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Bernard Cazeneuve : “ La fusion de l’Agence anticorruption et la HATVP unifierait la lutte contre la corruption"

Dans une interview accordée à Acteurs publics, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, aujourd’hui président du Club des juristes, revient sur la proposition faite par son think tank d’une réorganisation de ces 2 entités. Il explique l’intérêt – à terme – d’une fusion de celles-ci en une autorité administrative indépendante. “Les fusionner de manière trop précoce risquerait de perturber l’exercice de leurs missions respectives”, souligne celui qui est aujourd’hui avocat.

Le rapport du groupe de travail du Club des juristes, que vous avez présidé, recommande une fusion de l’Agence française anticorruption (AFA) et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en une seule autorité administrative indépendante (AAI) [cliquez ici pour consulter ce rapport]. En quoi est-ce nécessaire selon vous ?
L’AFA est, selon la loi Sapin II de 2016, un “service à compétence nationale placé auprès du ministre de la Justice et du ministre du Budget”. Contrairement à la HATVP, instituée par la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique, cette agence n’est donc pas une AAI. Cela ne signifie pas, pour autant, que l’AFA ne dispose pas de l’autonomie nécessaire à l’exercice, dans les meilleures conditions, de ses missions de contrôle. Son indépendance est assurée à la fois par la séparation organique des fonctions de contrôle et de sanction et par le statut de son directeur, qui ne peut recevoir ou solliciter d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice de sa mission. Le statut de service à compétence nationale présente cependant un certain nombre d’inconvénients. L’AFA ne dispose pas, en effet, d’une autonomie budgétaire et fonctionnelle et se trouve donc soumise aux contraintes de recrutement de la fonction publique, ce qui limite sa capacité à recruter des agents issus du secteur privé, alors même que l’expertise de ceux-ci est essentielle pour procéder aux contrôles des entreprises de taille significative. La réunion des missions de contrôle et de sanction au sein d’une même entité peut aussi fausser la perception par les entreprises du rôle de l’AFA. La fusion de l’AFA et de la HATVP permettrait d’unifier la lutte contre la corruption et les manquements au devoir de probité au sein d’une même entité, indépendante du pouvoir politique et dotée d’une autonomie budgétaire et fonctionnelle. Enfin, la fusion pourrait permettre une optimisation des ressources publiques allouées à la lutte contre la corruption et à la transparence de la vie publique.

Vous estimez néanmoins que cette fusion ne peut pas être envisagée dans l’immédiat. Pourquoi ?
La fusion de l’AFA et de la HATVP ne semble, en effet, pas pouvoir être envisagée à court terme. Les deux institutions sont relativement récentes et commencent à s’affirmer comme des acteurs majeurs de la lutte contre la corruption. Les fusionner de manière trop précoce risquerait de perturber l’exercice de leurs missions respectives. La HATVP a pour mission de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics, tandis que l’AFA a reçu pour missions de prévenir et de détecter les faits constitutifs de manquements à la probité (corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme) dans les entreprises répondant à certains seuils d’effectifs et de chiffres d’affaires et dans certaines entités publiques. Dans les collectivités publiques, la prévention et la lutte contre la corruption ne relèvent d’aucun référentiel précis. L’AFA préconise donc de leur appliquer les obligations de l’article 17 de la loi Sapin II*, prévues pour les entreprises privées. Or cet article n’est pas adapté aux collectivités territoriales, leur taille et leur activité n’étant pas comparables à celles des entreprises soumises au respect de la loi Sapin II. Les collectivités locales font par ailleurs déjà l’objet d’un niveau élevé de contrôle par l’administration préfectorale et par les chambres régionales des comptes. La création d’un “référentiel de compliance”, qui leur serait propre, permettrait à l’AFA d’exercer sur elles un contrôle plus adapté. Il me semble que la fusion des 2 entités en une seule AAI nécessite que les conditions du contrôle de l’AFA sur les collectivités publiques soient précisées. C’est là aussi la condition d’une meilleure articulation des missions de l’AFA avec celles exercées par la HATVP sur les responsables publics. En attendant, il n’est pas impossible d’envisager un renforcement de la coopération entre l’AFA et la HATVP. Elles ont d’ailleurs déjà signé, en 2019, un protocole de coopération, notamment pour coordonner leur action de prévention et de détection de la prise illégale d’intérêts.

Dans le même sens, faut-il envisager d’autres fusions entre organismes contribuant aujourd’hui à la transparence de la vie publique ?
La fusion de l’AFA et de la HATVP ne serait pas sans précédent. En effet, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a décidé d’opérer la fusion de la Commission de déontologie de la fonction publique et de la HATVP, au motif que les 2 autorités avaient “des champs de compétence, des méthodes de travail et de fonctionnement qui sont proches sur de nombreux points”. Lors de l’adoption de la loi Sapin II, le gouvernement et le rapporteur du texte ont imposé le statut de service à compétence nationale pour l’AFA dans un contexte général de réduction du nombre des autorités administratives indépendantes et, plus largement, de maîtrise des finances publiques. Cette préoccupation a été formalisée pour la première fois en 2006 par l’Office parlementaire d’évaluation de la législation dans son rapport “Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié”. En toutes hypothèses, je suis favorable au regroupement des AAI compétentes dans des secteurs connexes dans la mesure où cela ne nuit pas à la qualité de leur travail et permet même d’utiles synergies.

Propos recueillis par écrit par Bastien Scordia 

* L’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin II) introduit l’obligation de mettre en œuvre un dispositif de lutte contre la corruption par les entreprises de plus de 500 salariés et ayant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros.

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Club des acteurs publics

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