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“Le Conseil constitutionnel et les études d’impact des projets de loi : une complaisance tenace”

Dans cette tribune pour Acteurs publics, le professeur de droit public à l'université de Poitiers, Bertrand-Léo Combrade, revient sur la validation de l'étude d'impact du projet de loi “Agriculture” par le Conseil constitutionnel. Celle-ci avait été renvoyée devant les Sages à l'initiative des députés de la France Insoumise, qui la jugeaient insuffisante et insincère. Pour l'universitaire, la décision du Conseil “s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence attachée à réduire, autant que faire se peut, les contraintes pesant sur le gouvernement lors de l’élaboration des projets de loi”.

Dans sa décision rendue le 22 avril, le Conseil constitutionnel a jugé que l’étude d’impact du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture n’était pas contraire aux exigences fixées par la loi organique du 15 avril 2009. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence attachée à réduire, autant que faire se peut, les contraintes pesant sur le gouvernement lors de l’élaboration des projets de loi.

Une jurisprudence traditionnellement favorable au Gouvernement

Existe-t-il une exigence plus noble que celle imposant au gouvernement de prouver, en somme, que les textes qu’il présente au Parlement sont le fruit d’une réflexion approfondie et non d’une pulsion normative mal maîtrisée ? Telle était, en tout cas, l’ambition des promoteurs de l’obligation d’étude d’impact des projets de loi, inscrite à l’article 39 alinéa 3 de la Constitution par renvoi à une loi organique promulguée le 15 avril 2009. Aux termes de l’article 8 de cette loi, le gouvernement doit désormais présenter la majorité de ses projets de loi accompagnés d’une étude d’impact évaluant, en particulier, leur nécessité et leurs incidences prévisibles dans les domaines économiques, juridiques, financiers, sociaux et environnementaux. Afin que cette noble exigence ne demeure pas un vœu pieux, le Conseil constitutionnel peut être saisi afin d’apprécier son respect sur le fondement de deux dispositions. D’une part, l’article 39 alinéa 4 de la Constitution, qui l’habilite à trancher un désaccord entre la Conférence des présidents de la première assemblée saisie du projet de loi et le gouvernement portant sur la qualité de l’étude d’impact. D’autre part, l’article 61, interprété comme lui permettant d’examiner, sous réserve qu’une demande de réunion de la Conférence des présidents ait été exprimée en amont, un moyen un tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact de la loi dont la constitutionnalité est examinée. 

En pratique, toutefois, dans le cadre de ces deux voies de recours, le Conseil constitutionnel s’est méticuleusement astreint à alléger les exigences que le Gouvernement est tenu de respecter. Dès son contrôle de la loi organique instituant l’obligation d’étude d’impact des projets de loi, en plus de déclarer contraires à la Constitution un certain nombre d’exigences, il avait exprimé une importante réserve d’interprétation en considérant que les exigences de la loi organique ne devaient figurer dans l’étude d’impact que “pour autant que ces prescriptions ou l’une ou l’autre d’entre elles trouvent effectivement à s’appliquer compte tenu de l’objet des dispositions du projet de loi en cause”. Se présentant en apparence comme l’expression du bon sens, cette réserve conduit le Conseil constitutionnel à considérer que c’est au gouvernement lui-même qu’il revient d’exposer, dans son étude d’impact, l’objet du projet de loi. Cela signifie, par exemple, que les incidences environnementales d’un projet n’ont pas à être évaluées dès lors que le gouvernement n’énonce pas, dans son étude d’impact, que celui-ci a pour objet de modifier l’environnement.

Au-delà de cette réserve, la quarantaine de décisions rendues depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 15 avril 2009 révèle que le Conseil constitutionnel fait preuve de la plus grande retenue lorsqu’il doit examiner la qualité d’une étude d’impact. Ainsi tolère-t-il, par exemple, la transmission d’une étude incomplète si elle est compensée par “une phase préparatoire approfondie dans les assemblées”, mais aussi la présentation d’une étude commune à plusieurs projets de loi ou rédigée par un prestataire privé. Sur le fond, en dépit de la qualité variable des documents rédigés depuis 2009, il n’a jamais déclaré une étude d’impact insuffisante au regard des exigences fixées par la loi organique.

Une décision dans la continuité de cette jurisprudence

À la lumière de ce contexte jurisprudentiel, la décision rendue le 22 avril 2024 ne constitue nullement une rupture. Sans surprise, le Conseil constitutionnel a considéré que le contenu de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture répondait aux prescriptions de la loi organique qui trouvaient à s’appliquer au regard de l’objet du texte. S’agissant de l’exigence de présentation des “options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles”, il a estimé qu’elle n’imposait pas au gouvernement d’exposer, dans son étude d’impact, des alternatives aux dispositions finalement retenues dans le projet de loi. 

Cette décision, à l’instar de l’ensemble de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux études d’impact des projets de loi, peut laisser sur sa faim le citoyen soucieux de l’existence d’un contrôle vigilant de la rigueur du travail gouvernemental. À ce citoyen, il faut répondre que le Conseil constitutionnel n’est sans doute pas l’instance la mieux armée pour exercer ce contrôle. Celui-ci ne dispose ni du temps, ni des ressources lui permettant d’apprécier en connaissance de cause la complétude et l’exactitude des données contenues dans les études d’impact. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que le contrôle qu’il exerce ne diffère pas fondamentalement de celui mis en œuvre lorsqu’il examine les lois : in abstracto, en confrontant la norme inférieure à la norme supérieure. Pourquoi ne pas envisager, à l’instar de ce qui se pratique dans certains régimes étrangers et au sein des institutions de l’Union européenne, la création d’une instance composée de personnes qualifiées et spécifiquement chargées de se prononcer sur la qualité des études d’impact des projets de loi ? 

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Club des acteurs publics

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