporteront des “compétences matures” aux organisations ? Quel est intérêt de les solliciter fortement ?
Je serais presque tenté de répondre par d’autres questions. Que peut apporter un ancien chef d’entreprise à une administration centrale, à une administration déconcentrée ou à un cabinet ministériel en matière de politiques d’emploi ou de relance économique ? Que peut apporter une personne ayant exercé des fonctions de cadre dans des établissements sociaux ou médico-sociaux aux politiques de l’aide sociale à l’enfance, du grand âge ou encore de l’accueil des migrants ? Cette expérience dans des fonctions de praticien de terrain, de gestionnaire de structures opératrices de services, et pas seulement dans le cadre de stages de deux à cinq mois, constitue un réel atout pour concevoir, mettre en œuvre ou contrôler les politiques publiques. L’apport à la haute administration de cultures professionnelles forgées dans différentes filières et organisations constitue en outre un sérieux garde-fou contre une certaine forme d’homogénéité sociale et intellectuelle, reprochée à la haute fonction publique, sous réserve que ces apports de compétences matures ne soient pas seulement ponctuels. À défaut, la puissance publique court le risque de nourrir davantage les grandes entreprises des compétences et des savoirs qu’elle transmet à ses agents, plutôt que de se nourrir des compétences venues du privé et de la société civile dont elle a elle-même besoin.

La gestion des carrières doit se traduire, dès les premières affectations, par la prise en compte effective des compétences acquises et du niveau d’expérience professionnelle accumulée depuis la fin de la formation initiale des agents.

Comment rendre les carrières plus attractives ? Comment donner des perspectives ? 
Rendre les carrières publiques plus attractives pour des “talents expérimentés” nécessite d’abord de davantage les intégrer dans la réflexion. Pour différentes raisons, de plus en plus de personnes souhaitent, en cours de carrière, trouver un sens fort à leur vie professionnelle et mener à bien un projet de reconversion. C’est en particulier le cas de toutes celles et ceux qui, issus de milieux sociaux moins favorisés, ont d’abord cherché à atteindre un certain niveau de confort matériel via des emplois dans le privé – souvent plus facilement accessibles même lorsqu’on ne maîtrise pas certains codes. Ayant eu l’honneur de présider le jury du cycle de préparation à l’ENA pour le troisième concours ces deux dernières années, je peux vous assurer que de nombreux profils de candidats admissibles à la PENA – préparation ENA – en sont une illustration. L’État et les administrations publiques doivent pouvoir développer un récit attractif sur les carrières publiques à leur attention. Ce récit reste encore hélas essentiellement ciblé sur les étudiants. À cet égard, nous avons fait plusieurs propositions à la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques [Amélie de–Montchalin, ndlr], dont un projet de partenariat, intitulé “Vivier des praticiens publics”, élaboré avec d’autres associations de hauts fonctionnaires ainsi qu’avec le French Impact [programme d’accompagnement de projets d’innovation sociale porté par le ministère de la Transition écologique et solidaire, ndlr]. Nous nous tenons collectivement prêts à jouer un rôle actif dans la détection et l’accompagnement, à plus grande échelle, de “talents” plus matures désireux de rejoindre durablement des carrières et de l’action publique.
Mais cela n’est pas tout. Inciter et accompagner des praticiens vers ces carrières publiques suppose de clarifier ce que l’État peut leur proposer. En matière de nombre de places offertes aux concours tout d’abord. Il est à cet égard décevant de voir que tout nouveau concours créé pour intégrer l’ENA (et demain l’INSP) se fait en rabotant les places au concours interne et au troisième concours. Concernant spécifiquement le troisième concours, comment voulez-vous attirer en nombre les meilleurs profils du privé lorsque vous ne proposez que 7 places en France à l’INSP ou 3 à l’Inet ? Et ce dans le cadre d’un concours dont le libellé même crée une hiérarchie implicite désavantageuse par rapport aux autres concours ! Il faut vraiment une grosse dose de confiance, de ténacité et de sens de l’action publique pour présenter un tel concours après une première vie professionnelle et en ayant le plus souvent une vie de famille.
Sur ces sujets là aussi, nous avons émis plusieurs propositions au gouvernement. En tout état de cause, je crois que le fait de lier la taille des promotions de l’INSP à une véritable GPEC au sein de l’État, animée par la Diese, constitue une opportunité essentielle pour mieux calibrer le nombre de places offertes aux candidats des concours de la voie professionnelle. Cela permettra, j’en suis sûr, de prendre conscience qu’il est utile d’augmenter significativement le nombre et la proportion de hauts fonctionnaires recrutés par concours après avoir exercé différents métiers, notamment dans le privé et la société civile.
L’adaptation des cycles de préparation (formation, mentorat) dans le cadre du réseau Prépas Talents à destination de ces profils plus matures, la refonte des dispositifs d’indemnisation des candidats pendant la période de préparation et les conditions de rémunération en sortie de formation sont également des enjeux forts. À cet égard, nous saluons les dispositions retenues dans le décret sur le corps des administrateurs de l’État pour que toutes les années de carrière d’un troisième concours soient prises en compte en sortie d’école en termes de rémunération.
Enfin, la gestion des carrières doit se traduire, dès les premières affectations, par la prise en compte effective des compétences acquises et du niveau d’expérience professionnelle accumulée depuis la fin de la formation initiale des agents. C’est un enjeu immédiat de lisibilité et d’attractivité. En cela, la fin du classement de sortie préconisée par le rapport Bassères constitue une réelle opportunité de proposer les bons postes à des hauts fonctionnaires plus directement opérationnels. Et, si vous me pardonnez l’anglicisme, de passer de cette logique de classement, non pas à une logique de spoils system, mais à une logique de skills system.

* Publié le 18 février 2020.

Mercredi 8 décembre, au Lieu de la DITP - 77 Avenue de Ségur, Paris 15e - l'Association ENA3C organise une table ronde, dans le cadre d'une soirée dont le programme est le suivant :
- De 18h30 à 19h : accueil et présentation des lauréats 3C du concours 2021
- De 19h à 19h30 : présentation par Gaelle Fierville, chef de bureau de l'encadrement supérieur à la DGAFP de l'actualité et des perspectives de la réforme de la haute fonction publique et questions/ réponses.
- De 19h30 à 20h30 : table ronde "Pour une administration plus ouverte et tournée vers l'action - Avec des hauts fonctionnaires plus divers et plus directement opérationnels" Les intervenants :
Isabelle Saurat, secrétaire générale du ministère des Armées; Sylvain mathieu, délégué interministériel à l'Habitat et à l'Accès au logement (DIHAL); Nina Prunier, cheffe du bureau des relations individuelles de travail au ministère du Travail, administratrice de l'association ENA3C; Anthony Broussillon, magistrat au tribunal administratif de Paris et président de l'Association Intern'ENA.
Renseignement et inscription : ena3econcours@gmail.com

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Club des acteurs publics

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