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François Ecalle : “Doubler les salaires des enseignants : quel coût ?”

L’économiste François Ecalle revient sur la manière dont il a évalué à 35 milliards d’euros cette proposition de la candidate socialiste à la présidentielle, Anne Hidalgo.

Dans un livre qui vient d’être publié, Anne Hidalgo propose de doubler (au moins) les salaires des enseignants, ce qui soulève des interrogations sur le coût d’une telle mesure. Je l’ai estimé à 35 milliards d’euros par an de la manière suivante. J’ai retenu les dépenses de personnel de la mission budgétaire “enseignement scolaire” en déduisant les cotisations sociales de l’État employeur. En effet, il s’agit surtout des cotisations versées par les ministères sur un compte de l’État, le compte d’affectation spéciale des pensions, où sont enregistrées les pensions de retraite versées par l’État à ses anciens agents. Ce sont donc des cotisations que l’État se verse à lui-même.

En outre, le taux de ces cotisations (74 %) est fixé de manière à équilibrer ce compte. Si les salaires bruts des enseignants sont doublés, ce taux sera réduit pour maintenir inchangé le total des cotisations, puisque le montant des pensions ne variera pas significativement dans les premières années. Il n’augmentera que progressivement, au fur et à mesure des départs à la retraite des enseignants aujourd’hui en activité avec des salaires bruts de fin de carrière revalorisés (si cette revalorisation ne passe pas entièrement par des primes).

J’ai donc retenu la masse salariale brute des programmes de la mission enseignement scolaire, qui s’élève à 41 milliards d’euros selon les projets annuels de performance (PAP) annexés au projet de loi de finances pour 2021. La proposition d’Anne Hidalgo ne concerne toutefois que les enseignants ayant effectivement une activité d’enseignement. Comme les PAP donnent la répartition des effectifs entre les corps d’enseignants et de non-enseignants, j’ai appliqué, pour chaque programme, le pourcentage d’enseignants à la masse salariale brute, ce qui conduit à un montant de l’ordre de 35 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB. Je suppose ainsi que les salaires bruts moyens des enseignants et non enseignants sont identiques et que tous les enseignants ont une activité d’enseignement. Les PAP de la mission enseignement supérieur et recherche ne permettent pas de faire ce calcul pour l’enseignement supérieur. 

Dans le contexte économique actuel où la BCE finance massivement les États de la zone euro, une aggravation du déficit public de 1,4 % du PIB ne poserait pas de problème de financement. Cependant, je ne pense pas que cette situation perdure indéfiniment. En particulier, si l’inflation dépasse durablement l’objectif de la BCE, hypothèse qui ne peut pas être définitivement exclue, celle-ci devra relever ses taux d’intérêt et réduire ses créances sur les États.

Il serait très risqué de commencer le prochain quinquennat par des mesures dont le coût budgétaire se chiffre en dizaines de milliards d’euros.

Pour continuer à emprunter dans de bonnes conditions sans la BCE, la France doit montrer qu’elle peut reprendre le contrôle de sa dette publique et donc au moins la stabiliser en pourcentage du PIB hors période de récession. Or le programme de stabilité d’avril dernier, comme les travaux de la Cour des comptes ou de la commission présidée par Jean Arthuis [la commission sur l’avenir des finances publiques, installée en décembre 2020, ndlr], a montré que, pour la stabiliser à l’horizon de 2027 sans augmenter les prélèvements obligatoires, il faut que le taux de croissance annuel des dépenses publiques soit du même ordre de grandeur que dans les années 2011 à 2019.

Or cette période a été marquée par des mesures qui relèvent, pour beaucoup de Français, d’une politique d’austérité : recul de deux ans de l’âge minimal de départ en retraite, gel quasi permanent du point de la fonction publique, réduction des dotations de l’État aux collectivités locales, qui ont été contraintes de réduire leurs dépenses d’investissement, puis de fonctionnement, etc. Un tel effort de maîtrise des dépenses sera très difficile après deux ans de “quoi qu’il en coûte” mais il est nécessaire et il serait très risqué de commencer le prochain quinquennat par des mesures dont le coût budgétaire se chiffre en dizaines de milliards d’euros. 

Les comparaisons internationales montrent certes que les salaires des enseignants, rapportés aux salaires moyens, sont plus faibles en France que dans les pays comparables. En outre, le gel du point d’indice de la fonction publique a entraîné une forte perte de pouvoir d’achat des rémunérations de début de carrière au détriment de l’attractivité des catégories A et B de la fonction publique (les salaires de la catégorie C ont été relevés, ce qui conduit à une forte compression des hiérarchies salariales). 

Ces comparaisons sont toutefois anciennes et ne tiennent compte ni des revalorisations induites par la réforme des grilles salariales commencée en 2016 ni, surtout, des mesures décidées en 2020 et 2021 en faveur des enseignants. De nouvelles hausses de leurs rémunérations sont sans doute nécessaires mais un doublement général coûterait beaucoup trop cher et, avant de décider de telles mesures, il serait souhaitable d’établir un état des lieux des salaires dans la fonction publique tenant compte des évolutions récentes et des hausses programmées. La conférence salariale qui vient de s’ouvrir devrait y contribuer. 

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