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Éric Zemmour : “Je délierai les mains de l’État pour qu’il puisse enfin remplir son rôle”

Dans une interview écrite, réalisée en partenariat avec le Cercle de la réforme de l’État, Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle, livre ses propositions et ses analyses en matière de réforme de l’État et de l’action publique. Créer un haut-commissariat à la Simplification administrative, redonner la primauté aux communes et aux départements sur les autres collectivités, rétablir les corps préfectoral et diplomatique, instaurer plus de rigueur budgétaire figurent à son programme.

Quelle devrait être pour vous la place de la puissance publique par rapport aux autres acteurs dans la société ?
Je m’inscris dans une double tradition, colbertiste et gaullienne. Pour moi, l’État doit occuper une place centrale dans la société, initier de grands projets et donner un cap, sans pour autant obérer les initiatives individuelles, des particuliers et des entreprises.

La crise sanitaire a renforcé l’État comme acteur central de la puissance publique. Pour vous, est-ce une parenthèse ou en ferez-vous un axe durable ?
La montée des périls, tant à l’intérieur (islamisme, insécurité…) qu’à l’extérieur (agressivité des puissances étrangères…), conduira nécessairement au renforcement de l’État, dont le rôle premier, régalien, devra être pleinement assumé dans les années à venir. Il en va de la survie de la France.

Pour vous, que devrait être la réforme de l’État ? Parmi les réformes souhaitables dans l’État, lesquelles mèneriez-vous en priorité au cours des cinq prochaines années ?
La crise du Covid-19 en a été la malheureuse illustration : notre État se révèle au fil du temps toujours plus obèse et impuissant. Il ne sait plus répondre aux besoins essentiels des Français, bien que sa taille et son emprise sur l’économie ne cessent de croître. Toutes les fonctions régaliennes se délitent inexorablement alors que la dépense publique atteint des sommets inégalés. Tous les indicateurs signalent un cruel manque d’efficacité de la part de l’État : sécurité, santé, éducation, développement économique, alors que l’État impose lourdement les Français et les entreprises. Nous dépensons beaucoup d’argent public mais nous le dépensons mal. Les Français n’en ont donc pas pour leur argent. Le temps est venu d’évaluer sérieusement la conduite des politiques publiques. Ce rôle revient en priorité au Parlement qui, jusqu’à présent, ne joue pas son rôle en ce domaine. L’action publique souffre également d’une inflation normative : trop de lois tuent la loi. Les normes s’empilent sans que les normes devenues inutiles, contre-productives ou obsolètes ne soient élaguées. Pour y remédier, je créerai un haut-commissariat à la Simplification administrative directement rattaché au président de la République afin de faciliter la vie des citoyens et des entreprises. Pour atteindre cet objectif, mon projet s’engage à simplifier l’organisation de l’État et à réaliser une véritable évaluation des politiques publiques : les Français ont le droit de connaître l’usage qui est fait de leur argent, car un État moderne doit être à la fois accessible et efficace. La gestion rigoureuse des deniers publics est un engagement que je prends devant tous les Français et qui guidera mon action au quotidien.

Je lancerai dès le lendemain de l’élection, un grand audit de la Cour des comptes sur toutes les politiques publiques afin de documenter des réformes et des économies dès le projet de loi de finances pour 2023.

Comment feriez-vous pour concevoir les réformes à réaliser dans l’État (recours à des experts, “comitologie”, consultation citoyenne, consultation des agents publics…) ? 
Plutôt que de recourir à de dispendieux et inutiles cabinets de conseil qui veulent appliquer les méthodes managériales du secteur privé à une fonction publique dont ils ignorent tout, j’interrogerai les fonctionnaires compétents en la matière et ayant une grande connaissance de l’État et de ses rouages. Ainsi, je lancerai dès le lendemain de l’élection, un grand audit de la Cour des comptes sur toutes les politiques publiques afin de documenter des réformes et des économies dès le projet de loi de finances pour 2023.

À quelles attentes actuelles des citoyens l’État doit-il répondre prioritairement ?
L’État doit avant tout protéger les Français en répondant à leurs inquiétudes en matière d’insécurité, d’immigration, mais aussi de déclassement économique et social.

Que feriez-vous pour que l’État soit à même de conduire les grandes transitions ?
Je délierai les mains de l’État pour qu’il puisse enfin remplir son rôle. Je mettrai un terme à l’influence des lobbies associatifs en tous genres qui entravent sont action, au détriment du vœu des citoyens. Plus globalement, je libérerai la puissance publique des carcans qui ont fait de l’État un Gulliver enchaîné. 

Je souhaite réaffirmer le rôle premier des communes en redistribuant à leur profit certaines compétences des intercommunalités, des départements et des régions.

Comment ferez-vous pour concilier l’aspiration à la différenciation territoriale et l’impératif d’égalité et d’équité ? 
La France est une république une et indivisible. Elle doit le rester. Ainsi, dans mon esprit, qu’il s’agisse du Jura, de la Corse ou de l’Essonne, tous les territoires doivent pouvoir bénéficier de la manne publique. Cela étant dit, je pense que depuis trente ans, au nom d’une prétendue équité dévoyée, on a rompu l’égalité entre les territoires. Je souhaite y remédier. Pour prendre un exemple simple : les banlieues des grandes métropoles sont depuis longtemps arrosées par de l’argent public et bénéficient d’un traitement bien plus généreux que les habitants des zones périurbaines et rurales. Je veux rétablir un équilibre en finançant l’implantation de services publics (poste, hôpital…) et d’activités économiques dans cette France périphérique. Ma prime de naissance de 10 000 euros pour les enfants de ces territoires s’inscrit dans cette lignée.

Comment faut-il selon vous réarticuler les politiques territoriales ? Y a-t-il lieu de modifier les compétences ? Si oui, dans quels domaines, selon quels principes de décentralisation ?
Je souhaite réaffirmer le rôle premier des communes en redistribuant à leur profit certaines compétences des intercommunalités, des départements et des régions et en stoppant définitivement le transfert obligatoire de compétences vers les divers groupements intercommunaux. La commune, cellule de base de la démocratie vidée de sa substance par les réformes successives, notamment au profit des EPCI [établissements publics de coopération intercommunale, ndlr] à fiscalité propre, doit être revivifiée. J’aspire aussi à réduire le rôle des mégarégions, désincarnées, sans légitimité historique, politique et culturelle. Éloignées des citoyens, elles sont l’apanage de grands féodaux déconnectés des réalités locales. Ainsi, je rendrai des compétences régionales aux départements.

Pour ce qui concerne les services de l’État lui-même, apporteriez-vous des changements aux caractéristiques actuelles de la déconcentration ? Aux relations entre autorités déconcentrées et collectivités territoriales ? À la liaison avec les territoires, aux modes de relations et de fonctionnement entre État et territoires ? 
On assèche les ressources des services déconcentrés de l’État depuis des années. Il suffit de comparer le niveau d’équipement d’une sous-préfecture avec celui des services d’une ville moyenne pour constater l’appauvrissement invraisemblable de ces services, relais locaux de l’État, pourtant essentiels. Mon principal changement serait de rendre des moyens à ces services pour qu’ils puissent remplir leur rôle. Cela passera par des économies ailleurs, bien entendu, mais je suis convaincu de l’importance des services déconcentrés qui, par leur expertise, peuvent appuyer les communes, notamment les plus petites.

Il conviendra de renforcer les moyens engagés dans la prospective, comme dans l’agence France Stratégie, pour ne citer qu’elle.

Que feriez-vous pour améliorer la capacité d’anticipation et de prospective de l’État pour prévenir les crises sociales, sanitaires et écologiques notamment, et y faire face ?
Déjà, j’arrêterai de supprimer les structures créées pour faire face à d’éventuelles crises. Dans l’indifférence générale, et pour économiser quelques crédits, on a supprimé en 2019 le Centre national des ponts de secours, dont l’objet était de fournir des ponts provisoires en cas de sinistre. Vu le vieillissement de nos infrastructures, victimes d’un sous-investissement chronique, il risquait pourtant d’être un jour utile… Aussi, je pense que la capacité d’un État à anticiper les crises est une de ses fonctions essentielles. Thiers ne disait-il pas que “gouverner, c’est prévoir”. Il conviendra donc de renforcer les moyens engagés dans la prospective, comme dans l’agence France Stratégie, pour ne citer qu’elle. Il faut anticiper dans tous les domaines, notamment régaliens. 

Que ferez-vous pour assurer la proximité des services publics pour leurs usagers, et dans leur diversité ?
Je renforcerai le maillage des services publics dans les zones rurales et périurbaines mal dotées. Par ailleurs, je m’appuierai sur le numérique, mais pas seulement, pour permettre à tous d’accéder partout aux services essentiels.

Le Conseil d’État devra à l’avenir veiller à ne pas sortir du rôle qui lui échoit, il n’est pas un colégislateur.

Peut-on produire la norme différemment : le triptyque gouvernement-Conseil d’État-Parlement fonctionne-t-il correctement ? 
Ce triptyque est une partie importante de notre démocratie, qui doit selon moi reposer sur un quatrième pilier, essentiel, quand il s’agit de décider des grandes orientations du pays : le peuple, par expression directe, avec le référendum. Par ailleurs, je pense nécessaire de renforcer le temps parlementaire consacré à l’évaluation des politiques publiques, plus aucune loi ne sera votée sans étude d’impact avec l’appui de la Cour des comptes. Il faut également simplifier le processus législatif, chronophage et inefficace. Enfin, le Conseil d’État devra à l’avenir veiller à ne pas sortir du rôle qui lui échoit, il n’est pas un colégislateur. 

Face à une société et des entreprises qui réclament autant de la norme qu’elles la rejettent, que feriez-vous pour la simplification, et pour qu’elle ne demeure pas ponctuelle ? 
Comme dit précédemment, je créerai un haut-commissariat à la Simplification administrative et à la Numérisation de l’État directement rattaché au président de la République afin de faciliter la vie des citoyens et des entreprises.

Doit-on aller plus loin dans la numérisation des services publics ? Faut-il donner la priorité à l’humanisation et comment ? 
Il faut les deux pour s’adapter à tous les publics. Le numérique ne pourra jamais remplacer l’humain, mais pour certains publics, notamment les plus jeunes, il peut s’avérer suffisant. Pour les plus âgés, moins à l’aise avec le numérique, il faut bien entendu conserver une présence humaine.

La décision publique est de plus en plus contestée et incomprise. Que ferez-vous pour inverser la tendance ?
Je lutterai contre l’inflation législative. Avec moi, vous n’aurez pas 8 lois “Sécurité” en cinq ans. Nous légiférerons moins mais mieux, avec des textes clairs et moins sujets à l’interprétation des juges.

Faut-il revoir le temps de travail des agents publics ? 
Je souhaite maintenir le temps de travail actuellement prévu par la loi.

Les syndicats ont perdu beaucoup de leur influence. Le dialogue social doit-il entrer dans une relation essentiellement directe entre employeurs et agents publics ? 
Je pense qu’il faut pouvoir entendre la voix des agents publics plus directement, peut-être avec des modes de consultation innovants. Toutefois, les syndicats doivent conserver une place importante. Ils restent d’ailleurs des acteurs légitimes, dans le secteur public.

Voulez-vous modifier l’équilibre actuel entre fonctionnaires et contractuels ? Quantitativement ? Quant aux responsabilités ? Quant aux expertises ? Dans quels domaines ? La dualisation de la fonction publique (statut-contrat) constitue-t-elle un modèle probant sur le long terme ou induit-elle un modèle à plusieurs vitesses ? 
Je ne souhaite pas modifier l’équilibre actuel.

Je souhaite conserver une haute fonction publique au service de l’intérêt général en rétablissant les corps préfectoral et diplomatique supprimés dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique initiée en 2021.

Quels seront vos axes majeurs pour améliorer la confiance entre l’État employeur et ses agents et que ferez-vous concrètement ? 
Je donnerai aux agents des lignes d’action claires et un projet politique cohérent dans chaque domaine. Je ne bouleverserai pas en permanence les objectifs et les missions de chacun. Avec moi, ils mettront en œuvre une politique ambitieuse guidée par des objectifs politiques forts. 

Sur le sujet de la réforme de la haute fonction publique engagée, quelles seront vos orientations et les étapes que vous voudrez franchir rapidement ? Plus globalement, que ferez-vous en matière de gestion des ressources humaines pour la haute fonction publique ?
Je souhaite conserver une haute fonction publique au service de l’intérêt général en rétablissant les corps préfectoral et diplomatique supprimés dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique initiée en 2021. Cela passera par l’abrogation de l’ordonnance du 2 juin 2021 et la mise en œuvre d’une réforme de la haute fonction publique, reposant, d’une part, sur la suppression du classement de sortie (pour l’ENA) et, d’autre part, sur une politique de démocratisation des voies d’accès en amont, au sein de l’enseignement supérieur : développement de classes préparatoires intégrées et “Talents”, mise en concurrence du monopole de fait exercé par Sciences Po sur les concours, développement de la formation continue prise en charge par l’ENA.

Quelles mesures prendrez-vous pour redresser l’attractivité des trois fonctions publiques ?
Je redonnerai du sens à l’action publique par des politiques cohérentes dictées par des considérations autres que budgétaires. Ce sera déjà un grand changement. On investira dans des projets grâce à des investissements massifs, notamment dans la santé. On sortira de la logique mécanique et bête du tout-comptable. 

Nous souhaitons une plus grande rigueur budgétaire dans de nombreux domaines, mais pas dans ceux que nous jugeons essentiels : industrie, pouvoir d’achat et sécurité.

Compte tenu des contraintes budgétaires des prochaines années, dans quel cadrage budgétaire inscririez-vous le rôle de l’État et sa réforme ? 
La situation très dégradée de nos finances publiques exige un cadrage financier ambitieux mais réaliste. Nous souhaitons une plus grande rigueur budgétaire dans de nombreux domaines, mais pas dans ceux que nous jugeons essentiels : industrie, pouvoir d’achat et sécurité. 

Comment jugez-vous le niveau actuel de la dépense publique par rapport au PIB ?
La dépense publique représenterait 55,7 % à fin 2022 : un record dans l’Union européenne. Symbole de cet abandon, pour la première fois depuis sa mise en place en 2012, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a même renoncé à émettre un avis sur les prévisions de finances publiques associées au projet de loi de finances pour 2022, ce dernier étant considéré comme “incomplet”. Ce niveau de dépense public est évidemment excessif et doit être ramené dans la moyenne des pays de l’UE.

Que prévoyez-vous pour la gestion de l’endettement de l’État ?
Notre dette publique, qui menace chaque jour un peu plus notre souveraineté, a atteint des niveaux record (113,5 % du PIB à fin 2022) et devrait continuer à augmenter jusqu’en 2027 à 115,4 % du PIB. La France est désormais à la merci d’une remontée des taux d’intérêt alors que le coût de la dette pour l’État est attendu à 40 milliards d’euros pour 2022, soit quatre fois plus que le budget consacré à la justice. Si la gestion calamiteuse de la crise sanitaire a contraint l’État à consacrer le fameux principe du “quoi qu’il en coûte” avec l’argent des Français, Emmanuel Macron avait déjà renoncé à redresser nos finances publiques avant même le surgissement de l’épidémie, malgré ses promesses de réaliser 60 milliards d’euros d’économies. La réduction du déficit public n’aura tenu qu’une année puisque, dès 2019, celui-ci repartait à la hausse.
Dans ce contexte, retrouver la maîtrise de nos finances publiques est plus que jamais une priorité. Mon programme, qui propose d’importants allègements sociaux et fiscaux sur les entreprises et les ménages ainsi que des dépenses supplémentaires, est intégralement financé mais la situation d’urgence exige que nous soyons plus ambitieux. Je propose donc un certain nombre d’économies pour diminuer le poids de la dépense publique afin d’engager une réduction du déficit public.

Qu’est pour vous la performance publique ? Modifieriez-vous la manière dont elle est appréhendée et mesurée dans la procédure budgétaire et dont les administrations doivent en rendre compte (programmes et rapports annuels de performance) ? La mesure de la performance doit-elle être budgétaire ou centrée sur l’usager ?
La performance publique est avant tout le bon usage de l’argent des Français. Comme je l’ai déjà dit, je pense que le Parlement doit travailler davantage cette question. Bien entendu, la satisfaction des besoins des Français doit être au cœur de cette évaluation.

 

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Club des acteurs publics

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