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Concours de la fonction publique : à variété d’épreuves, variété de lauréats ?

La diversité passe, en France, surtout par les concours, qui restent la voie privilégiée d’accès à la haute fonction publique. Comment faire pour donner toutes leurs chances à des candidats “hors du moule”, pendant et même avant les épreuves ?

“Notre ambition est de trouver et de former des hauts fonctionnaires qui ressemblent davantage à la diversité sociale et territoriale de notre pays”, déclarait la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, à l’occasion du lancement des classes préparatoires au nouveau concours externe dédié aux candidats d’origine modeste. La création de voies d’accès spécifiques est souvent la solution préférée pour diversifier les viviers de la fonction publique. L’ajustement des épreuves des concours en est une autre, à laquelle les sciences comportementales peuvent apporter une aide particulièrement précieuse.

Y compris dans la sacro-sainte école du service public. En 2016, l’ENA met en place une épreuve collective d’interaction. L’une des rares à s’appuyer sur les enseignements des sciences comportementales, qui commencent doucement à infuser en France. Chaque candidat est invité à camper successivement 3 rôles plus ou moins actifs. Dans une pièce, et sous l’œil du jury, 2 élèves débattent sur un sujet, tandis qu’un troisième les observe pour ensuite en rendre compte au jury. “Ce type d’épreuves sans bonne réponse met en avant la créativité et permet de repérer des savoirs parfois discrets, qui s’expriment dans l’expression comportementale, et non par le filtre de la verbalisation abstraite”, analyse Nicolas Fieulaine, sollicité par l’école en tant qu’expert en psychologie sociale pour examiner les potentiels effets induits de ce type d’épreuves sur la sélection des candidats. Un tel exercice met ainsi en évidence “les capacités relationnelles, d’écoute de l’autre, de réaction à des situations imprévues”. Autant de qualités indispensables à un décideur public, dont on attend encore aujourd’hui trop de simples connaissances théoriques.

Modèles anglo-saxons

Pour donner leur chance à tous les candidats, leur situation personnelle n’est pas étudiée au préalable par le jury : “Nous ne connaissons pas leur C.V. ni leur parcours, donc nous nous contentons d’apprécier leurs capacités à un moment T”, rebondit Delphine Gougeon, DRH du conseil régional du Grand Est, qui a siégé plusieurs fois comme membre du jury de cette épreuve. Laquelle réserve parfois quelques surprises. “Certains candidats qui avaient passé avec brio la première phase d’admissibilité se retrouvent avec de mauvaises notes lors de cette épreuve”, témoigne Delphine Gougeon. Pas question pour autant de bannir le grand oral ou l’écrit car, rappelle-t-elle, “la première chose que l’on vous demandera en tant que haut fonctionnaire restera d’écrire des notes et des rapports”.

L’épreuve collective de l’ENA reste toutefois un ovni dans le paysage administratif français. Il faut se tourner vers les pays anglo-saxons pour trouver davantage d’initiatives similaires fondées sur les sciences comportementales. En particulier au Royaume-Uni, qui a créé dès 2010 sa célèbre Behavioral Insights Team, ou encore au Canada et en Australie. Le gouvernement de l’État australien de Nouvelle-Galles du Sud – qui emploie plus d’agents que le gouvernement fédéral – entend par exemple doubler le nombre d’Aborigènes dans les postes d’encadrement et atteindre la parité hommes-femmes d’ici 2026 dans le top management public. Un guide élaboré par ce gouvernement établit clairement un lien entre développement des approches comportementales et accroissement de la diversité des profils. En France, la réflexion dans ce domaine n’est encore qu’embryonnaire. Si l’État dispose désormais de sa cellule spécialisée en sciences comportementales, celle-ci ne s’intéresse que très peu encore aux ­problématiques de sélection et de recrutement des hauts fonctionnaires. Et l’on regarde d’ailleurs vers l’étranger. Dans un rapport rendu au gouvernement Valls début 2017 – avant le quinquennat Macron, donc – sur la diversité dans les écoles de service public, Olivier Rousselle et Pauline Pannier insistent sur les contraintes qui pèsent sur le système français : le passage quasi obligé par les concours ou encore l’obligation d’égale admissibilité aux emplois publics, qui interdit de tenir compte d’autres critères que le mérite.

Les auteurs plaident déjà pour adapter les concours, notamment en revoyant leur contenu pour qu’il soit moins académique et moins théorique. “On peut en effet se demander si la complexité et la longueur du processus de recrutement par concours ne sont pas dissuasives pour certaines populations, et plus particulièrement pour celles qui, en raison de difficultés financières, ont besoin d’une insertion plus rapide sur le marché du travail que celle que permet l’entrée dans la fonction publique”, écrivent-ils.

Le rapport prend pour modèle le programme “Fast Stream”, cité régulièrement en exemple et qui permet à nos voisins britanniques de recruter leurs hauts fonctionnaires. Le processus se déroule en plusieurs étapes, dont la première vise à évaluer non pas les connaissances mais le comportement et les capacités de jugement du candidat en situation. L’examen surveillé comprend quant à lui une épreuve de “leadership”, une épreuve collective, ainsi qu’un examen évaluant les capacités d’analyse du candidat avec pour résultat une plus grande diversité disciplinaire des admis.

Repenser les concours

En Allemagne également, les concours d’entrée à l’école de la banque centrale ou au ministère des Affaires étrangères ne comportent pas d’épreuves disciplinaires, mais des tests psychologiques d’aptitude, des exercices de logique, de concentration. Des épreuves que l’on voit difficilement émerger en France. “La refonte des épreuves et de la manière de communiquer autour des concours passe par un indispensable examen de conscience, estime Nicolas Fieulaine. Pour cela, il faut mener une démarche réellement scientifique et expérimentale, qui prend du temps et demande de prendre des risques et d’ajuster la mire” au besoin. Un travail lent et rigoureux qui s’inscrit difficilement dans le temps de l’action publique, et encore moins dans celui du politique.

La refonte des épreuves de l’ENA lancée en début d’année est d’ailleurs suspendue depuis l’annonce de sa suppression. Mais une “revue des épreuves” va être lancée pour repenser les concours d’accès au futur Institut du service public, assure-t-on dans l’entourage de la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin. La docteure en neurosciences Camille Morvan souhaite profiter de ce moment charnière pour inviter les pouvoirs publics à s’appuyer sur les sciences cognitives. Objectif : réinventer les formats et le contenu des concours. Cette consultante, qui travaille notamment avec la ville de Paris, a mis au point différents tests plus ou moins ludiques afin d’évaluer non pas les compétences mais le potentiel des candidats. “Au-delà de ce que les personnes pensent d’elles-mêmes, précise Camille Morvan, dans ces exercices fondés sur une démarche scientifique, on mesure la mémoire, l’empathie, la flexibilité mentale et la capacité à changer de tâche.” Autant de tests comportementaux pour sortir d’un carcan académique “qui ne permet pas de révéler le potentiel sous-jacent des personnes, mais plutôt le contexte dans lequel elles ont développé leurs connaissances : être allé dans la bonne école fait qu’on est mieux préparé à passer des concours”, déplore Camille Morvan.

Mais le nerf de la guerre, ce n’est pas de changer les concours ou leurs attendus, c’est d’abord d’agir en amont pour casser un certain nombre de biais qui empêchent certains profils de se projeter dans la fonction publique. “L’épreuve collective de l’ENA est une belle avancée, mais elle intervient trop tard, après que la sélection s’est faite à l’écrit, et même avant encore, au moment de l’inscription”, déplore un ancien membre de l’équipe pédagogique de l’ENA. C’est ce que Nicolas Fieulaine, chercheur, membre du jury de l’épreuve collective et par ailleurs enseignant en sciences comportementales au sein de l’école, s’attache à étudier à travers ce qu’il appelle les “perspectives d’avenir”. L’épreuve ne permet pas, selon l’expert en psychologie sociale, de “s’attaquer au problème très en amont, c’est-à-dire au niveau de l’ajustement des espérances aux chances, qui provoque une forme d’autocensure chez les élèves”. Dès le collège, et même avant, les élèves ne feraient qu’adapter leurs perspectives d’avenir en fonction de leurs capacités, de leur milieu social, de ce qu’en disent leur famille et leurs enseignants.

Biais cognitifs

Autrement dit, ceux qui n’ont pas confiance dans leurs capacités, sans parler de ceux qui n’ont pas connaissance de l’existence des concours de la fonction publique et de ses carrières, n’envisagent même pas de s’y inscrire. “En tant que professeur, je n’ai jamais rencontré un seul élève pour me dire qu’il voulait travailler dans l’administration. Simplement parce que beaucoup d’entre eux ignorent que l’éducation nationale est une administration et les professeurs des fonctionnaires”, constate Fayçal Jelil, ancien délégué du préfet à la politique de la ville auprès du préfet pour l’égalité des chances du Nord, qui plaide lui aussi pour qu’un travail d’information et de ­pédagogie soit mené partout et le plus tôt possible sur les métiers de la fonction publique.

Les biais cognitifs qui poussent les élèves à emprunter une trajectoire ou à en éviter d’autres sont connus et les solutions tout autant. “Il ne suffit pas de donner l’accès à des boursiers pour qu’ils se sentent légitimes, il faut commencer par changer le discours et l’image d’un métier pour favoriser ne serait-ce qu’une accessibilité psychologique et subjective”, explique Nicolas Fieulaine. L’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon accorde ainsi davantage de place aux femmes dans sa communication pour féminiser le vivier d’aspirant(e)s ingénieur(e)s. “Il faut dire que c’est possible, et montrer que c’est possible en projetant une image de diversité”, poursuit Nicolas Fieulaine. Quitte à mentir ? “Non, rectifie-t-il, il faut ouvrir l’espace des possibles qui s’offrent aux étudiants, en parlant au moins autant des trajectoires contre-intuitives, imprévues, que des chiffres réels de réussite à un concours.” Cela passe notamment par la valorisation des “parcours atypiques” de ceux qui ont réussi là où les chiffres leur donnaient tort.

Le champ des possibles de l’administration et de la haute fonction publique, pour qu’elles se diversifient, ne se limite toutefois pas seulement à l’image qu’elles renvoient. Le premier levier reste de donner aux étudiants les moyens matériels d’accéder aux bonnes écoles. “Chaque complexité dans la constitution d’un dossier de candidature va réduire la motivation de ceux qui doutent le plus, relève encore Nicolas Fieulaine. Pour y remédier, il est nécessaire d’analyser précisément les parcours d’usage, pour repérer à quel moment de la procédure on crée du doute et de l’abandon : une tournure de phrase, un type de formulaire…” pour ensuite lever toutes les barrières superflues. Qu’elles aient été dressées volontairement ou non.

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