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Christian Jacob : “Par un système hypercentralisé, on s’est déconnecté de la réalité des populations”

Au lendemain d’une convention des Républicains sur l’action publique, le président du parti et ex-ministre de la Fonction publique, Christian Jacob, revient sur ces enjeux et plaide pour une véritable clarification des compétences de l’État et des collectivités. Il estime aussi souhaitable une fin de l’emploi à vie dans certains pans de la fonction publique, en particulier dans la territoriale. Un échange organisé avant les annonces du jeudi 8 avril relatives à la suppression de l'ENA. 

Votre parti a organisé, le 30 mars, une convention sur l’“efficacité de l’action publique”. Alors que la crise a nécessité beaucoup de dépenses, comment abordez-vous la question des économies ?
Nous partons d’un constat : nous ne sommes plus au pouvoir depuis neuf ans. Avant d’arriver à la période Covid, les dépenses publiques augmentaient déjà plus vite sous le tandem Macron-Philippe que sous la Présidence de François Hollande, qui n’était déjà pas une référence de bonne gestion pour nous. Nous avons désormais le plus gros déficit de la zone euro. La crise sanitaire est survenue et l’État a joué son rôle auprès des entreprises et des citoyens. C’était nécessaire. Il y a désormais une nécessité de baisser les dépenses de fonctionnement. La dette relevant du Covid doit être séparée, il faudra l’étaler dans le temps, et la rembourser, probablement sur une génération. En ce moment, nous sommes sauvés par des taux négatifs, mais ils remonteront à un moment ou à un autre.  

Emmanuel Macron a renoncé à la suppression de 50 000 postes après la crise des “gilets jaunes”. Comment la droite se positionne-t-elle après les années “RGPP” ?
Le tandem Macron-Philippe est à l’origine de la contestation des “gilets jaunes”. Cette crise sociale trouve son origine dans une erreur d’appréciation et une déconnexion complète du terrain aussi bien du Premier ministre de l’époque [Édouard Philippe, ndlr] que du Président : aller sur l’augmentation du gasoil (un raisonnement de Parisien) et l’entêtement bourré d’orgueil du Premier ministre sur les 80 km/h. Ce qui a été fait sous la Révision générale des politiques publiques (RGPP) était nécessaire. Simplement, nous voyons bien aujourd’hui qu’il faut reposer le sujet de manière plus large. D’où notre approche du moment : nous ne sommes pas entrés dans une logique chiffrée de réductions de postes. Il faut reclarifier ce qui relève des missions de l’État et des missions des collectivités. L’État s’est hypercentralisé. Nous n’avons jamais autant recentralisé qu’en ce moment, au détriment des réalités de terrain et en protégeant les administrations centrales.

Pensez-vous vraiment que les administrations centrales ont été protégées par rapport au terrain ? Elles ne pèsent souvent pas grand-chose par rapport au terrain en termes d’effectifs…
Dans le domaine de la santé, avec les agences régionales de santé (ARS), il existe un sujet. On se coupe petit à petit du terrain, en affaiblissant le rôle des préfets. Le préfet est dépouillé de tous ses rôles au profit des administrations centrales. Il n’est plus en situation d’arbitrage. Le préfet, par exemple, peut bien convoquer un inspecteur départemental d’académie, mais ce dernier s’y rendra s’il n’a pas autre chose à faire de plus urgent car il considérera qu’il n’a de compte à rendre qu’à son recteur, lequel considère lui-même qu’il n’a de compte à rendre qu’au cabinet du ministre de l’Éducation nationale.

Le rôle de l’administration de proximité chargée de répondre aux attentes de nos concitoyens dysfonctionne.

C’est un peu culturel. Napoléon a créé les recteurs car il ne voulait pas que les préfets aient tous les pouvoirs…
Je ne pense pas du tout que ce soit culturel. La culture de la France repose sur l’idée que le préfet est le patron de l’administration d’un département. Le préfet avait, par le passé, un vrai rôle d’arbitre, ce qui n’est plus le cas. L’éducation nationale n’obéit en rien aux instructions des préfets. Et l’on constate la même chose pour les ARS. Les directives du préfet importent peu au délégué départemental de l’ARS, qui ne rend compte qu’au directeur général de l’ARS, lequel rend compte à son administration centrale. Le rôle de l’administration de proximité chargée de répondre aux attentes de nos concitoyens dysfonctionne. Dans le même temps, les collectivités territoriales s’imposent, elles, du fait des défaillances de l’État. Heureusement que, pour les masques, elles étaient là ! Même chose sur la vaccination, avec des collectivités qui ouvrent des centres ! Ce sont elles qui ont la connaissance du maillage territorial. L’ARS est incapable de dire que Madame Dupont, qui a 78 ans, habite 5 rue du Pressoir. L’ARS dit simplement qu’il faut vacciner les gens de plus de 75 ans mais ne sait pas les identifier. Les maires disposent de plus en plus de réseaux type SMS ou police municipale : adresse, âge de naissance, etc. Le couple maire-préfet, que l’on nous vend à longueur de discours, n’existe pas car le préfet n’a plus le pouvoir qu’on lui prête.

Les ministères ont toujours argué que le rôle de chef de filât des préfets était difficilement conciliable avec leur rattachement au ministère de l’Intérieur. C’est un débat avec des postures de part et d’autre qui n’a jamais beaucoup avancé…
On sait tous que les nominations de préfets dans les départements importants ne se décident pas uniquement place Beauvau, mais à l’Élysée. C’est un faux débat. On a besoin de proximité. Même chose sur les économies. Nous avons supprimé la taxe d’habitation et les collectivités ont désormais besoin d’aller supplier l’État de leur compenser le manque à gagner. Elles n’ont plus de recettes dynamiques. Notre schéma, c’est : une compétence, une ressource dynamique en face. Lors des élections, le maire rend des comptes.

Dans votre logique, la déconcentration devrait-elle aller jusqu’à un arbitrage des suppressions de postes au niveau local, au niveau du préfet ?
Dans le cadre de l’application de la loi de finances, le préfet doit contribuer aux arbitrages et peser sur les décisions prises. Pour résumer, il n’y a pas de bonne décentralisation sans bonne déconcentration. Autrement dit : celui qui décide paye ; celui qui paye décide. Il faut sortir de l’actuel entre-deux. Mais je ne suis pas pour autant de ceux qui diront que tout est de la faute de l’État. Au plan local, il faut en terminer avec les financements croisés dans tous les sens. Plus personne n’y comprend rien. Vous financez la salle des fêtes et vous allez entendre, le jour de l’inauguration, 4 ou 5 discours durant lesquels chacun va expliquer qu’il a financé le projet à hauteur de telle somme : la commune, qui a décidé de refaire la salle des fêtes, le département, la région, parfois la métropole, et le sous-préfet d’arrondissement. Nous sommes dans une confusion avec une perte d’efficacité de la décision. Chacun attend que l’autre strate ait décidé. On perd un temps fou, mais on perd aussi en lisibilité car le contribuable ne sait plus où va son argent. Et on perd au passage de l’argent car derrière chacune des strates, vous avez un service de paiement, un service de décision, un service de contrôle. Tout cela crée un coût de fonctionnement de plus en plus lourd. Lorsque vous organisez une réunion sur la politique de la ville, vous avez 15 personnes des services de l’État autour de la table. Or le maire ne devrait avoir qu’un seul interlocuteur : le sous-préfet chargé de la politique de la ville.

Le système tel qu’il existe aujourd’hui autour du point indiciaire conduit, à chaque augmentation du point, à faire exploser les compteurs partout.

Faut-il revoir le nombre ou l’architecture des collectivités territoriales ?
L’architecture, sûrement. Concernant le nombre, il existe le sujet du millefeuille. Dans notre famille, nous ne sommes pas tous d’accord là-dessus. Pour ma part, je crois toujours à l’idée du conseiller territorial, là aussi pour donner de la lisibilité avec des conseils régionaux composés des conseillers départementaux. Mais la question des compétences reste plus prioritaire.

Lors de votre convention, vous avez décidé de ne pas afficher d’objectifs chiffrés de réduction des postes dans la fonction publique. La droite veut-elle se réconcilier avec les fonctionnaires après les années RGPP et la campagne de François Fillon de 2017 ?
Je pense surtout que l’on ne doit pas procéder par une règle de trois. J’assume complètement la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux [partant à la retraite, règle appliquée sous la Présidence Sarkozy, ndlr]. Elle a été utile mais on en voit bien les limites. Certaines sous-préfectures sont aujourd’hui moins bien dotées que les communautés de communes… En poussant le bouchon un peu loin, on peut se demander si les collectivités territoriales ne forment pas les agents de la sous-préfecture… Car on voit plus de cadres A dans une communauté de communes ou dans une agglomération que dans une sous-préfecture d’arrondissement.

Vous proposez la fin progressive de l’emploi à vie dans la fonction publique, avec la création d’un “nouveau contrat public pour les nouveaux entrants (hors emplois de souveraineté : magistrats, diplomates, forces de l’ordre) et les fonctionnaires volontaires”. Ne risquez-vous pas de braquer les esprits ?
Nous avons un vrai problème de rémunération dans la fonction publique, et singulièrement dans la haute fonction publique. Le système tel qu’il existe aujourd’hui autour du point indiciaire conduit, à chaque augmentation du point, à faire exploser les compteurs partout. Il faut dépasser ce système. Dans un premier temps, je pense qu’il faut expérimenter la fin de l’emploi à vie dans la fonction publique territoriale, composée à 77 % d’emplois de catégorie C, avec le plus souvent des métiers que l’on peut retrouver dans le secteur privé. Actuellement, la carrière d’un maçon va se retrouver figée par le statut, son corps et les concours. Il est très difficile de changer de corps, alors qu’il faut au contraire faciliter la mobilité. Les emplois de contractuels permettraient par ailleurs de mieux rémunérer ces agents et de faciliter la mobilité. Lors de regroupements administratifs, les réorganisations seraient plus faciles et plus souples à mener. Cette proposition ne viserait de manière obligatoire que les nouveaux entrants, pour agir sur les flux, mais elle pourrait aussi s’adresser aux agents déjà présents sous la forme de choix. À une autre époque et avec d’autres objectifs, les infirmières s’étaient vu proposer un passage de la catégorie B à la catégorie A (donc mieux payée) en contrepartie d’une carrière allongée. Pour la fonction publique de l’État, composée en grande majorité d’agents de catégorie A, la fin du statut nécessiterait d’abord de définir ce qu’est un emploi de souveraineté : un travail plus long à mener.

Par un système hypercentralisé, on s’est déconnecté de la réalité des populations.

Qu’a révélé la crise du Covid-19 en matière de réforme de l’État ?
J’en reviens à mon propos initial. Par un système hypercentralisé, on s’est déconnecté de la réalité des populations. Je parle en tant qu’ancien président du conseil d’administration de mon hôpital durant presque vingt ans. Le maire a été en grande partie dépossédé de ce rôle-là. J’observe que le directeur d’hôpital raisonne sur l’hôpital et rend des comptes à l’ARS. Un maire, à la présidence du conseil d’administration, irait réfléchir en fonction du plateau de soins, de façon plus large. Il prendrait en compte la clinique à 3 kilomètres. Je l’ai fait lorsque j’étais maire de Provins et que je présidais le conseil de l’hôpital. On a mis en commun les gardes de médecins ainsi que les salles d’opération. Le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui est déconnecté de ce type de réalité. Le donneur d’ordres de l’ARS n’a pas ce raisonnement-là car il n’est pas à portée d’engueulade sur les marchés tous les samedis matins.

Faut-il revoir le suivi d’application des textes réglementaires au Parlement ?
Oui. Et il faut faire en sorte que les maires siègent à nouveau au Parlement, lequel n’a jamais été aussi affaibli qu’aujourd’hui ! C’est un affaiblissement énorme du Parlement que de ne plus avoir, ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat, des maires qui détiennent cette expertise. Il faut, dans le même genre, renforcer les pouvoirs et les services d’expertise de l’administration du Parlement. Dans les commissions d’enquête, on voit à l’œuvre une sorte de complexe de l’administration de l’Assemblée à l’égard de l’administration de l’État. Si vous n’avez pas un député un peu pêchu qui ne cède sur rien, ce sera compliqué… Et pour qu’il soit pêchu et compétent, avoir été ou être maire peut aider.

Vous estimez que le foisonnement d’agences et de “démembrements de l’État” a contribué à émietter l’action publique plutôt qu’à la rendre plus performante. Peut-on parler d’un échec du modèle global ou d’un échec de certains sous-modèles ?
Je pense que l’agenciarisation n’est pas le bon modèle. Nous n’allons pas passer du noir au blanc et tout supprimer. Mais l’on est obligé de constater que le politique s’est progressivement défaussé, ce qui affaiblit considérablement le pouvoir du ministre, celui de son administration et donc l’application de la décision. Personne ne s’y retrouve, avec le summum, les experts indépendants. Dites-moi qui vous paie et vous nomme, je vous dirai votre niveau d’indépendance.

On a “agenciarisé” parfois pour coller au droit de la concurrence, se conformer à des standards européens ou s’éloigner du politique parce que l’on jugeait une distance souhaitable, par exemple en matière de santé ou de transparence…
C’est le résultat d’une faiblesse du politique. Diminuer le nombre d’agences et graver dans le marbre de la loi un nombre de ministères précis, avec un périmètre administratif identifié, permettrait de recouvrer cette autorité. Sans compter la lisibilité pour l’ensemble des agents du ministère.

Propos recueillis par Pierre Laberrondo et Bastien Scordia

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